Le
26 juin, je suis parti pour l’aéroport Bâle-Mulhouse en TER, chargé de la plus
importante mission de ma vie : apporter un produit à un distributeur du Qatar.
Comme il n’y a pas de bus direct entre Mulhouse et l’aéroport, je suis descendu
à Saint-Louis, la gare voisine de Mulhouse, et je suis montré dans une navette.
La
navette est arrivée à l’aéroport cinq minutes plus tard. J’étais censé attendre
une personne qui m’allait apporter le produit. Je lui ai téléphoné ; elle m’a
dit qu’elle était au parking et arrivait tout de suite. Au bout de quelques
minutes, une femme d’un certain âge a marché directement vers moi avec un plein
sourire. Il semblait qu’elle était sûre que l’interlocuteur au téléphone était
moi, car j’étais le seul Asiatique aux alentours. Elle m’a donné une grande
boîte en polystyrène qui n’était pas très lourde, et m’a dit : « Bon voyage !
». Je lui ai juré de l’apporter au Qatar, puis elle s’est mise à marcher vers
le parking.
«
Pegasus Airline » était la compagnie aérienne à laquelle j’avais acheté mes
billets. Je n’en avais jamais entendu parler. Je l’ai choisie parce qu’elle
était la moins chère ; le prix des billets des autres compagnies aériennes
était deux ou trois fois plus élevé. J’ai cherché le comptoir de Pegasus
Airline dans le vaste hall de l’aéroport. Après plusieurs allers-retours, j’ai
finalement demandé à une employée d’une autre compagnie aérienne qui semblait
s’ennuyer où se trouvait le comptoir de Pegasus Airline. Elle m’a indiqué du
doigt que c’était tout droit et sur la gauche.
À
l’autre bout du hall, j’ai trouvé un panneau orange sur lequel était imprimé le
logo de la compagnie aérienne que je cherchais. Devant moi, une grande famille
musulmane, trois ou quatre hommes adultes, d’une grand-mère, d’une mère, d’une
fille et d’un garçon enregistrait ses bagages. Un peu plus tard, enfin, mon
tour est venu. L’employé de Pegasus Airline, un jeune homme au teint si clair
que je n’arrivais pas à dire s’il était français ou turc ou suisse, m’a demandé
de lui montrer ma pièce d’identité. Pendant qu’il regardait mon passeport avec
indifférence, je lui ai dit que je voulais enregistrer la boîte blanche. Il m’a
demandé ce qu’il y avait à l’intérieur. « Des gâteaux japonais qui s’appellent
*** », ai-je dit. C’est en fait un gâteau japonais traditionnel qui n’est pas
très connu en Europe, et que je n’aime pas. Son visage s’est alors tout à coup
détendu.
«
C’est des *** qu’il y a dedans ? », a-t-il demandé.
Y
avait-il des problèmes ? J’ai commencé à m’inquiéter. Puis, le jeune homme a
terminé sa phrase :
«
Ma copine en est fan !
-
Connaissez-vous les *** ? ai-je dit.
-
Oui !
-
Je pensais que les Européens ne le connaissaient pas. C’est étrange !
-
Aussi étrange que de voyager avec ! », a-t-il dit.
J’ai
reçu mon billet d’avion et quitté le comptoir. J’étais prêt à partir pour le
Qatar.
Une
heure plus tard, je suis monté dans l’avion, ce que j’ai aussitôt regretté. Sur
mon billet, il était indiqué « Economy class », mais on aurait dit qu’il n’y
avait que la classe économie dans cet avion. L’espace entre les sièges étaient
exigu. Je me suis rendu compte qu’il n’y avait ni écran ni écouteur. Le plus dur,
c’était que les dossiers des sièges n’étaient pas réglables de sorte que je ne
pouvais pas dormir. C’était la première fois que je prenais une compagnie
aérienne à bas prix. C’est peut-être pratique pour un court trajet, mais trop
pénible pour supporter un vol de sept ou huit heures.
Plusieurs
heures plus tard, l’avion a atterri à l’escale, Istanbul. Au moment de
l’atterrissage, des applaudissements ont éclaté. J’ai pris l’avion de
nombreuses fois dans ma vie, mais je n’avais jamais entendu d’applaudissement à
l’atterrissage. J’ai applaudi avec les passagers turcs pour fêter le fait
d’être arrivé en Turquie sans et sauf.
À
ce moment-là, j’étais déjà épuisé comme un vieux chiffon. Mais j’avais encore
quatre heures de transit avant mon vol pour le Qatar. Une longue queue s’était
formée devant le contrôle des passeports et j’ai failli m’évanouir. Les
employés au contrôle de l’immigration sont peu affables dans tous les pays sans
aucune exception. J’ai même l’impression qu’ils n’ont jamais souri depuis leur naissance.
