Un bonbon ou une balle ?
Kazuki Sakuraba
Extrait d’un
article
Le 4 octobre, au matin, à Sakaiminato dans la
préfecture de Tottori, sur les flancs du mont Nina, le cadavre démembré d’une
fille a été découvert. La victime est une collégienne de treize ans qui vit
dans cette même ville, Mokuzu Umino. La jeune fille était portée disparue
depuis la veille. A, une de ces amies du collège, est la première à l’avoir
découverte. La police recherche alors l’auteur du crime, son mobile ainsi que
la raison pour laquelle A était au mont Nina où le cadavre de la victime a été
découvert.
Chapitre I Je ne pourrais pas être
amie avec la balle en sucre
Vers le trois ou le quatre septembre, la nouvelle, Mokuzu Umino,
est arrivée dans ma classe. C’était un matin triste, juste après les vacances
d’été et le ciel était grisâtre. Dès qu’elle a écrit son nom sur le tableau
noir, nous avons tous eu la même réaction, ce qui n’avait rien d’étonnant ; son
nom était vraiment très bizarre. C’est normal, n’est-ce pas ? Si mon nom de
famille était Umino, je ne le supporterais vraiment pas[1]. Mais
non, quel que soit le nom de famille, c’est fou de prénommer une enfant comme
ça. Un garçon qui était assis de
l’autre côté du passage et qui s’appelait Kanajima m’a murmuré : « j’aimerais
bien voir à quoi ressemblent ses parents » et m’a regardée. « Qu’en penses-tu,
Yamada ? » Au moment où j’ai essayé de hocher la tête. Une fille qui était derrière moi m’a donné
des coups avec son portemine et m’a dit :
« Nagisa, son
père c'est Masachika Umino.
- ……Ah, c’est vrai ?
- Il vient de cette préfecture. Sa maison natale n’est pas loin
d’ici.
- Je le sais mais…… »
Je me suis souvenu du visage beau et naïf de
Masachika Umino que je voyais souvent à la télé autrefois. L’époque où il était
populaire remonte à très longtemps, de
plus il n’était pas vraiment de notre génération, mais la première chanson de
son groupe était tellement bien qu'on l'entend encore dans des pubs de voiture,
de cosmétique ou de bas, par exemple.
« L’os de la
sirène »
Paroles et
musique ; Masachika Umino
Je regardais
la mer dans le ciel embrasé
Et je t’ai
trouvée
Une belle
sirène comme un rêve
Mais tu as
disparu en un clin d’œil Je
reviens toujours voir cette mer Pour
te retrouver
Je t’ai enfin
retrouvée et je t’ai adressé la parole Tu t’es
retournée pour me regarder
Une belle
sirène comme un rêve
Comme tu es
venue vers moi J’ai tendu le bras pour t’attraper Dans ces
mains.
Toutefois peu de gens connaissent la troisième
partie de cette jolie chanson. Ne soyez pas étonné, le héros qui attrape la
sirène en fait des sashimis et les mange. Manger une sirène vivante ! Et la fin
est comme ça, l’os était d'un rose pâle. Ça fait peur, hein ? Cette chanson est romantique jusqu’à la deuxième
partie, tout le monde se concentre sur Masachika Umino. Mais la troisième
partie est…… La troisième partie, on
dirait une chanson sur un meurtre sexuel.
Cette nouvelle élève, qui semblait être la
fille du chanteur célèbre, avait commencé à intéresser toute la classe par son
seul nom. Mais moi, je m’en fichais. Indifférente, je regardais un coin de ma
table.
C’était trois mois après avoir réfléchi sur
mon orientation et mon frère, et je m’étais juré que je ne me préoccuperais pas
des choses insignifiantes qui n’ont aucun rapport avec ma vie. L’argent,
l’argent, l’argent. Donc, à ce moment-là, je me suis simplement dit : ah, son
père est un chanteur connu.
Quelle chance
d’être riche.
Et cette nouvelle fille, l’air gêné, baissait
la tête et remuait nerveusement ses genoux devant l’estrade. Notre professeur
lui a dit : « Présente-toi à tout le monde. » Elle a tripoté ses cheveux noirs
avec ses doigts fins. Ils étaient coupés courts mais seul son toupet était
étrangement long et dissimulait son visage. Quelques gouttes d’eau sont tombées
de quelque chose qu’elle tenait dans son autre main.
Je l’ai regardée en faisant la grimace.
C’était une bouteille d’eau minérale de deux
litres. La bouteille, qui semblait lourde, été remplie au deux tiers. Mokuzu
Umino, qui ne cessait de remuer nerveusement ses jambes, l’a soudainement
soulevée et a enlevé le bouchon. Elle s’est ensuite cambrée, a relevé son
menton pâle et s'est mise à en boire à grandes gorgées.
En un instant, la moitié de la bouteille s’est
vidée. À ce moment-là je me suis rendu compte que le tremblement de ses genoux
n’était pas volontaire. Mon voisin, un garçon nommé Kanashima, a murmuré : «
Cinglée. »
Mokuzu Umno a
fini sa bouteille et l’a baissée. Un
joli visage pâle est apparu.
La couleur de sa peau était étrange comme si
on avait ajouté un peu de bleu au blanc de son visage. Mais elle était
évidemment une belle fille. De ses lèvres fades, des gouttes d’eau coulaient.
Ses lèvres ont remué comme dans un cauchemar.
« Euh, euh,
euh……Euuuuuuh. »
Tout le monde a retenu son souffle et l’a
regardée.
Toc. Une goutte est de nouveau tombée,
peut-être était-ce sa salive.
« Euh, je m’appelle Mokuzu Umino », a-t-elle
dit faiblement. Tout le monde a été soulagé.
« Hey ! J’ai
une question ! » J’ai senti la fille
derrière moi lever la main. C’était Eiko, elle est facétieuse. J’imagine
qu’elle a sans doute essayé de rassurer cette singulière jeune fille. Eiko est
plutôt du genre heureuse, débonnaire et curieuse, une fille insouciante.
« Est-ce que
ton père est Masachika Umino ? »
Mokuzu Umino laissa apparaître une expression
de souffrance comme si on lui avait dit quelque chose de blessant. Elle a
ensuite retenu son souffle et a gémi :
« ……………euh.
»
La classe s’est mise à murmurer : « Sérieux ?
» « Eh ! Mon Dieu ! » « Vraiment ? » Tout en grimaçant et en faisant tomber un
liquide transparent dont on ne savait pas si c’était sa salive ou de l’eau,
Mokuzu a dit : « Non, pas du tout », et elle a transpercé Eiko du regard. J’ai
compris qu’Eiko s’énervait. Elle murmurait toute seule : « Eh ! Pourquoi elle
ment ? » Elle a de nouveau levé la main et a essayé de lui dire encore quelque
chose. À ce moment-là, Mokuzu Umino a dit en faisant couler de l’eau de sa
bouche : « Moi[2]……
- ……Moi ?
»
Non seulement Eiko mais aussi toute la classe
a répété ce qu’elle venait de dire puis ils ont observé son corps. Sa poitrine
était légèrement gonflée sous son uniforme. Des jambes frêles et blanches
remontaient sous sa jupe, qui était un peu plus courte que celles des autres
filles. C’était bien une fille. « Moi,
a-t-elle continué d’un ton tranchant, en réalité, je suis une sirène. » La classe est devenue encore plus calme et tout
le monde s’est penché en avant. Je restais indifférente. J’ai pensé en tripotant
mon portemine :
« Qu’est-ce
que c’est que ce type ? »
Mokuzu Umino a mal compris la réaction des
gens et elle a souri. C’était un sourire franc comme si elle montrait qu’elle
était contente d’être accueillie par tout le monde. Puis elle a continué ;
« Euh, les
sirènes n’ont pas de sexe. Nous ressemblons toutes à des femmes humaines mais
contrairement aux humains, nous n’avons pas d’appareil génital et nous pondons
beaucoup d’œufs. Je suis venue ici pour connaître le monde des humains. J’ai
entendu dire qu’ils sont amusants et vivent très peu longtemps, que ce sont des
créatures vraiment ridicules ».
Abasourdis, nous la regardions tous bouche
bée. Elle a ajouté ; « Apprenezmoi à
quel point l’homme est idiot, combien il mérite de mourir, s’il vous plaît.
C’est tout ce que je veux vous dire. Merci. »
Et elle s’est inclinée.
Kanajima, qui était à côté de moi, a fait claquer sa langue.
Tout le monde semblait être bouleversé mais
moi je m’en fichais. Au Moyen Age, se
préoccuper des choses qui n’ont pas de rapport direct avec la vie, le sens de
la vie, le véritable amour ou le système du monde, était le privilège des
nobles. Mon frère me l’avait dit il y a quelques jours. Je me suis donc dit que
cette nouvelle, qui disait de telles choses à propos des humains, était
chanceuse. Au moins elle s’intéresse aux choses qui se trouvent autour d’elle,
elle a besoin de l’attention des gens, tout comme un petit enfant. Notre professeur qui l’écoutait à moitié
s’est repris et a dit : « Euh, Umino, tu es vraiment unique. Bon, alors tout le
monde, voilà une nouvelle amie. Et ta place…ah tu vois, au fond il y a une
place. Prends-la.
Il faut que
je m’en aille, je dois donner le premier cours ».
Puis il est parti précipitamment. Mokuzu Umino
s’est avancé dans le passage avec sa grosse bouteille d’eau. Je ne sais pas
pourquoi mais elle boitait d’une manière bizarre. Elle est passée devant moi
avec cette manière de marcher.
Sa peau était blanche, ses yeux étaient
grands. Elle avait de longs cils. Je me suis tout à coup souvenu que Masachika
Umino avait autrefois épousé une actrice qui était très populaire à l’époque.
Elle avait de grands yeux et un corps opulent. Mokuzu Umino ressemblait à cette
actrice maltraitée et amaigrie. Mais bon, je m’en fous.
L’eau minérale dans la bouteille a de nouveau
ondulé. Kanajima a tendu sa longue
jambe.
Mokuzu Umino a trébuché dessus et est
tombée.
Kanajima a fait semblant de l’ignorer. Eiko a
étouffé ses rires en lui disant : « T’es méchant ». Quand je me suis retournée, juste un
instant, j’ai vu l’intérieur de sa jupe.
Je pense que
les autres ne l’ont pas vue. Cela n’a duré qu’un court instant, de plus, par
rapport à ma position, j’étais la seule personne qui pouvais la voir. Ce matin
il y avait du soleil et j’ai pu voir clairement l’intérieur sombre de sa
jupe.
Des cuisses blanches.
Le linge en
bleu pâle.
Et des bleus vifs.
- De nombreux bleus, qui devaient être le
résultat de coups de poings, étincelaient. Des tâches violettes, vert pourri,
rouge-noir de la taille d’un poing se dessinaient sur sa peau.
Après cet instant, Mokuzu restait couchée sur
le plancher. Peut-être qu’elle avait mal car elle restait immobile. Eiko, qui
riait, s’inquiéta car elle ne se levait pas et elle lui a dit : « Hé, ça va ?
». De l’eau coulait de la bouteille tombée au sol. Peu après, elle s’est levée
lentement et s’est retournée puis elle m’a regardée.
« ……Tu les as
vus ? »
Son regard me le disait. Derrière ses cheveux,
ses grands yeux noirs étaient fixés sur moi.
Ensuite elle a ouvert ses lèvres fades comme
celles d’un fantôme et a murmuré d’une voix basse : « Meurs. »
J’ai fait la grimace. Frissonnant de colère,
j’ai détourné les yeux. Pourquoi j’ai
été injuriée alors que j’étais la plus indifférente de nous tous ? Mais j’ai décidé de ne plus y penser. Je n’ai
rien vu. J’ai fait semblant de m’en moquer. Je ne fais pas attention aux choses
qui ne sont pas ‘’des balles réelles’’. Je vivrai sans aucun rapport avec ce
genre de choses insignifiantes, jusqu’ à ma mort.
■
C’était……
En septembre……
Et aujourd’hui, c’est le matin du 4 octobre.
Je marche.
Silencieusement.
Avec un certain pressentiment.
Au pied du mont Nina, les feuilles changeaient
de couleur, beaucoup de monde venait juste pour voir les feuilles un peu
rougies. En hiver, la neige s’entassera et des gens viendront pour faire du
ski. Mais pendant cette saison intermédiaire, personne ne s’aventure dans cette
montagne. Un matin, très tôt, il n’y a
personne.
Je marche silencieusement parce que je sens
qu’il y a quelque chose que je devrai trouver.
Ce n’est évidemment pas une balle réelle, mais
je bouge mes jambes.
C’était……
Comme dirait mon grand frère, c’était un
gâteau de nobles. Un gâteau sucré qui ne réussira pas à rassasier
l’estomac.
■
Je m’appelle Nagisa Yamada.
J’ai treize ans. Je suis en quatrième.
Je ne suis ni mince ni grosse et mes cheveux
sont longs. C’est très difficile de parler de moi. D’après Eiko, qui s’assoie
derrière moi, je suis ‘’froide’’.
Kanajima, qui est mon voisin, dit : « Ça m’étonne que tu puisses
t’occuper des animaux. T’es donc le genre de personne qui aime les petits
animaux, hein ? T’aimes t'occuper d’eux ? Pourtant tu n’as pas cette tête ».
Mon frère, lui, affirme : « Nagisa, ces derniers jours, tu sembles être occupée
à chercher des balles réelles. On dirait une ‘’réaliste des balles’’, ma sœur
». La ville où j’habite est très petite
et déserte. Je vais vous la présenter un peu.
Au centre de la ville, il y a un marché, celui des poissons. Il y a une
odeur de poisson partout. J’imagine que tous les matins le marché est plein de
monde mais à l’heure où je vais à l’école, il n’y a personne. Juste l’eau qui
coule des tuyaux et mouille le chemin. C’est tout, complètement désert. Près du
marché, il y a une petite station de tram. Les étudiants qui viennent de la
montagne le prennent et il est bondé tous les matins. Les voitures sont
décorées avec des dessins de sardines façon dessin-animé. Il me semble que
c’est une sorte de pub pour dire aux gens de consommer des sardines dans cette
ville. Un tram avec des dessins de sardines rouges, jaunes et vertes s’arrête
en faisant du bruit, les jeunes en descendent.
La salle de réunion se trouve beaucoup plus loin. Pour y aller, il faut
prendre le bus à la gare, vers la montagne. De temps en temps, il y a des
chanteurs qui viennent pour faire des concerts dans tout le pays, mais une
petite ville comme la mienne est souvent ignorée. Une fois par an, tous les
clubs de musique classique s’y réunissent pour faire un concert à Noël. J’y
suis allée une seule fois avec une amie. Les murs étaient fissurés, et tandis
que je les regardais, un morceau est tombé.
Vous voyez, elle est très misérable.
La nuit, la mer du Japon, qui est d’ordinaire
morose, devient belle uniquement pendant les nuits d’été. Des bateaux de pêche
au calmar flottent comme des feux follets sur les vagues entre l’horizon violet
s’estompant et la plage pâle et mouillée. Les lumières orange et rondes sont
quand même jolies. J’ai l’impression de contempler des choses qui ne sont pas
de ce monde.
