jeudi 7 décembre 2017

L'avortement

 J'ai le cœur aussi lourd que du plomb lorsque je pense à aller à l’université. Même si je suis de bonne humeur comme Heidi dans l’Alpe dès que je commence à penser à cette journée semblable aux autres (les cours ennuyeux, tuer le temps à la cafétéria ou à la bibliothèque etc.), mes sourcils se froncent inconsciemment comme un chirurgien qui a oublié un bistouri dans le ventre de son patient.

 Je vais à l’université juste pour avoir un papier. Sans ce papier, je ne pourrai rien faire dans la société, notamment dans la société japonaise, sans ce papier, je n’aurai que deux choix : me pendre ou me jeter sur le quai. Je suis donc obligé de souffrir pour ce papier. Au Japon, il y a de temps en temps des étudiants qui se suicident parce qu’ils n’ont pas pu avoir ce papier. On comprend donc que le papier est plus important que la vie dans la société japonaise, contrairement à ce qu’on enseigne à l’école primaire.


 J’aimerais dire pour ne pas être mal compris, que mon université n’est pas mauvaise. Je la trouve plutôt bien, ou même très bien. Le niveau académique est élevé, les professeurs sont intéressants (sauf quelques-uns), il y a également beaucoup d’événements et d’activités même si je n’y participe guère. J'aimerais donc insister : c’est mon problème personnel et que je dirais la même chose même si j’allais à une autre école. Je n’allais guère au collège, j’ai quitté le lycée. Le lycée était une montagne de singes. J’avais quelques amis au collège, mais au lycée, je n’en avais aucun. Ils étaient en rut, idiots et laids. C’est à ce moment-là qu’est né le désir suicidaire qui perdure aujourd’hui. Je n’avais donc pas du tout envie d’entrer dans une université japonaise. Plus tard, j’ai passé l’examen d’entrée dans une université japonaise, et je l'ai réussi sans problème, ils m’ont même demandé d’être boursier, mais je n’y suis pas allé.

 En France, j’essaie de ne pas me faire remarquer. Je ne parle que peu, je fais attention à mes mots. Si on me demandait mon film préféré, je répondrais « Toy Story 2 ». Si on me demandait mon roman préféré, je répondrais « Harry Potter ». Par conséquent, je ne connais personne à l’université, mais je n’ai pas de problème de relations humaines non plus. Mon intention était de finir mes études tranquillement. Il me semble que ce projet a déjà échoué parce que mon cœur est dévasté comme une ville après l'orage.

 Après le cours, je suis allé à la BNU. J’ai rencontré un homme grand et barbu qui est toujours à l’entrée. Il est vraiment grand ; je pense qu’il atteint même deux mètres. C’est un gardien de la bibliothèque. Il surveille pour que le voleur de livres ne s’y introduise pas. Le voleur de livres est capable de changer le contenu d’un livre, et l’histoire qu’il a changée ne redevient jamais comme avant.
Ce gardien ne m’a rien demandé, mais je savais que je devais lui montrer l’intérieur de mon sac à dos. Il a regardé mes cahiers et ma gourde d'un air ennuyé. Puis Il m’a dit :
« Il y a des places au cinquième étage pour travailler. »
Mais je ne comprenais pas.
« Travailler ? Travailler sur quoi ? ai-je demandé.
- Il y a des places au cinquième étage pour travailler, a-t-il répété comme un disque.
- Mais je suis venu chercher un livre de Richard Brautigan…
- Ah, vous êtes venu juste visiter. Vous pouvez passer. »

 En montant l’escalier, j’ai sérieusement réfléchi à ce dialogue. Au bout de quelques instants, j’ai finalement compris qu’il avait dit cela parce qu’en ce moment il y a beaucoup d’étudiants qui révisent à la bibliothèque. C’est un exemple qui montre que j’ai du mal à comprendre ce que les gens me disent, quelle que soit la langue.
Je suis allé directement à l’étagère de littérature américaine. ‘’L’avortement’’ de Brautigan se trouvait dans le coin. J’ai aussi emprunté un livre de Kenzaburo Oe, ‘’ Une existence tranquille’’. Récemment, je collectionne les tickets d’emprunt de la BNU.

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