Après
avoir passé la contrôle (le contrôleur a estampé mon passeport sans avoir
vérifié grand-chose), j’ai cherché un restaurant. J’aurais voulu dîner dans un
restaurant turc. Cependant, il n’y avait que des boulangeries, un Starbucks et
un McDonald. Les boulangeries ne m’intéressaient pas. Je venais d’arriver du
pays du pain. Épuisé, j’ai renoncé et j’ai commandé le menu qui est entré le
premier dans mon champ de vision au McDonald. Quelques instants plus tard, une
serveuse a mis devant moi un plateau avec un burger, des frites et un coca et a
crié quelque chose en turc, mais évidemment je n’ai rien compris. Tandis que je
restais debout, une autre serveuse m’a dit : « Sir, it’s yours’ ». Le goût
était le même qu’en France. Seule la nationalité des serveurs est différente.
Pendant
que j’attendais dans la queue pour monter dans l’avion, un employé de
l’aéroport a vérifié mon billet et mon passeport, et m’a laissé passer.
Cependant, il est revenu quelques instants plus tard, et cette fois il m’a
demandé en anglais si j’avais un visa.
«
Les Japonais n’ont pas besoin de visa, ai-je dit.
-
Avez-vous déjà votre billet du retour ? a-t-il demandé.
-
Je l’ai déjà acheté mais je ne l’ai pas encore imprimé.
-
En l’occurrence, vous ne pouvez pas monter dans l’avion ».
C’est
absurde ! ai-je failli crier. On ne peut pas monter dans l’avion sans montrer
son billet du retour ? Je n’avais jamais entendu une histoire pareille ! J’ai
paniqué mais j’ai eu l’idée de lui demander d’attendre un instant. J’ai fouillé
dans mon sac à dos et je lui ai montré la fiche de réservation de mes billets.
Comme j’étais paniqué, d’abord le français est sorti de ma bouche : « C’est mon
billet électrique », puis j’ai dit en anglais « It’s my electric ticket ». «
It’s enough », m’a-t-il dit. Dans la navette conduisant à l’avion, j’ai entendu
homme me dire : « Bonjour ». J’étais si fatigué que des mots turcs sonnaient
comme « Bonjour ». Lorsque j’ai levé la tête, cet homme me souriait. Il était
peut-être français et il m’avait entendu bredouiller dans sa langue. « Bonjour
», ai-je dit aussi.
Vers
vingt heures, mon avion pour le Qatar a décollé. Ma voisine était une jeune
femme au teint basané aux longues jambes et aux cheveux longs et lisses.
Aussitôt, elle a mis un bandeau et s’est assoupie. Je voulais aussi dormir,
mais le type d’avion était le même que le précédant de sorte que le dossier du
siège n’était pas réglable. Rien à faire ! Ma voisine dormait paisiblement. Je
me suis mis à lire « 1984 » de George Orwell.
Le
vol qui semblait avoir durer éternellement a pris fin. Je suis arrivé à
l’aéroport du Qatar vers trois heures du matin. La propreté et la modernité de
l’aéroport de Doha étaient impressionnantes. Au Qatar, les employés étaient
vêtus de tenues traditionnelles du pays, une longue chemise blanche avec un col
et une sorte de foulard sur la tête.
Je
suis monté dans l’un des taxis verts qui attendaient devant l’aéroport. J’ai
dit au chauffeur le nom de mon hôtel. Il faisait encore nuit à cette heure.. Le
taxi a roulé sur une grande route moderne qui m’a rappelé « Blade Runner ». Le
Qatar qui ne ressemblait ni à l’Occident ni à l’Asie était presque comme une
autre planète. Une fois sorti de l’autoroute, le paysage s’est soudain dégagé.
L'univers des Mille et une nuits s'étendait devant mes yeux. De grandes maisons
blanches et carrées en pierre aux murs enduits de chaux étaient éparpillées.
Une lumière floue coulait des fenêtres de certains de ces bâtiments. Juste
au-dessus de l'horizon, dans le ciel violet, flottait la pleine lune
littéralement énorme. Je me suis dit que c’était parce que j’étais fatigué.
J’ai fermé les yeux, puis je les ai ouverts. La lune étrangement rouge était
toujours démesurée.
À
l’hôtel, une femme qui ressemblait vraiment à une Japonaise avec un petit nez,
un visage rond et un teint livide m’a accueilli. Les employés de cet hôtel, qui
n’étaient peut-être pas des Qataris puisque la grande majorité de la population
du Qatar est constituée d’étrangers, étaient si courtois et si élégants qu’ils
me traitaient comme un roi. Un chasseur a porté mes bagages jusqu’à ma chambre.
Chaque fois qu’un client arrivait, le portier sortait juste pour tenir la porte
en s'inclinant.
Ma
chambre était splendide et spacieuse malgré son prix de soixante euros par nuit.
Un grand lit occupait le centre, une grande armoire et un fauteuil qui avait
l’air confortable se trouvaient dans des coins. Mais ce qui m’a plu le plus,
c’est qu’il y avait une grande baignoire dans la salle de bain. En France, même
les hôtels étoilés manquent souvent de baignoire, alors que les Romains et les
Japonais ne peuvent pas vivre sans bain. Tout content, j’ai tout de suite
commencé à remplir la baignoire d’eau chaude pour oublier la fatigue de ce long
voyage.
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