Dans la montagne, il y a une centrale
nucléaire qui a été construite quand je suis née. Plus exactement, ici, il y a
tout ce que les citadins voudraient trouver à la campagne. Une centrale
nucléaire, une prison, un centre de redressement et un hôpital psychiatrique.
Et aussi une garnison de l’armée de défense. C’est pour ça que nous ne nous
approchons pas de la montagne. Des couples de collégiens et de lycéens de la
ville vont notamment à la galerie marchande, au grand magasin ou sinon à la
plage. Ah, au fait, en marchant dans la
galerie marchande, je croise de temps en temps de vrais militaires. Le seul
cinéma de la ville projette toujours deux films, il projette par exemple un
film de romance hollywoodien et le dernier film de ‘’Fishing Fool’s Diary’’ en
même temps. C’est du n’importe quoi.
Pour les tarifs, il est affiché :
Adultes :
1800
Étudiants :
1200
Enfants :
800
Militaires :
1400
Chaque fois que je les regarde, je me dis : «
Ah ! Il y a une réduction pour les militaires ! ». Si je faisais l’armée au nom
de la nation, pourrais-je voir un film avec un tarif réduit ?
Mon chez moi se trouve au rez-de-chaussée d’un
vieil HLM qui n’est pas loin du marché et de la gare. Mon frère et ses
nombreuses affaires, livres, jeux vidéo et figurines que je ne comprends pas,
occupent une pièce sombre qui se trouve au fond de chez nous. Ma mère et moi
avions mis une table dans une cuisine relativement grande et la nuit nous
préparions des futons. Nous vivions ainsi tous ensemble.
Si on me demande ce que je désirerais
immédiatement, je répondrais : ‘’ma
propre chambre’’, sans aucune hésitation. Je voudrais avoir une pièce où je
peux passer du temps seule.
Pour ça, j’ai
besoin de balles réelles.
Cet été, j’ai
eu treize ans et c’est tout ce à quoi je pensais.
Ce matin, lors de son premier jour, la
nouvelle Mokuzu Umino a mis mes camarades K.O. avec une impression étonnante.
Le groupe d’Eiko s’est approché de sa place craintivement, il a encerclé Mokuzu
de toutes parts et l’a observée d’un regard curieux.
Mon voisin, Kanajima s’est retourné de temps
en temps. Il a fait attention à elle puis il a fait claquer sa langue. Les
autres garçons étaient aussi quelque peu agités. J’ai pensé qu’ils étaient
bizarres mais plus tard je me suis rendu compte qu’ils réagissaient ainsi parce
que malgré son excentricité, Mokuzu était aussi mignonne qu’une star de
télé.
Elle qui venait d’une grande ville quelconque,
était beaucoup plus raffinée que nous. Sa peau était blanche, transparente,
fine et……
« C’est que
de la marque ! »
Eiko est revenue précipitamment car le premier
cours allait commencer.
Elle m’a
poussée du doigt et me l’a murmuré :
« De la
marque ?
- Ses stylos, son sac, sa serviette, ils étaient tous de marques
super célèbres ! Rien que sa serviette doit coûter cinq mille yens !
- Alors que ce n’est qu’une serviette ?
- Bah
oui ! »
…..Toutefois
le nombre de filles qui se réunissaient autour de Mokuzu Umino diminuait à
chaque pause de dix minutes du matin. À midi, il n’y avait qu’une ou deux
filles, après les cours, il n’y avait plus personne. Mokuzu Umino elle-même
semblait ne pas s’en soucier, une bouteille plastique à la main, elle buvait de
l’eau sans cesse.
«……Cinglée »,
a marmonné Eiko.
J’étais la seule fille qui était complètement
indifférente à Mokuzu depuis le début. Il semblait qu’Eiko m’avait choisie
comme auditrice, elle est venue à ma place et m’a dit :
« Non
seulement elle est cinglée, mais elle est aussi belliqueuse. Est-ce normal de
parler de cette manière à quelqu’un qu’on connaît à peine ?
- Qu’est-ce qu’elle t’a dit ?
- Hum, plein de trucs. »
Je lui dis « Ah bon. » et je me suis levée. Je
m’en fiche.
Moi, Nagisa Yamada m’occupais de lapins depuis
la cinquième. J’allais immédiatement au clapier après les cours, je
franchissais la grille, je la nettoyais, je changeai l’eau, je leur donnais des
carottes et des choux. Je prenais soin de ces créatures en cage, qui seraient
mortes si je les avais abandonnés, avec une attention que je n'accorderai
jamais aux humains et avec une sorte d’affection. Mais je n’ai jamais caressé
leur tête, je ne leur ai jamais parlé. Ils ne comprendront pas ça, ce ne sont
que des animaux. Quelques instants plus
tard, alors que je sortais de la cage et que je me suis mise à marcher vers les
portes de l’école, quelque chose a touché mon occiput, cet objet est tombé par
terre et a rebondi. J’ai mis ma main sur ma tête et j’ai regardé en arrière,
l’objet tombé était une bouteille plastique d’eau minérale et la personne qui
l’avait jetée était la nouvelle qui souriait toute seule en gardant la pose du
lanceur.
« ……Quoi ? Ça
m’a fait mal.
- Qu’est-ce que tu as ?
- Ah ? »
Mokuzu Umino s’est approchée lentement de moi.
Elle boitait de sa jambe gauche. Comme si elle avait mal quelque part.
Dans le conte de la sirène……
Dans mes souvenirs, la sirène avait mal à
chaque pas comme si on lui plantait un couteau dans la jambe. « Ça fait mal, ça
fait mal……! »
Arrivée à côté de moi, une grimace défigurant
son joli visage, Mokuzu
Umino a
caressé sa jambe. Je me suis souvenu de ses bleus que j’avais vus ce matin
lorsqu’elle était tombée. « As-tu mal aux jambes ?
- Je t’ai dit que j’ai mal !
- C’est pour ça que je te l’ai demandé. »
Elle ne me comprend pas……Mon Dieu.
Boitant, les épaules tremblantes et les bras
maladifs, elle s’est mise à marcher à côté de moi. Je ne pouvais plus rien
faire alors j’ai décidé de marcher avec elle. La vitesse de mes pas était
beaucoup plus lente que lorsque je rentrais toute seule, ça m’énervait.
« Qu’est-ce
que tu as, toi ? me demanda-t-elle de nouveau.
-
Quoi ?
- Qu’est-ce que tu as toi !
- Que
tu veux dire !
- Pourquoi tu ne t’intéresses pas à moi ? »
Je me suis arrêtée.
Au milieu d’une route non goudronnée près des
champs, dans l’odeur acide du fumier, nous nous sommes regardées.
« ……Tu veux
que je m’intéresse à toi ?
- Non.
- Bien entendu, t’es une nouvelle extrêmement bizarre mais…… ».
Je me suis
moquée d’elle. Pour moi c’était tellement ridicule.
« Mais tu
n’es pas une balle réelle.
- Une
balle réelle ?
- C’est tout ce dont j’ai besoin. J’essaie de ne penser à rien
d’autre depuis trois mois. »
Derrière Mokuzu, au loin se dressait une
petite montagne. C’était le mont Nina. Au pied, il y avait un petit sanctuaire
et aussi un chemin discret. De l’autre côté se trouvait une garnison de l’armée
de défense. De temps à autre, selon la direction du vent, retentissait un bruit
lourd.
Durant ces jours languissants, parmi les
jeunes de cette ville, notamment ceux qui ont un problème familial, certains
s’enrôlaient dans l’armée. Ils sont payés, la vie est gratuite, ils peuvent
être embauchés sans diplôme, de plus, par rapport aux autres métiers ils
peuvent être indépendants et adultes plus tôt.
C’est une balle. La véritable force qui peut
contribuer à la vie. C’est tout ce à
quoi je pensais durant l’été. Mais si j’en parlais à cette nouvelle qui avait
une serviette à cinq mille yens dans son sac, c’est certain qu’elle me dirait
un truc du genre « Mange de la brioche s’il n’y a pas de pain. » J’ai fermé la
bouche et je me suis remise à marcher.
Mokuzu marchait à mes côtés. Elle
boitait d’un air douloureux. Ce bruit m’énervait.
« C’est quoi
? T’as une ampoule au talon ?
- C’est à cause d’une sorcière.
- Ah ?
Lorsque j'ai
quitté la mer pour vivre sur terre, elle m’a ensorcelée pour que mes jambes me
fassent mal à chaque pas. C’est du harcèlement. Et si je ne peux pas réaliser
mon rêve, je suis obligée d’être une ordure de la mer. Je deviendrai de l’écume
et je disparaîtrai.
- T’es bête. »
J’ai dit ces mots d’un ton méprisant et j’ai
accéléré le pas. Mokuzu s’est montée la tête et m’a suivi en boitant.
« Donc je
dois réaliser mon rêve. Comment tu t’appelles ?
- Nagisa Yamada. Et alors, c’est quoi ton rêve ?
- C’est un secret.
- C’est pas ce que tu disais ce matin ? Le truc comme quoi les
humains sont idiots etc…..
- C’est
un mensonge ! » Mokuzu a ri.
« Je me suis
dit que ça ferait rire tout le monde mais en fait, non. Ça n’a pas du tout
marché.
- C’est normal.
- Bon, je te dis mon secret », dit-elle en écarquillant ses yeux
immenses. « En vrai, je suis venue ici
pour me faire un ami, un ami important.
Quelqu’un qui fera tout pour moi. Si je ne trouve pas cette personne, je
serai une ordure de la mer.
- Hum……Ah bon. J’espère que tu en trouveras un.
- Nagisa Yamada, j’espère que ce sera toi.
-
Pourquoi ?
- T’es la plus mignonne de la classe. Mais t’es maussade……Mais bon,
comme je suis là, à partir de demain, tu seras la deuxième fille la plus
mignonne. »
Et elle m’a dit d’un ton sérieux :
« Deviens mon amie.
- ……Tu m’as dit ‘’Meurs’’ ce matin, n’est-ce pas ? Je ne pense pas
que je puisse être amie avec une personne qui me dit un truc comme ça. Non, je
ne veux vraiment pas.
- C’est ma façon de montrer mon affection.
Idiote.
»
Tout étonnée de sa réponse, je le lui ai dit
ces mots avec mépris. Mokuzu souriait toujours. J’ai décidé de lui expliquer
plus sérieusement.
« Non, c’est
de la haine, tu comprends ? »
Une nouvelle qui n’arrive pas à distinguer
l’affection de la haine ! Mokuzu a écarquillé ses yeux avec étonnement. Ensuite
elle a baissé la tête, l’air blessé.
J’ai eu peur parce qu’elle ne m’a plus rien
dit. Elle a ouvert la bouteille plastique qu’elle tenait à la main et a bu de
l’eau à grandes gorgées. Elle me faisait peur.
Derrière elle, des rizières s’étendaient à
perte de vue et au-delà je voyais la mer du Japon. Comme il n’y avait ni
autoroute ni immeuble, je pouvais voir la mer très nettement malgré cette
distance. Dans le bleu sombre, peut-être que les vagues sont hautes
aujourd’hui, je voyais des embruns blancs s’y emmêler et grouiller.
Le vert vif et la couleur de la mer sombre. Le
crépuscule s’approchant allait petit à petit teinter les champs et la mer d’une
autre couleur. « …..Désolée, je n’ai
pas le temps. »
Mokuzu a fini de vider la bouteille et elle
l’a jetée vers le champ. J’ai été sidérée, elle m’a regardé dans les yeux et
m’a dit :
« Je dois en trouver un avant que la tempête
arrive.
- …..La tempête ? »
C’était une soirée humide. J’entendais des
chants d’insectes. Un mirage se levait vaguement sur la route non revêtue. Une
odeur tiède de terre, comme si on réchauffait de la paille, venait de la
montagne. C’était une odeur de terre mélangée à celle des feuilles et de
l’humidité. J’ai essuyé la sueur sur mon
front. Mokuzu m’a dit ;
« Les gens de
cette ville ne se rendent pas compte…
- Oui ?
- Dans ce port, tous les dix ans, une grande tempête imprévisible
arrive. »
J’ai tout à coup eu mal à la poitrine comme si
de grandes mains l’agrippaient. J’ai retenu mon souffle et j’ai transpercé son
profil du regard.
Mokuzu fixait
son regard sur les feuilles vertes qui s’agitaient dans le champ. « Je dois donc en trouver un avant que la
tempête n'arrive.
- ……
- La sirène n’a pas de sexe, mais c’est une créature féminine. Elles
sont toutes nées dans cette mer et elles se dispersent partout dans le monde,
mais tous les dix ans, à la saison des amours, elles reviennent coûte que
coûte. À ce moment-là, une tempête imprévisible arrive. C’est la saison des
amours des sirènes. La tempête a aussi eu lieu il y a dix ans. Mais je ne pense
pas que tu t’en souviennes.
- …….Mais si. »
Mokuzu a continué de parler comme si elle
n’avait pas entendu ma voix basse. «
Cette année, la tempête arrivera le 3 octobre. Nous n’avons qu’un mois. Si je
ne trouve pas ce que je cherche, je devrai retourner en mer. Parce que je suis
la seule princesse, je devrai rentrer.
- Je n’ai pas oublié cette tempête. Je ne l’oublierai jamais. », ai-je
dit d’une voix basse.
Mokuzu et moi nous sommes tues. Quelques
instants plus tard, le chemin traversant les champs prit fin. Nous nous sommes
séparées et avons pris des chemins différents. Je me suis dirigée vers mon HLM.
Mokuzu est allée vers le quartier résidentiel de luxe où des maisons
somptueuses s’alignaient. J’ai continué
à marcher d’un pas assuré en me décidant à ne plus jamais parler avec
elle.
Dès que je suis rentrée chez moi, j’ai entendu
la voix de mon frère, Tomohiko, au fond du studio. Sa voix était sans intonation,
comme s’il lisait quelque chose à voix haute, comme s’il récitait un
soutra. Ma mère n’était pas là. Elle
travaillait en tant que caissière au supermarché jusqu’à tard.
Nous vivions
du salaire de ma mère et avec un peu d’aide sociale. Mais non, on ne peut pas
appeler ça une vie. Je ne pouvais jamais acheter ce que je voulais. Il n’y a
personne qui embaucherait un collégien dans cette ville, si bien que je ne peux
pas travailler. Dès que j’ai timidement
ouvert la porte, mon frère a levé la tête.
Il a relevé ses longs cheveux brunâtres. Un visage efféminé et exotique
est apparu. Mon frère est un homme incroyablement beau. Il est grand et mince,
ses yeux mouillés sont rêveurs. Il est extraordinairement intelligent, mais il
est incapable de faire quoi que ce soit.
Mon frère lisait un livre incompréhensible qui
s’intitulait l’encyclopédie des formules magiques, un truc comme ça. Il
récitait quelque chose avec sérieux.
« Qu’est-ce
que tu fais ?
- De la magie.
