dimanche 31 décembre 2017

Le bruit du vent dans les films de Fellini

 Je collectionne les tickets d’emprunt de la BNU. Ne me demandez pas pourquoi. Je ne sais pas moi-même. D’habitude, je n’ai que les miens sur lesquels il est écrit mon nom et les titres de livres que j’ai empruntés. Parfois, je trouve ceux d’autres personnes.

 Hier, je suis allé à la BNU pour chercher des livres à emprunter. Ces derniers temps, j’ai lu beaucoup de romans d’auteurs américains. Je suis même en train de lire « Le monde selon Garp » de John Irving. J’ai aussi lu « L’avortement » de Brautigan. Ce sont de bons livres, mais à vrai dire, je me lasse un peu de la littérature américaine. Je ne veux plus voir la description de la Californie. J’en ai aussi marre du sexe. J’avais envie de lire un livre dans lequel il n’y aurait ni Californie, ni sexe.

 Je suis allé cette fois dans la section de la littérature française. Il y a si longtemps que je n’ai pas lu d’auteur français. J'ai reconnu avec nostalgie quelques noms d'auteurs. J’ai pensé à emprunter un livre de Modiano, mais j’ai remis le livre sur l’étagère. J’en ai déjà assez lu. Je savais déjà ce qu’il y a dans ses livres. D'ailleurs il traite souvent du même sujet. J’ai trouvé le nom de Bataille et je me suis rappelé que j’étais toujours intéressé par « L’histoire de l’œil » qu’il avait publié sous le pseudonyme de Lord Auch, sauf que ce livre manquait. Après environ une heure d’égarement, d’hésitation et de réflexion, j’ai finalement choisi « Les gommes » d’Alain Robbe-Grillet. C’est un auteur dont je n’ai jamais lu une œuvre. J’ai tourné les quelques premières pages, cela m'a plu. Pourtant je ne sais pas s'il y a la Californie ou du sexe dans ce récit.

 Par la suite, je me suis rendu à la section ‘’littérature japonaise’’. Elle se trouve discrètement à côté de la littérature chinoise. La partie consacrée à la littérature japonaise est plus petite que celle consacrée à la littérature chinoise. Cette différence est proportionnée à la superficie du Japon et de la Chine. En ce moment, je lis notamment de longs romans. J’avais envie de prendre un recueil de nouvelles. Personnellement, je considère Yoko Ogawa comme un maître des courtes histoires.

 C’est une professeure de la fac qui m’a parlé de cette écrivaine un jour. Avant que le cours ne commence, elle est venue devant moi et m’a chuchoté : « Aurélien, tu connais Yokogawa ? »
 Je ne connaissais pas Yokogawa. Je lui ai donc répondu par la négative, en secouant la tête.
« Yokogawa, a-t-elle répété.
- Est-ce un nom de famille ? » lui ai-je demandé.
Sans répondre à ma question, cette fois elle a prononcé lentement.
« Yooookooooogawa.
- Yoko Ogawa ! fis-je.
- Yoko Ogawa ! », a-t-elle dit.

 Je connaissais son nom. Quand j’étais à l’école primaire, j’avais lu « La formule préférée du professeur », j’avais vu aussi l’adaptation cinématographique de ce roman. Il s’agit de l’histoire d’un professeur de mathématiques dont la mémoire ne dure que quatre-vingts minutes. Il colle donc beaucoup de notes sur ses vêtements, pour ne pas oublier voire pour se souvenir. Mais c’était tout.

 C’est ainsi que j’ai découvert à nouveau le monde de Yoko Ogawa. Son écriture est simple, raffinée, peut-être un peu minimaliste. Ses romans, qui sont souvent courts, parlent d’une vie quotidienne dans laquelle s’introduit une anormalité. J’ai particulièrement aimé « Tristes revanches », « Les paupières » et « La marche de Mina ». Et j’ai lu « Les lectures des otages » en japonais, pour satisfaire ma curiosité de connaître son écriture originale.

 Après avoir hésité un certain temps entre « La mer » et « Manuscrit zéro », j’ai finalement choisi le dernier. J’ai ouvert une page au hasard et j’ai découvert un morceau de papier. C’était le ticket d’emprunt de quelqu’un datant d’il y a six ans. Son état de conservation était parfait. Il n’était nullement froissé, comme une chemise qui vient d’être repassée. Le papier était tout blanc, comme les nuages d’un beau jour de l’été. Et c’était le ticket d’emprunt de « MERLIN Lucile ». Je me suis secrètement réjoui de cette découverte. C’est en fait plutôt rare de trouver un ticket d’emprunt de quelqu’un d’autre de cette façon.

 Je me suis ensuite demandé qui était cette MERLIN Lucile qui a lu ce livre il y a six ans. J’avais envie de savoir dans quelle circonstance elle l’avait choisi et si ce roman lui a plu. J’ai imaginé aussi son apparence et sa vie. Je pense que MERLIN Lucile est une femme de trente-quatre ans. Elle porte des lunettes à monture noire et elle ne travaille pas pour le moment. Elle a un fils de quatre ans et son mari travaille dans une compagnie d’assurance. Il la trompe avec une collègue plus jeune et plus belle. MERLIN Lucile le sait, mais elle feint de l’ignorer. Elle aussi cache quelque chose à son mari. Leur fils, Jean-Marc n’est pas son premier enfant. Quand elle avait vingt ans, elle a dû se faire avorter d'un bébé qu'elle avait conçu avec son petit ami de l’époque. Alors qu’elle attendait la naissance de ce bébé, tout en imaginant à quoi il ressemblerait, quel vêtement lui conviendrait, ce qu’il deviendrait quand il serait grand, il lui a été arraché brutalement par un forceps, avant qu'il ne devienne un être humain.

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