- Il me semblait bien. »
Je me tenais debout dans la cuisine et j’ai
commencé à préparer le dîner pour trois personnes. Un plat au soja avec une
soupe miso et une salade. J’ai lavé le
riz. Mon frère récitait encore des formules élégamment, il ne s’est même pas
levé. Mon frère se levait uniquement pour aller aux toilettes ou prendre un
bain environ une fois par semaine. Il se levait aussi quand des trucs bizarres
qu’il avait commandés sur Internet arrivaient à la maison. Tomohiko est beau et élégant, de plus il
était très intelligent et il avait d’excellentes notes. Après la mort de mon
père, ma mère comptait sur lui.
C’était le
fils dont elle était fière. Elle croyait qu’il était comme une canne magique
qui pourrait nous sortir de cette vie, mais seulement jusqu’au milieu de sa
troisième. Maintenant une voisine dit, en parlant de lui : « Tomohiko, il est,
voilà, le genre de personne dont tout le monde parle récemment, ah je me
souviens plus, hi, hi…..hi…….. ».
« Hikikomori[3],
tu veux dire ! », ai-je pensé mais je ne le lui ai pas dit. C’est mon frère tel
qu’il est actuellement. Mais même dans ma tête, je ne l’appelle jamais comme
ça.
Je pense que mon frère est un noble de
l’époque contemporaine. Sans travailler,
sans se soucier de la vie, il lit uniquement des choses qui l’intéressent,
pense, parle et vit. Pour preuve, ça fait trois ans qu’il a cessé d’aller au
collège, il n’a pas passé l’examen d’entrée du lycée, il n’est même pas sorti
de chez nous une seule fois, mais il est beaucoup plus beau qu’avant. Il a une
apparence physique comme sorti d’un rêve. Ma mère et moi avons l’impression de
nous occuper d’une belle créature en la dissimulant au gouvernement. Nourrir
mon frère qui vit en ermite coûte vraiment cher pour nous qui vivons dans la
réalité. L’aide sociale, le salaire de
ma mère, l’indemnité d’assurance de mon père, tout disparaît comme un rêve et
n’est dépensé que pour des choses incompréhensibles qu’il achète en ligne.
Mon frère, qu’il le sache ou non, il ne dit
rien. Il commande ce qu’il veut sans se soucier de nous. Et il s’enferme dans
sa chambre.
……Dès que j’ai fini de préparer le dîner, j’ai
gardé une part pour ma mère et j’ai mis une autre part pour mon frère sur une
assiette. L’assiette est chère et les baguettes laquées. J’ai attentivement
arrangé le plat au soja et la salade de façon à ce qu’elles semblent bonnes.
J’ai mis du riz et de la soupe miso dans les bols et je suis entrée dans la
chambre de mon frère. Après avoir admiré sa tête pâle aux yeux fermés, alors
qu’il était en train d’écouter de la musique, j’ai doucement mis le plateau sur
la table. J’ai négligemment mis mon repas sur la table ronde de la cuisine,
j’ai allumé la télé et j’ai commencé à dîner.
« ……Nagisa.
» J’ai entendu une voix claire comme le
son d’une clochette. J’ai levé la tête. Mon frère, qui utilisait des baguettes
si élégamment qu’on ne pourrait croire que c’était le même repas que le mien,
me souriait.
«
Nagisa.
- Oui ? »
Je me suis penchée en avant.
« Quand tu
auras fini le collège…… »
Le sourire de Tomohiko est devenu plus
large.
« Quand tu
auras fini le collège, tu deviendras soldat ?
- Oui, je le deviendrai. »
J’ai hoché la tête.
J’ai tout à coup failli pleurer.
J’ai hoché de nouveau la tête.
« Je dirai
aussi à mon professeur que je n’irai pas au lycée. Et je vais m'enrôler dans
l’armée de défense. - Il
y a aussi des filles ?
- Récemment oui. J’ai demandé à l’armée de défense, elle m’a dit
qu’il y en a cinq, qu’elles viennent toutes de cette ville. Leurs conditions de
travail sont les mêmes que pour les garçons, on n’a pas besoin de diplôme, je
serai toute de suite payée.
-……payée ?
»
Tomohiko a fait la grimace comme s’il avait
entendu un mot vulgaire. Puis il a hoché
la tête.
« C’est le
truc que tu aimes, Nagisa.
- Oui.
- La balle réelle.
- Oui…… »
J’ai avalé de la sauce soja et dit :
« Frérot, je
m’occuperai de toi toute ma vie.
- Oh. »
Tomohiko a souri avec élégance.
…..Ni moi ni
ma mère ni les amis de Tomohiko ne connaissons la raison pour laquelle il a
soudainement refusé d’aller à l’école. Mais la seule chose que je comprends,
c’est que Tomohiko qui était très populaire auprès des filles à cette époque-là
avait eu quelques problèmes avec une fille qui était entrée par effraction dans
sa chambre. Elle était très nerveuse, elle avait l’air bavarde et elle était
folle de Tomohiko. Mais quelque chose s’est produit. Depuis lors, cette fille n’est jamais revenue
et Tomohiko n’allait plus nulle part.
Lorsque j’étais écolière, je l’ai rencontrée
dans la rue. Dès qu’elle m’a vue, elle a souri et dit : Ah. Ensuite elle a ri
avec ses amies en disant « C’est la sœur de Yamada. ». Elles ont ri et elles
sont parties. Quelque chose avait eu
lieu. Ce n’était peut-être pas grand-chose mais on ne pouvait rien faire, c’est
ainsi qu’une personne change.
Je
ne sais pas ce qui lui est arrivé, si le temps peut résoudre son problème ou
non, je ne sais pas non plus ce que je peux faire pour l’aider. J’imagine que
Tomohiko lui-même ne le sait pas alors qu’il est très intelligent. Pendant que je mangeais, il m’a demandé
comment était ma journée à l’école, comme il le fait depuis trois ans. La seule
chose qui liait Tomohiko au monde extérieur comme un fil très fin, c’était mes
rapports avec les autres. Il imagine virtuellement mes journées à l’école et il
les repasse encore et encore dans sa tête. Mais ce jour-là, je ne lui ai parlé
de rien d’autre que de la nouvelle étrange, Mokuzu Umino.
« Masachika
Umino……? »
Tomohiko a
incliné la tête.
« Ah, c’est
lui. Le chanteur……
- Oui. »
J’ai hoché la tête.
Si Masachika Umino était le plus connu de
cette ville maritime minable, c’est parce que le groupe qu’il avait fondé quand
il était lycéen avait débuté et avait eu du succès à Tokyo, même après qu’il a
perdu sa popularité. Seul Masachika Umino continuait de paraître à la télé en
tant qu’acteur. Récemment il jouait un rôle de yakuza dans un film. Il y avait
une période où ses paroles excentriques, (paisible comme un cosmo etc) étaient
nommées ‘’Le monde d’Umino’’ et les gens s’en amusaient. Mais il y a quelques
années il a été arrêté pour possession de drogue, depuis lors il a disparu des
écrans.
En bref, l’homme qui avait autrefois été
populaire mais qui fut oublié de tous, c’est Masachika Umino.
« Ah bon……
»
Tomohiko a hoché la tête puis il a souri très
élégamment. Alors que j’étais en colère contre Mokuzu, il m’a dit : « Elle est mignonne, hein.
- Quoi ? Comment ça ?
- Elle est, comment dire…’’une balle en sucre’’.
- Eh ?
- Nagisa, tu voudrais tirer des balles réelles, n’est-ce pas ?
Autrement dit, une force qui influence directement le monde, une force
substantive. Mais ce que cette fille tire à tort et à travers, ce sont des
balles fictives. » Il a souri en
relevant ses longs cheveux.
« Il y a
longtemps, un homme a tué une personne avec des balles faites de sel. Il a très
fortement comprimé le sel et en a fait une balle. Il a tiré sur la victime à
côté d’une cheminée. A un tel endroit, le cadavre s’est réchauffé. Le sel dans
son corps a fondu sans laisser aucune trace.
- Hum…… »
Je me suis penché en avant.
« Mais alors,
ce type n’a pas été arrêté ? Mais s’il n’avait pas été arrêté, tu n’aurais pas
pu connaître cette histoire. A-t-il été arrêté ? Quand ? Comment ? »
Tomohiko a haussé les épaules.
« Un
excellent détective est venu et il a deviné le truquage.
- ……Ah bon. »
J’ai été déçue. En jetant un coup d’œil sur la
pile de romans policiers qui ne pourraient pas servir de balles réelles, je lui
ai dit :
« Ce n’est
pas une histoire vraie.
- Ne fais pas cette tête, Nagisa. Tu dois apprendre à t’amuser des
mensonges.
- Oui. Mais les mensonges de Mokuzu Umino m’énervent.
- Elle tire aveuglement des balles en sucre. Ce sont des balles qui
fondent dans le corps. De ton point de vue, elles ne serviront à rien mais
Nagisa….. »
Tomohiko a déposé ses baguettes d’une manière
gracieuse.
« C’était
très bon. Merci.
- Je t’en prie. »
Dès que j’ai entendu sa voix nonchalante, j’ai
soupiré et je me suis levée. Et j’ai
murmuré.
« C’est comme
un bonbon ?
- Oui, peut-être, Nagisa. »
Tomohiko a remarqué que je serrais les lèvres
d’un air mécontent et il a étouffé son rire. Tout à coup, il a repris son air
sérieux, il s’est mis un casque sur les oreilles et il a commencé à se
concentrer sur son film. Une fermeture brusque mais j’y étais habituée.
Sidérée, j’ai pris son plateau et je suis revenue à la cuisine.
■
Maintenant je marche.
C’est le
matin du 4 octobre.
Je monte un sentier loin du chemin menant au
mont Nina.
Le
chemin est couvert de mousse, il y a des pierres dures par-ci par-là. Il y a
également beaucoup de toiles d’araignée, cet endroit est affreux. J’ai mal aux
jambes. J’ai glissé plusieurs fois sur la mousse et j’ai failli tomber. Je
continue toujours à marcher.
J’ai un pressentiment. Je suis très
inquiète.
La brume blanchâtre du matin brouille ma vue.
Quelques instants plus tard, un vent froid s’est mis à souffler. En marchant dans ce paysage…… Je me souvenais d’une chose.
…..Je n’arrive pas à croire qu’un mois
seulement s’est écoulé depuis cet incident.
Le temps que je ne pourrais jamais
récupérer.
Depuis un mois, elle continuait à tirer des
balles en sucre.
■
Le lendemain et aussi le surlendemain, la conduite
excentrique de la nouvelle, Mokuzu Umino, s’est fait remarquer. Je l’ai vue en
train de faire quelque chose devant la statue d’une femme nue dans la cour.
Plus tard, je me suis rendu compte qu’en réalité, elle lui parlait. De plus,
elle ne lui parlait pas arbitrairement, il semblait qu’elle dialoguait avec la
statue. Un autre jour, elle marchait dans le couloir en chantant une chanson
bizarre.
Une fois
quand une alarme incendie a sonné, j’ai vu Mokuzu Umino s'enfuir d’un air
gêné.
La mélancolie et la distraction de cette
bourgeoise étaient incompréhensibles pour moi. De jour en jour, le nombre de
filles qui parlaient à Mokuzu a diminué, en revanche, diverses rumeurs sur
les Uminos circulaient parmi les filles. Après, quand il n’y a plus eu de filles
autour d’elle, des garçons ont tenté de s’en approcher timidement. Quand ils
lui passaient des feuilles ils en profitaient pour lui dire quelques mots ou
ils lui disaient l’endroit où se trouvaient les balais. Cela semble anodin mais j’ai vu quelques
scènes où ils faisaient le maximum pour être proche d'elle. Mokuzu ne leur parlait pas ou elle leur
répondait des choses étranges ou encore elle ouvrait une porte différente alors
qu’ils lui avaient indiqué la bonne porte…….C’était vraiment un sacré phénomène.
Lors d’une pause, l’air hésitant, mon voisin
Kanajima m’a adressé la parole ;
« Dis donc,
Yamada.
- ……Quoi ? Tu veux regarder ma note de préparation ?
- Oui.
»
Il a pris ma note puis il a
dit en copiant les éléments importants :
« Euh, non. J’ai effectivement besoin de ta note mais Yamada, tu
t’entends bien avec elle, non ? »
J’ai cru qu’il parlait d’Eiko. Je lui ai dit
:
« Oui, c’est
vrai. Mais pourquoi ? »
Comme il ne répondait pas, j’ai levé la tête.
L’air mécontent, Kanajima gardait le silence.
« ……Euh,
qu’est-ce qu’il y a ?
- Avec toi et Umino, euh, peux-tu lui demander ? Euh, donc, comment
dire…avec moi, tous les trois, ça te dit d’aller au cinéma ? - Quoi ? Moi,
Umino, Eiko et toi ?
- Eiko ? »
Nous nous sommes regardés pendant un
moment.
J’ai enfin aperçu mon erreur.
« Ah, tu
parlais de Mokuzu Umino et pas d’Eiko ? Mais non, je ne m’entends pas vraiment
avec elle. Je ne lui parle même pas.
- J’ai vu que vous rentriez toutes les deux ensembles.
- C’est
parce qu’elle m’a jeté une bouteille plastique. »
J’ai poussé un soupir.
En regardant la tête maussade de Kanajima, je
suis aussi devenue ronchonne. Je lui ai dit :
« ……Elle n’est
pas vraiment mon amie. Ce serait mieux que tu demandes ça à quelqu’un de plus
mondain. Eiko, par exemple. -
Mondain !
»
Il a étouffé
de rire.
« Hahaha,
Yamada. Tu dis des trucs drôles parfois.
- Quoi ?
- Hahaha. »
Après avoir ri, il s’est tu. Et il ne m’a plus
parlé de Mokuzu. Le cours a commencé, en prenant des notes, je me suis
finalement rendu compte que Kanajima avait pris son courage à deux mains pour
aborder ce sujet avec moi. J’ai eu mal à la poitrine. J’ai regardé son profil
du coin de l’œil…… Ah, il dort. Je me suis sentie découragée.
Je
me suis ensuite retournée en arrière pour regarder Mokzuzu Umino qui était au
fond. Elle mettait un portemine sur sa lèvre supérieure. Les lèvres saillantes,
elle avait l’art incompréhensible de le tenir sans les mains. Sa tête était
très rigolote. Dès que nos regards se sont croisés, gardant toujours la même
tête, elle m’a fait un clin d'œil. Toute déconcertée, j’ai poussé un
soupir.
Le troisième jour après l’arrivée de cette
nouvelle, aussitôt que je suis sortie de la classe, j’ai traversé la cour pour
me rendre à la cage aux lapins. J’ai entendu des bruits de pas léger derrière
moi. La personne responsable de ces bruits semblait boiter. J’ai deviné
aussitôt qui c’était, je me suis penchée sur la droite. Une bouteille plastique d’eau minérale a
effleuré le côté gauche de mon corps. Elle est tombée et de la poussière s’est
soulevée.
J’ai regardé en arrière. Mokuzu Umino en pose
de lanceur se tenait debout d’un air gêné.
« ……Quoi
?
- Le mec au crâne rasé m’a demandé d’aller au ciné avec vous
deux. - Ah bon.
»
J’ai cligné des yeux. Le fait que la tête de
cette personne est rasée signifie qu’il est membre du club de base-ball. Il y
en a quelques-uns dans ma classe mais c’était probablement Kanajima. J’ai
murmuré encore « Ah bon. » en admirant son courage d’avoir adressé la parole à
Mokuzu. « Vas-y sans moi. Ce qu’il veut, c’est un rendez-vous avec toi. » Je voulais faire la tête ou plus simplement
je m’en foutais. Je l’ai taquinée exprès de manière étrange.
En boitant,
elle m’a suivi et m’a dit :
« Mais il m’a
dit ‘’tous les trois’’.
- Il n’arrivait pas à te demander d’y aller ensemble.
- Eh oui. Parce que toi et moi, nous nous entendons très bien.
»
J’ai fait la grimace. Mokuzu hochait la tête
comme si elle en était persuadée. Autour
de nous, qui traversions la cour, le bruit que faisaient les membres du club de
base-ball, celui des garçons du club de foot qui couraient, les dribbles du
club de basket et la musique venant d’un coin du bâtiment se mélangeaient.
J’ai senti un regard sur moi et j’ai levé la
tête. Un des garçons du club de base-ball me regardait. Il joignait les mains
comme s’il me suppliait de quelque chose. Était-ce Kanajima ? Je n’arrivais pas
à le reconnaître avec son uniforme et sa casquette de base-ball. Déconcertée, j’ai dit à Mokuzu : « Alors,
allons-y tous les trois.
- Youpi !
- Mais qu’est-ce qu’on va voir ?
- Je ne sais pas. Le type au crâne rasé m’a dit qu’il achèterait des
tickets pour trois personnes.
- Ah bon. »
Distraite, je me suis dit que Kanajima
dépenserait tout son argent de poche.
En marchant,
j’ai demandé à Mokuzu qui ne se détachait pas de moi :
« Dis donc,
t’es une sirène ?
- Oui. »
Elle a hoché la tête.
« As-tu déjà
vu un film ?
- Non. », a-t-elle répondu brièvement puis elle m’a dit rapidement
;
« Parce que j’étais toujours en
mer. Les sirènes se sont dispersées partout à travers le monde. Je suis restée
longtemps en mer de Chine. C’était amusant, pourtant je ne parle pas chinois.
Je suis allée en Afrique aussi. Il faisait chaud là-bas. Mais tout le monde
revient juste avant la tempête. Les sirènes reviennent toutes à l’occasion de
cette tempête tous les dix ans et chacune pond un ou deux œufs. Et je suis
l’unique ‘’ princesse’’ de ma génération. Parmi les œufs, il y en a un seul qui
est rouge et c’est celui de la princesse. Faire éclore tous les œufs est son
travail. Donc, si jamais je me trompe de quelque manière que ce soit, ils
seront tous gâchés. En vérité, je n’ai pas le temps de visiter le monde des
humains. Haha.
- ……J’en ai marre.
- Euh, mais je te raconte tout ça parce que tu m’écoutes.
- Je ne t’écoute pas. Bon. »
Mokuzu ne cessait de m’embêter mais je suis
finalement arrivée devant la cage aux lapins. Tandis que je nettoyais
l’intérieur de la cage, elle me regardait curieusement en se penchant sur la
grille. Mais dès qu’on entendit un bruit sec et que quelques lapins blancs
sortirent, elle a poussé un cri étrange.
J’ai levé la tête et je l’ai regardée. Mokuzu était pâle jusqu’aux
lèvres, elle tremblait. Elle a tout d’un coup bu de l’eau minérale, et avait
une respiration courte. Elle m’a dit ;
« Qu’est-ce
que c’est que ça ?
- Quoi
? Ce sont des lapins.
- Qu’est-ce que tu fais avec eux ?
- Je m’occupe volontairement des animaux. Je nettoie leurs cages, je
leur donne à manger.
- ……. »
Mokuzu est redevenue très calme. En me
demandant ce qui lui était arrivé, j’ai regardé de nouveau son visage. Elle
était collée à la grille comme une enfant, transperçant les lapins du regard.
« Quoi ?
- Connais-tu les ennemis des sirènes ?
- ……Bien sûr que non.
- Ce
sont les lapins.
- Pourquoi ? »
Elle a bu de l’eau à grandes gorgées.
« Tu connais l’histoire du lièvre
d’Inaba ?
- Oui. C’est la légende de cette ville. Le lapin essaie de duper un
requin féroce pour traverser la mer, mais le requin se rend compte de son
mensonge et il le dépouille, c’est ça ? Mais à ce moment-là, un Dieu apparaît
et lui donne des médicaments……Et alors ?
- Ce requin féroce était en réalité une sirène. Notre ancêtre a eu
l’expérience très désagréable d’être dupée par un lapin. C’est pour ça que le
lapin est notre ennemi. Grrr. » Mokuzu
a grogné sur les lapins. J’étais stupéfaite. En l’ignorant j’ai sorti du foin,
du chou et des carottes. Alors que je m’en occupais gentiment, Mokuzu me
regardait comme si je faisais quelque chose d’incompréhensible.
« C’est amusant ?
- Je ne sais pas.
- Nagisa Yamada s’occupe d’animaux. », a-t-elle murmuré.
« ……T’occupes-tu d’autres animaux
?
……N, non. »
Au bout d’un moment, je suis sortie de la
cage. Le soir venait, la lumière orange du soleil couchant tombait sur la cour.
C’était éblouissant. Les membres du club
de base-ball, de foot, de basket et de concerts étaient encore là.
Je me suis mise à marcher en balançant mon
sac. J’ai passé les portes et marché sur un chemin campagnard. Mokuzu m’a suivi
en boitant. La mer qui s’étendait
au-delà des champs prenait petit à petit une vive couleur violette depuis l’horizon.
C’était le crépuscule. À cause de l’effet du soleil couchant, la couleur de la
mer paraissait effrayante.
Je me suis dit que je devais rentrer vite et
j’ai accéléré le pas. Pendant ce temps, la distance entre Mokuzu et moi se
creusait petit à petit. Quand j’ai tourné à un coin, elle avait disparu.
Derrière l’horizon, le violet de la mer
devenait de plus en plus intense, les vagues allaient et venaient.
La nuit du lendemain.
Ma mère est rentrée du travail en pleine
forme. En me demandant « Quel est le dîner de ce soir ? », elle a jeté un coup
d’œil à travers la porte de la chambre de Tomohiko comme à son habitude. Après
avoir soupiré et enlevé ses chaussures, elle m’a tout à coup fredonné la
chanson de Masachika Umino ;
« Je regardais la mer dans le ciel
embrasé……»
Surprise, je lui ai dit :
« Qu’est-ce qu’il y a ?
- Eh, quoi ? »
Je ne sais pas pourquoi mais ma mère était de
bonne humeur. Elle a mis de la nourriture qu’elle avait reçu gratuitement de
son supermarché dans le frigo. Dès qu’elle a vu le curry et l’oignon de Chine
que j’avais mis sur une assiette, elle m’a dit : « Tu savais que Masachika Umino est originaire
de cette ville ?
- Oui.
- J’ai entendu dire qu’il est revenu récemment. Qu’est-ce qu’il fait
maintenant ? On m’a dit qu’il compose et écrit des chansons. Ah, en plus il
semble avoir un gros chien de race. Hum… »
Elle marmonnait toute seule. Après avoir fini
la moitié de son curry, elle a levé la tête.
« Il a aussi une fille. Une très jolie fille qui ressemble à sa mère.
- …..Elle est dans ma classe.
- C’est vrai ? Comment est-elle ?
- C’est une cinglée.
- Es-tu son amie ? »
D’un air curieux, elle approchait sa tête de
la mienne. Étant donné que j’étais en train de faire mon devoir à table, sa
curiosité m’ennuyait.
« Euh……
- Es-tu son amie ou pas ?
- Ce dimanche, je vais au ciné avec elle.
- Alors tu es son amie ! »
J’étais sûre que demain elle dirait fièrement
à ses collègues :« Ma fille est une amie proche de la fille de Masachika Umino.
» Ça me saoule. Ma mère qui a fini son
dîner s’est levée et est allée dans la salle de bain. J’ai fait la vaisselle et
j’ai continué mon devoir. Après que ma mère est sortie de la salle de bain, je
lui ai demandé par curiosité : « Masachika Umino, comment est-il ?
- Quelqu’un de bizarre ! », a-t-elle dit en riant. Puis elle s’est
renfrognée.
«
Oui…..Il était vraiment unique.
- Tu le connaissais personnellement ?
- Il était mon aîné au lycée. Mais je ne le connaissais pas. Comment
dire…..Excentrique ? Hum…… »
Ma mère a trouvé le journal du soir, et en
l’étalant, elle a secoué la tête à plusieurs reprises.
« Hum……Mais il est certain que ce
n’est pas quelqu’un de très généreux. Ce serait fatiguant s’il était près de
toi. Ce type de personnes est intéressant uniquement quand on les regarde de
loin.
- Ah bon…… »
Le samedi de cette semaine.
Je suis allée au supermarché où travaillait ma
mère. Je devais faire des courses. En pensant à des choses qui n’ont pas de
rapport direct avec ma vie (acheter du riz la prochaine fois parce que mon sac
est lourd. Espérer que les tomates seront bon marché, parce que c’est facile de
faire une salade de tomates etc.), j’ai essayé de passer l’entrée du
supermarché.
Soudain, un grand bruit a retenti. J’ai levé
la tête, un homme grand et mince levait sa longue jambe et donnait un coup de
pied à un chariot. Le chariot a roulé à grande vitesse, il est passé juste à
côté de moi au niveau de l’entrée et il a heurté un mur en faisant un grand
bruit. Après avoir tremblé, il s’est finalement arrêté. Un gardien d’âge mûr est venu.
« M, monsieur, avez-vous un
problème ?
- Ce putain de chariot bouge pas ! »
Toute étonnée, j’ai contemplé cet homme
maigre. Poussé par son coup de pied, le chariot bougeait très facilement tout à
l’heure…..C’est vrai que l’équipement de ce supermarché était vieux et parfois
difficile à utiliser mais ce n’était franchement rien.
L’homme a fait claquer sa langue et a dit
;
« Je ne reviendrai jamais dans ce
magasin !
- Monsieur…….? »
Distraite, je me tenais debout puis mon regard
a croisé le sien.
Il était violent, Détraqué quelque part, Mais
très vulnérable.
Ses yeux
émettaient un éclat désagréable. Ma poitrine s’est remplie d’un sentiment de
rejet. Je me suis dit que je ne l’aimais pas, qu’il me faisait peur. Et je me
suis rendu compte que je connaissais ce visage.
……Ah.
C’était en fait Masachika Umino. Je regardais
souvent ce visage à la télé.
Il était plus maigre, avait l’air plus violent
que le chanteur Masachika Umino dans mes souvenirs. Seuls ses regards étaient
plus perçants qu’avant.
J’étais pétrifiée. Il semblait qu’il avait
cessé de s’intéresser à une collégienne inconnue, après avoir fait claquer sa
langue, il est passé à côté de moi. Derrière lui…… Une fille……
Elle marchait craintivement.
Le bas de sa robe noire s’étendait
doucement. La dentelle de sa poitrine la faisait paraître plus adulte. Les
jambes blanches, fines, et ses petits genoux se montraient. Sa robe devait être
celle d’une grande marque quelconque et chère. Elle portait aussi des mules
d’un design délicat comme celles des adultes. Sa tenue était chic.
Peut-être qu’elle a senti mon regard, car elle
a levé la tête.
Sur le visage de Mokuzu Umino, un sentiment
d’étonnement et une sorte de désespoir se sont esquissés.
J’ai compris que c’était en réalité Mokuzu. Je
me suis sentie désolée pour elle. Elle m’a quitté des yeux et elle est passée à
côté de moi d’un pas rapide. J’ai senti son parfum frais et sucré. Elle a couru
jusqu’à une voiture étrangère dans laquelle était brusquement monté son père
mais il a fermé la porte et a crié quelque chose. « Toi ! Rentre à pied ! Je
rentre tout seul ! »
En faisant un grand bruit, la voiture
étrangère et voyante de Masachika Umino est partie en laissant sa fille.
La robe de Mokuzu qui restait debout s’agitait
doucement.
Je l’ai regardée pendant un moment. En fin de
compte, j’ai tourné les talons et j’ai essayé de l’ignorer et d’entrer dans le
supermarché. À ce moment-là, j’ai entendu des sanglots derrière moi. J’ai finalement
changé d’avis et je suis retournée en arrière.
Debout au milieu du parking, Mokuzu Umino éclatait en sanglots. Elle était comme une enfant qui criait après
avoir été grondée par ses parents.
J’ai
acheté une petite bouteille d’eau minérale à un distributeur à côté de l’entrée
du supermarché. Avec cette bouteille, je suis allée au parking et je l’ai jetée
dans le dos de Mokuzu. La bouteille s’est envolée puis elle a atteint son dos
comme je l'avais prévu. Elle s’est retournée et après avoir frotté son dos,
elle a pris la bouteille tombée à terre.
Elle a bu 500 millilitres d’eau d’un coup et a reniflé.
Ensuite, elle m’a transpercée du même regard
que quand j’avais vu les dessous de sa jupe le premier jour. Elle a ouvert la
bouche.
« Meurs.
-
……Je ne meurs pas. Ferme ta gueule.
- Alors,
deviens mon amie.
- T’façon, demain on va au ciné.
- ……Ça te dit d’y aller ensemble en laissant le rasé ?
- Il s’appelle Kanajima. Tu dois retenir son nom. Et je ne veux pas
le laisser tout seul. Sinon, il sera triste.
- Zut ! »
Mokuzu et moi sommes restées debout pendant un
petit moment au milieu du parking. Mais il semblait que nous gênions des
voitures qui entraient. Nous nous sommes déplacées vers l’ombre de l’entrée et
nous nous sommes assises par terre.
« L’homme de tout à l’heure, c'est
ton père ?
- ……. »
Mokuzu ne m’a pas répondu.
« T’es venue pour acheter quoi
?
- Une serpe.
- ……Une serpe ? », ai-je dit d’une voix étrangement aiguë.
« On n’a pas le temps.
- Mais qui va utiliser une serpe ? Pourquoi ?
- Mon père va l’utiliser pour démembrer un cadavre.
- ……Ah bon. »
Je me suis gratté la tête. Je ne pige rien. Euh, ah, mais……
« Alors c'est
ton père.
- …….
- Masachika Umino.
- ……O, oui. »
Mokuzu l’a admis à contrecœur.
Un silence s’est abattu sur
nous.
Après avoir longuement réfléchi, comme si elle
allait me livrer un secret important, elle a approché ses lèvres fades de mon
oreille. Et elle a murmuré ;
« J’aime beaucoup mon père.
- Ha !
……Quoi ? Pourquoi tu dis ‘’ha’’ ?
- Je
ne sais pas.
- Aimer, c’est un désespoir. Tu ne penses pas ?» Je n’ai pas compris
ce qu’elle m’a dit.
Le vent tiède de la fin de l’été a
soufflé.
J’ai senti un regard venant de la caisse du
supermarché à travers la vitre. J’ai
tendu le cou, ma mère me regardait tout en s’occupant des clients. Elle
communiquait grâce à l’expression de son visage ; Nagisa, que fais-tu ici ? Il
fait chaud aujourd’hui, hein ?
…..Ah, qui est cette fille ? Elle
est très jolie. Ah, c’est elle, la fille de Masachika Umino ? Laisse-moi la
regarder. Zut, j’ai trop de clients et je ne peux pas sortir. Tu ne peux pas
l’amener jusqu’ici ? Non ? Froide.
En gros, elle me disait ça. Mokuzu a aperçu
mon regard et elle a aussi levé la tête. Elle a trouvé la caissière qui faisait
une drôle de tête et s’est mise à rire. Pendant un moment, elle a comparé ma
tête et la sienne.
« Tu lui ressembles !
- ……..
- C’est ta mère ?
- …….O, oui.
- Elle semble être une mère ordinaire. », m’a-t-elle dit d’un air
admiratif. Par ces mots, j’ai compris
que la mère de Mokuzu Umino ne semble pas être normale. « Et ta mère ?
- ……Elle est à Tokyo.
- Ah
ouais ?
- Elle n’est plus du tout populaire. Elle n’apparaît que dans des
navets.
- Ah bon……
- Ah, elle a joué aussi le rôle de la deuxième victime dans une
série à suspense récemment. »
Alors, elle
doit être vraiment impopulaire, me suis-je dit. D’un visage vraiment haineux
contrairement à celui qu'elle avait quand elle parlait de son père, elle a
ajouté ;
« C’est une salope.
- Pourquoi ?
- Parce qu’elle n’est plus du tout
populaire. Elle est désespérée. En plus, elle n’est plus jeune. Elle était
jadis une belle femme mais au visage fissuré aujourd’hui.
D’ailleurs elle a abandonné son
mari.
- Pourquoi elle l’a quitté ?
- Elle dit qu’il est fou.
- …….Hum.
- Ma mère et moi, nous nous sommes disputées et j’ai gagné. C’est
pour ça que je suis avec mon papa. Personne d’autre ne peut vivre avec lui.
» Le vent a soufflé. Ce vent tiède a fait trembler la jupe de
Mokuzu. Le bas a flotté et j’ai vu de nouveau ses cuisses blanches. Sur sa peau
se dispersaient toujours de multiples traces de coups de poing de couleur
violette, verte et rose sombre.
Elle s’est rendu compte que je les
regardais et elle m’a dit de nouveau ;
« Meurs. »
Mais je ne lui ai pas répondu.
Dès que je me suis levée, elle m’a suivi
lentement.
« Si tu veux acheter une serpe, il
faudrait que tu ailles à un autre magasin. Un magasin qui vend des outils
agricoles et du bois.
- Comme Hands ?
- Qu’est-ce que c’est que ce ‘’Hands’’ ?
- Euh, c’est un grand magasin. »
Je lui ai dit le nom du magasin qui vendait
des serpes et qui se situait sur le chemin de retour. Elle m’a pourtant répété
qu’elle ne comprenait pas. J’ai décidé d’acheter de la sauce soja, des tomates
et du poulet plus tard, et j’ai amené Mokuzu à ce magasin.
Après avoir cherché parmi les peintures, les
tuyaux et le bois, nous avons enfin trouvé des serpes. Il y avait plusieurs
tailles mais Mokuzu a choisi la plus grande sans aucune hésitation. Elle
coûtait très chère mais à la caisse Mokuzu a brutalement sorti une carte. Le nom de son père « Masachika Umino » était
marqué dessus, elle était dorée. C’était la première fois que je voyais une
carte dorée.
Huuuuum……
Mokuzu qui a fait un tel achat sans réfléchir, a porté la serpe sur son dos.
Avec les jolies mules qui l’embêtaient pour marcher, elle s’est mise à
chanceler. Le soleil était
éblouissant.
Le mont Nina semblait être plus grand que
d’habitude. Le soleil tapait fort. Les épis de riz étaient bleus et touffus, le
vent qui soufflait de temps à autre écrasait une partie du champ et en fonçait
la couleur. Comme si un titan invisible laissait des traces, la couleur
changeait par ci, par là.
En essuyant la sueur sur son front avec sa
main, elle m’a dit :
«
Que fait ton père ? »
J’ai hésité un instant. Et je lui ai dit
faiblement ; «……Il est mort. »
L’air intriguée, Mokuzu inclinait sa
tête.
« Il est mort
il y a dix ans. Mon frère a épuisé l'argent de l'assurance il y a trois mois et
c’est pour ça que j’ai décidé de travailler au lieu d’aller au lycée.
- Il y a dix ans……? », m’a-t-elle demandé en chancelant.
« La tempête
a aussi eu lieu il y a dix ans.
- …….Oui, donc, c'est à cause de cette tempête.
- C’est-à-dire ?
- Il prenait un bateau. Il était pêcheur. Ici, pas mal de gens
deviennent marins après les études à l’institut océanographique. C’était aussi
le cas de mon père. Alors que la météo disait qu’il ferait beau, une tempête
qui n’apparaissait pas sur la carte s’est levée, beaucoup de bateaux ont
chaviré. Et il est mort.
- Comment il s’appelle ?
- Eiji Yamada……Pourquoi ?
- Ah, je le connais. », a-t-elle dit nonchalamment.
J’ai eu un mauvais pressentiment.
Je ne voulais pas qu’elle profite de ma
famille par ce mensonge, d’après le terme de Tomohiko ‘’la balle en sucre’’. Ça
me faisait mal. Et ce sentiment se transformait en colère. Mais Mokuzu a
facilement transgressé cette règle. D’un ton insouciant, elle a continué ;
« Je l’ai vu au fond de la mer. Il
avait l’air heureux. Entouré de piles de trésors et de belles femmes, il
s’amusait sans s’inquiéter de ce qui se passait sur terre. Tous les marins
morts en mer sont comme ça. Ils sont heureux. C’est bien. » Je me suis tue. Mokuzu marchait toujours à ma gauche. À ce
moment-là, un camion est passé sur ce
chemin non revêtu. Je me suis penchée à droite et je lui ai dit ; « Ferme ta bouche, s’il te plaît.
- Il s’amusait à danser et à boire. La mort, ce n’est pas quelque
chose de triste. Donc, reprends tes forces, Nagisa Yamada. Et….
- Tais-toi !
- La vie au fond de la mer est joyeuse, les sirènes sont toutes
gentilles. De plus… » Alors qu’elle
faisait la sourde oreille, elle n’arrêtait pas de me bredouiller obstinément
toutes ces choses.
Au bout du compte, nous sommes arrivées à un
embranchement. Sans se rendre compte de ma mauvaise humeur, elle m’a dit : «
Merci pour la serpe, Nagisa Yamada.
- …….
- À demain. »
Elle m’a fait un grand signe de la main puis
elle est partie, toujours en chancelant.
Je regardais son dos avec un sentiment amer.
- À ce moment-là, je ne savais pas encore que c’était le dos d’une
pauvre fille qui portait une grosse serpe pour démembrer un cadavre plus
tard.
Le lendemain, le dimanche, quand je suis
arrivée à l’arrêt de bus sur le chemin campagnard à treize heures, seul
Kanajima était là ; il était assis d’un air ennuyé.
Kanajima et moi avons attendu
Mokuzu sans vraiment nous parler.
Mokuzu n’est pas venue.
Vingt minutes après l’heure qu’on avait fixée,
Mokuzu est arrivée d’un pas nonchalant sans avoir l’air de se presser. Elle m’a
fait un signe de la main en buvant de l’eau minérale. Kanajima était
apparemment soulagé. Elle ne semblait pas s’y intéresser. En fixant son regard
sur moi, elle m’a adressé un sourire : « J’ai t'ai trouvée Nagisa Yamada !
»
Le bus qui nous amènerait au centre-ville est
arrivé au bon moment. On aurait pu y aller à pied ou en vélo, toutefois
Kanajima avait proposé de prendre le bus ce jour-là. Marcher longtemps ou
prendre le vélo semblait pour lui hors de question. Nous sommes montés dans le
bus qui venait du fin fond de la chaîne de montagne Chûgoku et chacun de nous a
pris son ticket.
Une fois que le bus a démarré, le mont Nina
qui remplissait la fenêtre s’est éloigné rapidement. La mer qui s’étendait
devant nous s’approchait petit à petit. Nous nous sommes mis sur le siège large
du fond. Mokuzu au centre, Kanajima s’est assis à gauche, et moi à droite.
Mokuzu ne cessait de tourner et retourner son
ticket chiffré en le transperçant du regard.
Kanajima était tendu. J’ai
commencé arbitrairement à lui enlever des points en pensant cela : il est trop
pétrifié, alors que c’est un badin quand il est à côté de moi à l’école.
Ce serait mieux qu’il soit comme
d’habitude.
Vu que Mokuzu ne quittait pas des yeux son
ticket, Kanajima lui a dit ;
« Qu’y a-t-il ? » Elle l’a ignoré
et m’a dit :
« C’est quoi ça ?
- ……C’est un ticket.
- Pourquoi un ticket pour le bus ? »
Mon Dieu……
D’après les informations que Kanajima et moi
avons tirées de Mokuzu suite à bien des efforts, il semblerait que le bus que
Mokuzu connaissait – elle a dit le bus ‘’Vagues de la mer’’ mais en réalité
c’est sans doute l’autobus circulaire de Tokyo – avait un tarif unique quels
que soient les trajets, et les passagers devaient régler à la montée. Nous
avons poussé un soupir d’admiration.
C’était un choc culturel. Kanajima
m’a dit :
« C’est parce que le bus urbain ne
vient pas de la montagne.
- ……Ça doit être ça. »
Le bus de cette ville venait d’un village
isolé qui se situait en haut de la chaîne de montagne Chûgoku. Les personnes
qui montent à l’arrêt de départ sont dans le bus plus longtemps que les autres,
alors, c’est injuste si le tarif est le même que pour ceux qui sont montés en
ville. C’est ce qui explique l’écart des tarifs de deux cents yens à mille cinq
cents yens. Comme nous étions montés à un endroit non loin de la ville, notre
tarif était environ trois cents yens. Et pour prouver à quel arrêt on était
monté, il fallait prendre un ticket chiffré et le rendre quand on payait à la
descente.
Nous sommes
finalement arrivés aux alentours du cinéma devant la gare. On descend !
Dès que Kanajima et moi nous sommes levés et dirigés vers la porte de
devant, Mokuzu s’est aussi précipitamment levée et elle nous a suivis en
boitant. Nous avons payé et nous sommes descendus. Quand nous nous sommes
retournés, Mokuzu était en train de montrer quelque chose au chauffeur.
C’était quelque chose de semblable à une carte
d’étudiant. Pour une raison inconnue, le chauffeur a retenu son souffle un
instant, puis il a hoché la tête. Après avoir payé, pendant que Mokuzu
descendait, ce chauffeur d’âge mûr regardait fixement son dos. Elle descendait
les marches en faisant trembler ses épaules. Quelques instants plus tard, alors
que nous l’attendions distraits, il s’est aperçu de notre présence et s’est mis
tout à coup en colère.
« Elle est votre amie, hein !
Aidez-la ! »
Q…..quoi ?
Tout étonnés, Kanajima et moi nous sommes
dévisagés. Nous ne comprenions rien. Le chauffeur, qui était devenu
complètement rouge de colère a lancé la flèche du Parthe : « Les jeunes de nos
jours sont terribles ! ». Puis il a violemment fermé la porte et le bus est
parti. Tandis que nous regardions le bus
s’éloigner avec étonnement, Mokuzu semblait s’en ficher. Elle a imité le
chauffeur : « Les jeunes, de nos jours, sont terribles ! » et elle a éclaté de
rire toute seule.
Le cinéma était désert. J’avais l’impression
qu’il y avait surtout des personnes âgées. Plus tard j’ai su qu'au programme de
ce jour il y avait un nouveau film d’action hollywoodien avec plein
d’explosions et un vieux film noir français qui les rendait sûrement
nostalgiques.
Sitôt que le film d’action a commencé, Mokuzu
s’est profondément endormie. Elle s'est vraiment endormie en un clin d’œil.
Pour ma part, c’était l’œuvre de Kanajima, de plus, comme je ne pouvais venir
au cinéma que très rarement, je me concentrais sur l’écran avec ardeur. Mokuzu
était assise à ma gauche et Kanajima était assis à côté d'elle. Il semblait
indifférent vis-à-vis de Mokuzu qui dormait. En mangeant du popcorn, il était
fasciné par ce film plein de paillettes. Un peu plus tard, après que le premier
film s’est terminé et que le vieux film à suspense a commencé, contrairement à
tout à l’heure, Kanajima a poussé un faible soupir puis il a perdu connaissance
comme une bête féroce qui a reçu une balle anesthésique.
Mokuzu s’est réveillée en remuant
et a gémi ; « Ah. »
« Dis donc, Nagisa Yamada. Cette
femme qui erre, elle est belle.
- C’est Jeanne Moreau.
- Qui ?
- Une vieille actrice française. Mon frère connaît bien.
- Pourquoi elle a l’air gênée ? »
Je lui ai résumé l’histoire jusque-là, et à ma
grande surprise, elle a manifesté une certaine curiosité et a hoché la tête à
plusieurs reprises.
« …….Sérieux ?
- Chuuut !
- Elle est enfermée dans l’ascenseur ? Comment elle peut sortir
?
- Elle ne peut pas.
- Lourdaude.
- Elle n’est pas lourdaude. Alors si tu étais à sa place, comment tu
pourrais en sortir ?
- Eh, c’est facile ! »
En regardant l’écran avec admiration, Mokuzu a
murmuré faiblement. « Je suis une sirène.
- Tu recommences.
- Les sirènes peuvent se transformer en écume. Et donc hop ! Je
deviendrais une bulle et je sortirais. De la même manière, je peux m’enfuir
d’une pièce fermée. Je pourrais jouer avec la police parce que je suis toujours
libre. Hi, hi. »
J’ai ignoré cette connasse et j’ai continué à
regarder le film. Mokuzu était gonflée. Parfois elle me poussait du doigt.
« ……Arrête.
- Tu ne me crois pas ?
- Bien sûr que non. Personne ne peut sortir d’une pièce fermée.
- Ah
bon ?
- Mon frère me l’a dit.
- Bon, peut-être que ton frère a raison, mais il s’agit uniquement
d’humains, non ? » Mokuzu a répété son
mensonge avec fierté.
On est sorti du cinéma, Kanajima qui s’était
profondément endormi tout à l’heure a dit du premier film : « C’était super
intéressant ! » et il a dit pour le deuxième : « J’ai bien dormi ! ». Ensuite
nous nous sommes reposés au café. Tandis qu’il nous expliquait son programme
pour la journée -on allait ensuite aller à pied à la plage-, Mokuzu et moi nous
disputions sur un sujet qui semble tellement ridicule quand j’y repense
calmement : une personne peut-elle sortir d’une pièce fermée ?
« Je peux disparaître !
- C’est impossible !
- Je te jure que je peux ! »
Stupéfait, Kanajima se grattait la tête.
« Moi, je m’en fiche…… »
Mokuzu s’est mise à marcher toute seule, elle
a agité largement ses bras et bu de l’eau à grandes gorgées. Elle a continué à
parler vigoureusement.
« Je te
promets, je peux devenir une bulle. Parce que…… - Alors montre-moi.
- O…..oui. »
Elle a hésité un instant. Puis elle s’est reprise :
« Alors, la semaine
prochaine…..
- Non. Maintenant, tout de suite.
- Eh
?
- Tu m’as dit que tu pouvais. »
De mauvaise humeur, je l’ai
défiée. Elle serrait fermement les lèvres mais quelques instants plus tard,
elle a hoché la tête :
« ……Oui ! »
Et elle nous a demandé de la suivre.
Nous avons marché lentement sur le chemin que
l'on avait fait en bus. Nous étions silencieux tous les trois. De temps en
temps, un camion-benne nous dépassait en tremblant. De la bouse mélangée à de
la paille avait été écrasée et elle recouvrait finement l’asphalte. Les rayons
du soleil de l’été étaient éblouissants. Dans les environs d’un beau quartier
résidentiel, quelques voitures qui avaient l’air luxueuses passaient. En fin de compte, nous sommes arrivés devant
une grande maison blanche située dans ce quartier. C’était une maison sans
décor ressemblant à une pierre découpée et carrée. Je ne sais pas si c’est ce
qu’on appelle le style moderne. Les fenêtres étaient toutes petites et elles
étaient toutes en haut. Devant la maison, il y avait une haie vive plutôt
petite, des fleurs de fraisiers s’épanouissaient fièrement. « C’est quoi, ça ?
- C’est chez moi. »
Kanajima a murmuré discrètement : « Mon Dieu »
« Et alors, c’est donc la maison de Masachika Umino ? Mon Dieu !
- Je
vais disparaître dans cette maison.
- Comment ?
- En me transforment en écume. »
Ennuyée, j’ai poussé un soupir. J’ai regretté
de m’être disputée avec elle. Mais elle
semblait s’amuser. Elle a dit en regardant sa montre :
« Exactement une minute après que
je serai entrée dans la maison, je vais devenir une écume et disparaître, pour
prouver que je suis une sirène authentique.
- Hm…… »
Elle a approché sa tête de la
mienne et m’a murmuré :
« Au premier arrêt de bus dans une
demi-heure.
- ……Quoi ?
- Je vais t’attendre. »
Mokuzu a jeté de nouveau un coup d’œil à sa
montre puis elle s’est mise à marcher vers le perron, pas à pas. Une fois
arrivée, elle a ouvert la grande porte blanche. C’était vers le soir mais il
faisait encore chaud. Nous étions debout sous les forts rayons du soleil. Il
m’a semblé qu’il était cinq heures.
J’ai entendu la sirène de la mairie au loin.
La porte s’est fermée. Kanajima et moi,
nous nous sommes dévisagés. Nous avons
naturellement regardé nos montres.
Une minute s’était écoulée.
……J’ai cru avoir entendu un bruit
imperceptible. Nous nous sommes regardés de nouveau.
« ……Hé, comment on peut vérifier ?
- Je ne sais pas. »
Je me suis craintivement approchée de la porte
des Uminos, j’ai frappé à la porte avec réserve. Personne ne venait.
L’air gêné, Kanajima m’a dit :
« Elle croit donc que ça peut être la preuve ? C’est une gamine ou
quoi. D’ailleurs, elle clame toujours
qu’elle est une sirène, j’en ai marre de cette folle.
- Mais tu en es amoureux.
- J’sais pas moi. Peut-être que non. », a-t-il murmuré d’un air
ennuyé.
« Elle m’énerve de plus en plus,
a-t-il dit.
- …....Enfin ? C’est pour ça que tout le monde l’évite. »
J’ai discrètement sonné à l’interphone mais
personne ne m’a répondu. J’ai appelé plusieurs fois mais le résultat était le
même. Je m’énervais de plus en plus et j’ai crié :
« Hé, Mokuzu Umino ! Tu m’entends
? Reviens, s’il te plaît ! » J’ai tendu
ma main vers la poignée, la porte s’est ouverte.
Le regard de Kanajima s’est arrêté au seuil.
J’ai inconsciemment suivi son regard. «
Ah……? », ai-je murmuré.
Sur le seuil, il n’y avait aucune
chaussure.
J’ai regardé Kanajima.
« Elle est
entrée dans la maison avec ses chaussures ? m’a-t-il dit.
- Je,
je ne sais pas. »
Il y avait un vase contenant des fleurs dans
l'entrée. Elle était déjà si spacieuse qu’on pourrait y vivre. Un grand couloir
brillant s’allongeait vers le fond. Kanajima et moi avons crié : « Umino ! », «
Hé, Mokuzu ! ». Après avoir doucement enlevé nos chaussures et dit : « Bonjour
», nous avons avancé dans la maison. Il y avait une grande cuisine, dans le
salon étaient posés une immense télé et un piano. Une bouteille de liqueur
occidentale était sur le comptoir.
- Personne n’était dans cette maison.
Il semblait qu’il n’y avait pas de porte de
service, on pouvait passer uniquement par la grande porte de tout à l’heure.
Les fenêtres étaient toutes fermées à clé de l’intérieur.
Je n’ai pas trouvé de sous-sol.
Kanajima a même examiné le toit et a murmuré d’un air intrigué : « Elle n’est
vraiment nulle part. » et il est resté debout.
Je suis allée dans la salle de bain et j’ai
senti une odeur étrange. Elle m’a rappelé celle des poissons. C’était une odeur
de pourriture semblable à celle que je sentais au marché. Dans la baignoire était posée une
serpe.
C’était la grande serpe qu’on avait achetée
ensemble la veille.
Kanajima est aussi venu. Il l’a trouvée et a
dit :
« C, c’est quoi ce truc ?
- Je ne sais pas. »
Kanajima a fait une grimace pleine de dégoût
puis il est sorti dehors. Au moment où j’ai essayé de le suivre, j’ai aperçu
quelque chose de rouge et sombre qui était collé dessus et je me suis
arrêtée. Je me suis agenouillée pour
observer cette chose collée. « ……Du sang ? »
Oui, c’était en effet du sang.
Distraite, j’ai levé le regard et j’ai
réfléchi.
Mais la réflexion ne m’a menée nulle part.
Je suis sortie de cette maison blanche qui
n’était pas fermée à clé alors que personne n’était là ; Le vague à l’âme, j’ai
dit au revoir à Kanajima qui ne semblait pas comprendre cette situation comme
moi.
Au moment où j’ai commencé à me diriger chez
moi, je me suis souvenu tout à coup de ce qu’elle m’avait dit. Je me suis mise
à marcher vers l’arrêt de bus auquel elle m’avait dit qu’elle m’attendait. Les
épis de riz vifs agités et la mer d’un bleu sombre. L’asphalte durait à
l’infini. L’arrêt de bus légèrement penché était là.
Là-bas……,
Mokuzu…….,
Était assise.
Je m’en suis rapprochée nonchalamment, elle a
levé sa tête et m’a dit d’un air joyeux :
« Yo ! …….Mais tu es tard !
- Je te cherchais.
- Hi, hi.
- ……Dis donc, comment as-tu fait ?
»
Mokuzu riait toute seule d’un air heureux. Le
vent a soufflé, et a agité ses cheveux noirs et lisses. Ses gros yeux étaient
fixés droit sur moi. Elle a continué candidement :
« Le rasé, il est rentré ?
- Oui. Il faisait une drôle de
tête.
- Alors, ça te dit d’aller quelque
part ensemble ?
- …….Pourquoi. Je rentre chez moi.
L’objectif d’aujourd’hui, le rendez-vous de toi et Kanajima s’est terminé. »
Mokuzu est devenue si déçue que cela m’a
surpris.
« Pourquoi. Alors qu’on a réussi à
semer le rasé.
- Eh ? Dis, tu as fait ça pour le
semer ? »
Elle ne m’a pas répondu. Elle avait l’air
gênée. Peut-être qu’elle s’est aperçue de ma colère, elle a fait la moue et a
dit :
« P, parce que…….
- Tu ne le prends pas en pitié ?
- Mais moi, je lui ai dit oui
parce qu’il m’a dit que Nagisa Yamada viendrait aussi. Il doit déjà comprendre
ça. De plus, je ne pense pas que j’avais l’obligation de le satisfaire. »
Tout à coup, elle a fait le raisonneur : ce
qu’elle m’a dit me semblait à la fois raisonnable et arbitraire. Je ne savais
plus quoi répondre et je me suis pris la tête entre les mains. En même temps,
l’antipathie envers elle surgissait en moi. Je ne pouvais plus m’arrêter. En
colère, je lui ai dit :
« J’en ai marre de toi. Tu ne fais
que mentir, les sirènes, la pièce fermée…..
- Je, je n’ai pas menti ! »
Le visage sérieux, elle m’a répliquée. J’ai
senti dans son regard quelque chose de tendu auquel je ne devais pas lâcher ma
garde et j’ai fermé ma bouche.
« Je n’ai pas menti. C’est normal
qu’il y ait beaucoup de monde qui ne me croient pas mais au fond de la mer du
Japon, il y a réellement une commune de sirènes et je suis leur princesse. Je
vis dans un monde des humains en ce moment mais…..mais je ne mens pas. Je ne
mens pas !
- …….Si, tu mens. Arrête, s’il te
plaît.
- Tu te trompes. Tout à l’heure,
j’ai disparu en me transformant en une écume. Exactement une minute plus tard
après que je suis entré dans la maison. Parce que je mets une minute pour
devenir une écume. C’est ainsi que j’ai disparu. Je ne mens pas.
- Tu ne fais que mentir. Mokuzu
Umino est une sale mythomane !
- Nooon ! »
De ses yeux noirs, elle a commencé à verser
des larmes, la salive ou de l’eau minérale coulaient de sa bouche.
« Pourquoi tu ne me comprends pas
? Je ne mens pas, tout est vrai.
- Hier aussi, tu m’as dit des
trucs bizarres, que tu cherchais une serpe parce que…… »
Au moment où j’ai émis le mot ‘’serpe’’, son
visage fut tendu.
« Parce que ton père voudrait
faire un cadavre démembré. Pourquoi tu essaies toujours de faire des mensonges
choquants ? T’es ridicule. C’est à ce point que tu veux attirer l’attention des
gens ? En réalité, tu as déjà réussi. Tu te fais remarquer, tu es isolée et
moquée par tout le monde.
- Euh, euh, euuuuuuuuh………. »
Mokuzu s’est mise à gémir.
« Euh, je ne mens pas. Euh……… »
En versant de grosses gouttes de larmes :
« J, je ne mens pas.
- Alors où est ce cadavre démembré
? Si c’est vrai, c’est un meurtre. Ton père sera arrêté, n’est-ce pas ? Ah, ou
c’est toi qui a tué quelqu’un et ton père a dû cacher le cadavre pour toi ?
Ou……. »
Je me chauffais. Je n’étais pas tout à fait
comme moi. Ce n’était vraiment pas moi. Aujourd’hui je n’ai trouvé aucune
balle. Attrapée dans un monde plein de sucre de Mokuzu Umino, je semblais
détraquée. Je me montais la tête, j’ai énuméré toutes les possibilités que je
pouvais suggérer pour devancer ses mensonges.
« …….Ah, oui. Tu as un chien,
n’est-ce pas ? Un gros chien. Celui qui a été tué est ce gros chien et pas un
homme ? L’assassinat d’un chien ne sera pas une affaire, on a juste le risque
d’être arrêté pour les services sur animaux. Mais c’est beaucoup moins grave
par rapport à un meurtre. C’est ça, non ? Celui qui a été démembré est ce
chien. Ou……
- Oui. »
Mokuzu m’a dit sèchement.
J’ai fermé la bouche.
« ……ha ?
- Je t’ai dit que oui. »
Elle a indiqué le mont Nina du doigt. Le vent
a soufflé et a agité les bas de nos jupes.
« Mon papa a tué Pochi qu’on
affectionnait tant.
- …….Pourquoi ?
- Euh, il l’a battu avec un bloc
de pierre.
- …….
- J’imagine que papa ne pensait
pas qu’il serait mort. Parce que c’est un gros chien. Mais en réalité, il a
épuisé toutes ses forces et il est mort. Puis papa a beaucoup pleuré. Il m’a
proposé de faire sa tombe sur la montagne. Mais c’était difficile de le porter,
on a acheté une serpe et on l’a découpé en quatre. Hier soir, nous sommes allés
au mont Nina pour le jeter. Papa a écrit une lettre pour Pochi. ‘’Au revoir,
Pochi.’’ Donc….. »
Alors qu’au début elle parlait d’une voix
monotone, au fur et à mesure, elle s’animait et devenait éloquente. Au final,
elle a commencé à me raconter en agitant largement ses bras. J’en avais marre,
je lui ai tourné le dos et je me suis mise à marcher. Je devais préparer le
dîner chez moi.
Elle a couru pour m’attraper. Le bruit
sinistre que faisaient ses pas boîtant s’approchait.
« Je ne mens pas, Nagisa Yamada. »
Je me suis arrêtée.
« ……Vraiment ?
- Oui.
- Tu me promets ?
- Oui.
- Si c’est un mensonge, tu me
jures que tu ne mentiras jamais ?
- Euh……. »
Mokuzu a hésité.
« ……O, oui.
- Alors, allons-y. »
J’ai tourné les talons. J’ai commencé à
marcher vers le mont Nina. Mokuzu a agité ses mains comme si elle paniquait :
« On va où ?
- Au mont Nina, pour voir la tombe
de Pochi.
- N, Nagisa Yamada……
- Tu m’as dit que tu ne mentais
pas. », ai-je dit fort d’un ton tranchant.
En traînant Mokuzu qui manifestait fort son
mécontentement, nous sommes entrées dans l’itinéraire d’excursions à pied du
mont Nina. Mokuzu pleurnichait au début, dès qu’on s’est enfoncé dans la
montagne, elle a commencé à pleurer.
« Noon !
- Pourquoi ? C’est le chien que tu
aimais, non ?
- Je ne veux pas voir !
- Moi non plus……s’il est vraiment
là. »
■
Et maintenant, je monte le mont Nina que je
suis allée avec Mokuzu à ce jour-là.
C’est le matin du 4 octobre –
Je me souviens de Mokuzu Umino épuisée, qui me
suivait les larmes aux yeux.
À ce moment-là, je m’énervais pour une raison
incertaine. Je plainais Kanajima dont elle ne retenait toujours pas le nom et
qu’elle l’appelait ‘’le rasé’’. Mokuzu qui marchait derrière moi en pleurant
m’a dit : « Je vois. Tu es amoureuse de ce rasé. J’ai raison, non ? Nagisa
Yamada. » et ça m’a encore énervée inutilement. La maison blanche et splendide
des Uminos était aussi l’une des causes qui m’irritait. J’étais indignée contre
Mokuzu qui n’avait aucune balle, contre moi qui étais impuissante devant elle.
C’est ainsi que je l’ai traînée et monté cette
montagne……
« Nagisa ? »
La personne qui marche à côté de moi s’est
aperçu de mon visage totalement pâle et m’a adressé la parole.
Dans la brume matinale, son apparence
disparaissait et surgissait. La brume blanche nous couvrait tel un voile fin
puis nous libérait.
« Ça va ? Nagisa. »
Cette personne m’a murmuré. Je me suis
efforcée de hocher la tête.
« …….O, oui.
- Tu veux qu’on se repose un peu ?
- Non, ça va. », ai-je dit en
secouant la tête.
« ……En plus, j’aimerais vite
confirmer, je veux savoir.
- D’accord. On y va. »
Le matin du 4 octobre –
Je monte le mont Nina maintenant.
■
« Dis donc, ton frère est-il
comment ? »
Un certain moment plus tard depuis que nous
nous sommes mis à gravir le mont Nina, en glissant de temps en temps sur la
mousse mouillée et criant sur des toiles d’araignées, mon nouvel amie
incompréhensible, Mokuzu Umino s’est reprise, elle est devenue tranquille, puis
elle a bizarrement voulu bavarder avec moi. Alors que je me taisais d’un air
maussade, Mokuzu ne cessait de me poser des questions. Elle répétait des choses
qu’elle m’avait déjà dites et elle y répondait toute seule en imaginant
autoritairement mes réponses.
« Dis, dis, dis….
- Arrête, s’il te plaît. »
Le chemin de montagne était couvert de mousse.
À mes pieds envahissaient des fougères et de mauvaises herbes que je n’avais
jamais vues. Au-dessus de moi, il y avait des branches d’arbres et des toiles
d’araignée. J’avais du mal à marcher. Je portais des sneakers mais Mokuzu
couvrait ses petits pieds frêles des mules élégantes comme celles pour les
femmes adultes, si bien qu’elle glissait souvent et elle a failli tomber
plusieurs fois. De plus, elle criait beaucoup. Même dans une telle situation,
elle ne cessait de me parler.
Il me semble que Mokuzu craignait le silence.
Elle avalait la salive sans cesse. Après avoir bu de l’eau minéral à grands
traits, elle m’a dit :
« Réponds, ton frère est-il
comment ? Il te ressemble ? »
Le mont Nina était si silencieux que j’ai eu
peur. C’est comme s’il n’y avait aucune créature autour de moi. La voix aigüe
de Mokuzu retentissait jusqu’à loin. J’ai finalement cédé, gardant l’air
maussade, je lui ai dit :
« C’est un ancien excellent élève.
Il était beau et sympa. Maintenant, euh……c’est un elfe.
- Elfe ?
- Ouais. Chez moi est la forêt
d’elfes. Et je suis la gardienne. »
En balbutiant, je pensais à mon frère, le bel
elfe, Tomohiko. Dans mon souvenir de l’enfance, Tomohiko était un garçon tout à
fait ordinaire. Il était intelligent, lisait beaucoup. Parfois il se comportait
bizarrement mais c’était le genre de comportements que font souvent les garçons
de cet âge, une sorte d’imprudence incompréhensible pour les filles : escalader
un arbre sans raison, tomber de là et se casser la jambe. Faillir noyer dans
une rivière etc.
Il y a trois ans, mon frère a tout à coup
arrêté de vivre sa vie. Enfermé dans sa petite chambre, il réfléchissait
diverses choses, il souriait, il prenait son repas au minimum……
Mon frère est devenu un observateur.
Il observe toutes les phénomènes —.
Je pensais vaguement que c’est quelque chose
qui ressemble au ‘’point de vue de Dieu’’. Un grand Dieu qui ne fait
qu’observer d’au-dessus des nuages même si quelqu’un lui fait une prière ou si
quelqu’un est agonisant. Tomohiko s’approchait petit à petit d’un tel être.
C’était…….
Ce n’était, plus, mon frère.
Quand j’étais beaucoup plus petite, je me suis
perdue dans une fête d’été. Il a couru partout pour me retrouver. À ce
moment-là, il venait d’entrer au collège, j’étais encore petite. Pendant que je
pleurais au département d’enfants perdus, Tomohiko est arrivé avec entrain
comme le héros d’un manga.
« Nagisa ! »
Il m’a appelé d’une voix grave qui venait de
muer et il a faiblement agenouillé devant moi en disant : « Tu étais ici. » Des
adultes du département nous ont apporté du jus pour nous détendre. Tomohiko se
reprochait de m’avoir perdue de vue, et il a toujours été morose ce soir.
Autrefois, parfois Tomohiko m’a fait peur.
Lorsque je touchais ses jeux vidéo ou que je mangeais du gâteau toute seule, il
se mettait sérieusement en colère. Il était aussi méchant de temps en temps
mais il était gentil.
Maintenant Tomohiko n’est ni gentil ni
méchant. Mon frère ne crierait jamais ni ne courrait pour moi. C’est ce que je
sentais vaguement. Je n’avais ni père, ni frère, ni petit ami. Je me suis dit
qu’il n’y avait aucun homme qui courrait pour moi. Une désespérance a déferlé
sur moi.
« Ah, oui……
- Eh ? »
J’ai tout à coup eu envie de poser une
question à Mokuzu. Elle marchait devant moi puis m’a regardée. En essuyant la
sueur sur son front, elle m’a dit :
« J’ai chaud. J’ai la flemme.
Rentrons.
- Non. Au fait…… »
Je me suis souvenu de la conversation que
j’avais faite hier soir avec mon frère divin, Tomohiko. Il m’avait dit avec un
sourire si grâce :
« Connais-tu un quizz qu’on ne
doit pas gagner ? »
C’était pendant le moment court du dîner, qui
était notre presque seule occasion de discussion.
Il m’a dit :
« D’accord, Nagisa ? Ne gagne pas
ce quizz.
- P, pourquoi ?
- Jusqu’à présent, seule cinq
personnes ont gagné ce quizz. »
Il cherchait à me faire peur. Tandis que
j’étais gênée, il a continué en agitant ses longs cheveux d’un air amusant.
« Un homme est mort d’un accident
ordinaire. Il avait une femme et un enfant. À ses funérailles, un de ses
collègues a assisté. Ce n’est peut-être pas une occasion pertinente, mais en
tous cas, ce collègue et sa femme se sont plus l’un et l’autre. En bref, ils
sont tombés amoureux. Mais ce soir, son enfant laissé a été tué. L’auteur du
crime était sa femme. Elle a tué son enfant de ses propres mains. Et d’après
toi, pourquoi ?
- P, pourquoi……? »
J’ai clignoté les yeux en me disant que je
n’en avais aucune idée. L’air satisfait, Tomohiko a hoché la tête et m’a dit :
« Tu sembles être perdue, ma sœur.
- Oui, bien sûr.
- Alors, tu ne comprends pas ?
- ……..Tant pis pour toi. Je n’en
ai aucune idée.
- Hum. »
Avec un plein sourire, il m’a dit d’un ton
joyeux :
« D’après une théorie, cette
question est utilisée pour l’expertise psychiatrique des auteurs mineurs du
meurtre sexuel. Les 99, 999 pourcent des gens ne savent pas y répondre
correctement. Jusqu’ici, seules cinq personnes ont donné la bonne réponse.
C’est…….. »
Tomohiko a énuméré les noms des auteurs
mineurs de meurtres sexuels connus qui ont eu lieu dans ces décennies. Alors
que je le regardais d’un air perdu, il m’a dit :
« Bon, le quizz qu’on doit rater,
c’est fini. Ma sœur est normale. À plus, Nagisa. »
Et il a fermé la porte en me laissant toute
seule.
- Je me souvenais donc de cela. J’ai eu envie
de poser la même question à Mokuzu qui marchait à côté de moi. Elle a hoché la
tête à plusieurs reprises en buvant de l’eau, puis elle m’a dit :
« …….Pourquoi ?
- Je ne sais pas.
- Pourquoi l’enfant est mort ? Eh,
c’est la femme qui l’a tué ? …….Je n’y comprends rien. Euh……pourquoi ? »
Ce matin, quand j’avais apporté le petit
déjeuner à la chambre de Tomohiko, en profitant de son état endormi, j’avais
tiré la bonne réponse de sa bouche. Toutefois à ce moment-là, comme j’avais
envie d’être méchante avec elle, je ne lui ai pas donné cette réponse.
« Tu peux y répondre en une seule
phrase.
- Eh, combien de mots ? Combien de
mots ?
- Euh, un, deux, trois,
quatre…..cinq.
- Euuh, en hiragana ? Ou en kanji
?
- Ça ne change pas le nombre de
mots. Tu ne comprends pas ?
- ……Nooon. »
Elle a fait la moue.
J’étais rassuré car je croyais que j’ai pu
prouver qu’elle était aussi ordinaire. Mais en même temps, j’étais un peu
déçue. Elle n’est qu’une gamine un peu menteuse et rien de plus, me suis-je
dit. Je me suis sentie un petit peu découragé.
Mokuzu devait être quelqu’un de beaucoup plus
normale que l’on ne le pensait. Sans doute, elle aimait juste attirer
l’attention des gens. Elle devait être gênée de ne plus pouvoir rectifier les
mensonges qu’elle avait faites juste pour étonner les gens. Maintenant elle
devait réfléchir comment elle pouvait s’excuser sur le fait qu’il n’y pas de
cadavre du chien sur cette montagne.
La pente devenait de plus en plus abrupte.
Nous commencions à souffler un peu.
Un certain moment plus tard, la vue s’est
dégagée. Nous sommes sorties sur un endroit avec moins d’arbres où un seul banc
vieux en bois était mis. Nous pouvions dominer la ville en tout bas et la mer
du Japon sombre qui s’étendait à l’infini. Mokuzu a gémi. Dans un quartier de
la ville s’agglomérait des immeubles relativement hauts et la gare était au
centre. Le toit presque cassé de la galerie arcade fine. À part cela, il y
avait un asphalte long, des champs et des maisons parsemées.
Un vieux navire ancré à la plage. Une ligne de
camions.
C’était un monde tellement petit. On dirait un
jardin miniature démodé.
Je me suis sentie bizarre comme si quelqu’un
serrait ma poitrine. Je m’énervais et j’avais honte que la nouvelle qui venait
de la grande ville, la fille d’une célébrité avec ses mules élégantes regarde
ce paysage.
À ce moment-là, en s’étirant elle a murmuré :
« Euuh, c’est bien joli, n’est-ce pas ? »
J’ai ouvert la bouche pour lui répondre, mais
je n’ai pas pu trouver de bons mots. Avec un sentiment étrange qui ressemblait
à la fois à celui de dépit et de soulagement, ou d’autres choses, j’ai fermé la
bouche sans rien dire.
Sans se soucier de moi, elle a tout de suite
oublié le paysage, en repensant au quizz de tout à l’heure, elle marmonnait : «
Je ne comprends toujours pas……Mais bon. » Ensuite, elle a commencé à
m’interroger sur mon frère.
En lui répondant distraitement à ses
questions, j’ai senti que l’image de Tomohiko se concrétisait petit à petit
dans l’esprit de Mokuzu.
Cela m’a donné un malaise inexplicable.
En bref, je ne voulais pas qu’elle ait pitié
de moi.
Cette fille unique d’une célébrité, qui
pouvait utiliser librement la carte d’or de son père, avec une belle tête
ressemblant à sa mère, devait commencer à comprendre ma situation, que je
vivais toujours à la campagne, que je n’avais ni avenir ni père, de plus mon
frère sur lequel je voulais compter était un véritable hikikomori. J’avais
honte. J’avais peur que ce sentiment d’admirer mon frère s’effondre facilement
à cause de son seul mot.
Mokuzu m’a murmuré en marchant :
« Je ne sais pas car je ne l’ai
jamais rencontré…
- …….
- Ton frère semble être quelqu’un
de très gentil. Tu es aussi une bonne fille. Tu penses toujours à ta famille.
Je pense que tu t’entends très bien avec ton frère. Il doit être quelqu’un de
vraiment bien. J’en suis sûr, Nagisa Yamada. »
J’étais déconcertée. Je me suis concentrée à
regarder le profil pâle de Mokuzu Umino, qui essayait de me le persuader. Son
expression était littéralement désespérée. Il me semblait qu’elle mitraillait
de bonnes balles même si elles n’étaient pas réelles pour me galvaniser.
J’étais sidérée mais en même temps
j’apercevais l’aspect dissimulé sous sa peau excentrique. J’ai continué à
marcher en me disant cela toute seule.
Il y a quelques jours, lorsque je lui ai parlé
de mon père mort dans une tempête, elle n’a cessé de me dire qu’il menait une
vie heureuse au fond de la mer alors que je lui demandais d’arrêter. Peut-être
que cette fille bizarre m’a inventé cette histoire pour me consoler de sa
manière.
C’est ce que j’ai pensé. Sa gentillesse était
complètement dérivée et c’était honnêtement embêtant. De plus, cela me gênait
qu’elle parlait de Tomohiko qu’elle ne l’a jamais vu. Mais en tous cas, j’ai
continué à avancer la bouche fermée sans m’énerver de ses balles en sucre.
Mokuzu devenait aussi silencieuse. Le soleil
s’inclinait de plus en plus. En essuyant la sueur sur nos fronts et dégageant
des toiles d’araignée, au final —.
Nous sommes arrivées à un endroit étroit et
isolé qui se trouvait à la fin de ce sentier. C’était un terrain sombre et
mouillé sur lequel on pourrait peut-être bâtir une petite maison.
Il y avait une petite colline de feuilles
mortes.
Au sommet était mis quelque chose.
Cet objet était partiellement rouge et noir.
Qu’est-ce que c’est que ça ?
L’air triste, Mokuzu a indiqué cet objet rouge
noir du doigt et a dit :
« …….Pochi ! »
Je me suis finalement rendue compte.
C’était le cadavre du chien démembré par une
serpe.
Je me suis agenouillée sur place, j’ai vomi.
■
Je monte le
mont Nina.
Je monte et emprunte le même chemin que ce
jour-là. Sauf qu'alors le soleil se couchait, et que maintenant c’est le matin
juste avant que le soleil se lève. Mais j’ai un étrange sentiment de déjà-vu
dans cette pénombre. J’accélère le pas, mes épaules tremblent, je continue à
gravir le mont.
Les vestiges du brouillard nocturne font luire
la mousse. J’ai glissé et failli tomber.
L’herbe est aussi mouillée et glissante.
Les feuilles mortes qui tombent reflétant la
lumière et une petite fleur blanche qui vient de s’épanouir.
Quelques moments plus tard, je suis parvenue à
cet endroit dégagé. Je dominais mon jardin miniature face à la mer et la petite
ville sale. Le seul banc, vieux, était penché, il me semblait qu’il était déjà
à moitié pourri.
La mer –
La mer émet une lumière pâle, illuminée par le
soleil levant. Je la trouve belle.
«
Ça va,
Nagisa ? »
J’entends une voix.
J’ai levé la tête : Tomohiko qui marchait à
côté de moi me regardait, c'est lui qui m'avait posé cette question.
J’ai respiré profondément.
« O, oui…… »
J’ai hoché la tête vers le profil de mon frère
inquiet. J’ai accéléré encore le pas.
Et,
Je me souviens
De la chose que j’avais vue ce jour-là.
■
Pendant que je ne cessais de vomir, l’air
paniquée, Mokuzu me disait : « Je suis désolée, je suis désolée, Nagisa Yamada.
Je suis désolée…… ! » Elle caressait mon dos, elle hoquetait, s’attachait à mon
bras et elle abreuvait ma tête de son eau minérale.
Les parties noires étaient d’un poil court et
lisse, c’était un beau chien comme un chien de velours. Les parties rouges
formaient une coupe tout le long. Le chien avait été brutalement coupé en
quatre. Ses morceaux étaient soigneusement entassés à un même endroit. Au
sommet, la tête était posée.
Les grosses oreilles tombantes.
La langue longue pendait comme une autre
créature.
De grosses mouches grouillaient en
bourdonnant.
Mokuzu Umino était troublée et elle a
bredouillé très vite :
« Mais c’est toi qui m’as dit de
le montrer. C’est Pochi. Il était vivant jusqu’à hier. Jusqu’à trente minutes
avant que je te rencontre au supermarché. Papa l’a frappé avec un bloc de
pierre, alors sa cervelle est sortie et il est mort, en gros c'est comme ça que
ça s'est passé. Papa a essayé de le soulever mais comme il est gros, il n’a pas
du tout bougé. Papa est quelqu’un d’impulsif mais il n’a pas de force. Nous
sommes sortis ensemble pour chercher une serpe. Parce qu’on ne peut pas laisser
un animal dont la cervelle est sortie du crâne, n’est-ce pas ?
- Euh…….Euh………
- Nagisa Yamada, ressaisis-toi ! »
J’ai pleuré et pleuré et pleuré. Mokuzu
pleurait aussi. Elle ne cessait de me demander pardon.
« Je suis désolée, désolée,
désolée…… !
- ……….Euh. Dis donc……. »
J’ai finalement pu me lever. En soufflant,
j’ai regardé le visage de Mokuzu. Ses gros yeux noirs me regardaient tout
droit. Les gouttes transparentes de larmes tombaient sans cesse. Nous nous
sommes regardées devant le cadavre démembré du chien. « Aimais-tu ce chien ?
» Mokuzu a incliné la tête d’un air
intrigué. « Ouais. Je m’en occupais depuis qu’il était chiot. - Il
avait quel âge ?
- Il est mort à deux ans. Il était très jeune. »
Après m’avoir murmuré ces mots, elle m’a souri
en pleurant.
D’un pas chancelant, je me suis approchée de
cet objet rouge-noir.
Un papier sur lequel il était écrit « Au
revoir, Pochi » était posé dessus. L'écriture était très brutale mais
émotionnelle.
Je restais debout, sans un mot. «
……Pourquoi ? »
J'ai regardé en arrière et je lui ai dit ces
mots.
Elle était complètement immobile. Parfois,
elle faisait semblant de ne rien entendre.
Je lui ai dit à nouveau : « Pourquoi ? »
Mais elle ne m’a pas répondu. J’ai tourné les
talons et je me suis mise à courir. Je devais descendre cette montagne.
Derrière moi, Mokuzu a aussi couru en boitant, pour me rattraper.
« Nagisa Yamada ? Pourquoi tu
cours ? Dis donc, pourquoi tu me fuis ? »
Je ne lui ai pas répondu. Dans ma tête, la
troisième partie du tube de Masachika Umino « L’os de la sirène » se répétait.
La troisième partie. La troisième partie. Oui, en effet, le problème est cette
troisième partie. Les paroles qui font penser à un meurtre sexuel. La chanson
dans laquelle un homme démembre une sirène et la mange crue. Ce groupe ancien
chantait cette chanson étrange comme une ballade sentimentale.
Pour une raison inconnue, Mokuzu s’est mise à
crier d’un air effrayé.
« C’est pas
moi ! C’est pas moi ! - Quoi !?
- C’est mon papa. C’est mon papa. C’est pas moi qui l’ai fait. C,
c’est pas moi. C’est pas moi……. ! Crois-moi, s’il te plaît……. ! »
Je, je le sais !
J’ai arrêté de courir : j’ai décidé de
descendre d’un bon pas. J’ai senti que Mokuzu marchait désespérément derrière
moi en glissant et tombant. Elle a crié : « Ah ! Je me suis prise dans un trou
! » Elle a chanté aussi une chanson bizarre.
« Ah, un fantôme ! Regarde, là-bas ! »
J’ai continué à marcher en l’ignorant.
Au final, Mokuzu fut découragée. Elle me
suivait d’un air déconcerté.
Le soleil s’inclinait de plus en plus. La
température baissait. « Nagisa Yamada, j’ai froid.
- ……Tu veux mettre ça ? »
J’ai sorti de mon sac un cardigan que j’avais
pour le cas où le climatiseur soit trop fort au cinéma et je le lui ai donné.
Elle a reçu ce cardigan noir et bon marché respectueusement comme si c’était un
trésor. Avec elle, même ce cardigan semblait être chic et luxueux. L’air
contente, elle me dit : « Dis donc, je peux garder ce vêtement ?
- ……Non !
- Zut. »
Mokuzu a fait la moue.
Et elle a bu de l’eau minérale à grandes
gorgées.
Pour la première fois, je me suis rendu compte
qu’elle était plus malheureuse que moi.
Qu’elle est pauvre, ai-je pensé. La répulsion, le fait que j’essayais de
la penser comme une fille riche et heureuse, que je décidais que cette fille ne
comprendrait jamais mon sentiment : ce genre de barrière s’est effondré d’un
coup. Et pour la première fois, j’ai pensé qu’elle était mon amie.
Mais un sentiment douloureux ressemblant à de
la culpabilité a déferlé sur moi et m’a torturée. Mon sentiment d’affection
envers Mokuzu Umino était mêlé à ma conscience tordue, et c’est ce que je
n’aimais pas. Moi……
■
Ce que j’avais vu à ce moment-là.
Le sentier du mont Nina que j'avais
précipitamment descendu.
En me souvenant de tout cela, je continue à
monter sans rien dire.
La surface de la mer qui brille d'un reflet
blanc reflète le soleil du matin. Les feuilles mortes et mouillées étaient
écrasées, émettaient un bruit désagréable. La mousse devenait de plus en plus
dense. Les rochers couverts de rosée matinale émettaient une lumière
sombre.
C’est le matin du 4 octobre –
Tomohiko qui marche à côté de moi a
soudainement ouvert la bouche, alors qu’il se taisait jusque-là.
« Nagisa. - Eh
?
- Nagisa,
connais-tu ‘’le syndrome de Stockholm’’ ? »
J’ai secoué la tête.
Tomohiko s’est mis à parler calmement.
« Il s’agit d’un état
psychologique particulier, quand des gens sont enlevés ou pris comme otage. Ce
nom vient d’une affaire réelle qui a eu lieu à Stockholm. Par exemple, la
victime d’un enlèvement…… »
D’une voix flegmatique, il s’est mis à parler
d’enlèvement pour une raison inconnue.
La forêt était mouillée de rosée matinale. Murée dans un silence
profond, j’avais un peu froid.
■
……..J’ai descendu le mont Nina comme si je
roulais. Enfin, je suis arrivée sur une route en asphalte fissuré, éclairée par
le soleil couchant. Sans répondre à Mokuzu qui poussait des cris étranges
derrière moi, je suis entrée dans un vieux magasin qui se trouvait au bord de
la route, ressemblant à la fois à une supérette et à un magasin de saké ; j’ai
acheté du jus et j’en suis sortie. Mokuzu a acheté aussi une bouteille d’eau
minérale. Pendant qu’elle la buvait à grandes gorgées en renversant le menton,
j’ai ouvert la cannette, le cœur battant la chamade, j’en ai bu un peu. Je me suis un peu calmée.
Sans lui adresser la parole, debout au bord de
la route, je me concentrais à apaiser ma soif. Un certain moment plus tard, le
soleil s’est baissé, il faisait petit à petit noir. À la fin d'un soir d’été,
le mont Nina s’élevait comme d’ordinaire, sous la lumière orange du soleil
crépusculaire.
Je me suis mise à marcher lentement. Je devais
préparer le dîner chez moi. Mais cette balle réelle me paraissait loin. Dîner ?
Devrai-je cuisiner après avoir vu cela ? comme ça. Au loin, un vélo s’approchait de moi dans
l’obscurité. La tête rasée avec un T-shirt, un jean usé et des chaussures
épuisées. ……C’était Kanajima. Il a pris du temps pour se rendre compte de notre
présence, mais au moment de nous croiser, il nous a finalement aperçues et a
dit : « Eh ? »
Et il a freiné et il s’est arrêté.
Ensuite, l’air intrigué, il a comparé nos
têtes.
« Qu’est-ce
que vous faites ? »
Sans pouvoir lui répondre, les épaules
tremblantes, je regardais son visage. Il m’a dit :
« Tu m’avais
dit que tu rentrais, hein ? »
Puis en regardant Mokuzu :
« Pourquoi……t’es là ? »
Devant nous qui ne pouvions pas répondre, son
visage devenait de plus en plus sévère. Le vent tiède a soufflé et a agité nos
cheveux et le bas de nos jupes. Quelques instants plus tard, il a dit d’un air
énervé :
« Vous êtes toutes les deux des
canailles.
- Eh…… ?
- Vous vous êtes mises d'accord pour me tromper, n’est-ce pas ?
L’histoire de l’écume aussi, ça me fait chier ! » Je lui ai dit précipitamment :
« Kanajima ! Non……»
Toutefois à ce moment-là, il pédalait déjà et
s’éloignait de nous. J’ai essayé de lui dire quelque chose, mais je n’avais
plus de force. Je ne pouvais que regarder son dos qui s'éloignait : il était en
colère, blessé et il m’avait mal comprise.
« Oh là là, il a finalement deviné. »
En riant, Mokuzu a murmuré ces mots d’un air
étrangement joyeux.
Lorsque je suis arrivée chez moi tout épuisée,
la porte d'entrée était ouverte, on livrait un colis quelconque à ce moment-là.
Tomohiko recevait un colis gros mais qui avait l'air léger, il a brutalement
mis sa main dans sa poche et a sorti des billets de 10,000 yens. Après les
avoir comptés, il en a donné trois au livreur. Tomohiko, qui n’avait pas de
carte de crédit, qui ne pouvait même pas en créer car il était chômeur, payait
toujours à la livraison. La même somme que les frais de nourriture de la
famille disparaissait dans le portefeuille du livreur contre le gros colis
léger. Tomohiko m’a aperçue en relevant ses longs cheveux, il m’a dit : « Tu es
rentrée, Nagisa…. », puis il a observé mon visage.
« ……Mouais.
Je prépare tout de suite le dîner.
- Nagisa
? »
Tomohiko était agité pour une raison inconnue,
il a jeté le gros carton léger qu’il venait de recevoir dans sa chambre depuis
le vestibule. Il a poussé les épaules du livreur et il l’a expulsé de manière
très violente. Et il a mis ses mains sur mes épaules, il a relevé de nouveau
ses cheveux, et m’a regardé fixement dans les yeux. « Qu’y-a-t-il, Nagisa ?
- En fait, aujourd’hui, euh, euh…… »
Je perdais mes mots. Il semble que j’ai tout à
coup été détendue lorsque j’ai regardé le visage de mon frère, j’ai recommencé
à ouvrir et fermer la bouche, j’ai respiré, essuyé mes larmes, puis je me suis
effondrée contre sa poitrine mince et dure. Mon corps s’est mis à trembler.
Tomohiko m’a étreinte fortement, et il s’est immobilisé. Je suis enfin devenue calme. Je me suis mise
à lui parler de ce qui s’était passé ce jour-là, il s’est assis sur la chaise
de sa chambre, l’expression sévère, il m’a écouté en hochant la tête. Alors
qu’il se comportait toujours à sa façon, il n’a ni interrompu la conversation,
ni mis son casque, ni fermé la porte, ni dit « Bonne soirée, Nagisa ». En
regardant mon visage, il m’écoutait sérieusement.
Au bout d’un moment, j’ai terminé mon
histoire.
« Cette histoire du chien est
affreuse, m’a-t-il dit d’une voix tranquille.
- ……Oui.
- C’est anormal et terrifiant. C’est normal que tu sois bouleversée.
- O, oui. »
En caressant ma tête, il a attendu jusqu’à ce
que je devienne tranquille. Au bout d’une demie heure, quand je suis enfin
devenue calme et que le teint de mon visage s’est aussi amélioré, Tomohiko m’a
dit d’une voix douce, l’air hésitant :
« Nagisa. - Oui
?
- Si tu me permets de te raconter…
- Oui ?
- J’aimerais bien te parler de ‘’Psycological misdirection’’ »
J’ai essuyé mes larmes et je l’ai regardé.
L’air inquiet, il me regardait aussi. Comme je
n’ai pas bien compris, je lui ai demandé : « Eh, quoi ? Pyscological……. ?
- Oui. Psycological misdirection. En bref, c’est une sorte de ‘’truquage psychologique’’. »
Tomohiko s’est levé, il a pris le colis qu’il
avait jeté brutalement tout à l’heure, il s’est mis à l’ouvrir. Il a sorti des
objets incompréhensibles tels qu’une canne, un haut-deforme et des œufs. Alors
que j’étais étonnée, il a souri avec grâce et m’a dit : « Pendant que
j’étudiais la magie, je me suis intéressé aussi à ce domaine. Dans l’antiquité,
les sorciers étaient les gens qu’on appelle magiciens aujourd’hui. La
différence réside dans le fait de révéler le truquage ou de duper les gens en
prétendant qu’il s’agit de magie. Nagisa, ce que ton amie a utilisé est aussi
un truquage psychologique. C’est une technique rudimentaire de
prestidigitation. Si elle a eu cette idée au moment où tu lui as demandé de
disparaître, personnellement, je la trouve intéressante et originale. »
Tomohiko a pris un mouchoir et l’a froissé.
Ensuite, il me l’a montré et il a toussoté une fois. Puis, à mains jointes, il
a prononcé une sorte de formule magique. Il a ensuite détaché les mains, puis
les a serrées de nouveau et m’a dit : « Selon toi, le mouchoir se trouve dans
quelle main ?
- Eh ? Je, je ne sais pas.
- Devine. »
J’étais gênée.
« Euh, peut-être celle-ci ? »,
ai-je dit en indiquant sa main droite.
Il a tranquillement ouvert sa main. Elle était
vide.
« Alors, la gauche ? »
Il a ouvert aussi la main gauche.
Le mouchoir ne s’y trouvait pas non plus.
Il a souri et a montré l'espace qui se
trouvait derrière moi du doigt. Le mouchoir était tombé sur le sol. L’air
sidérée, je l’ai regardé.
« Te souviens-tu que j’ai toussoté
juste après t’avoir montré le mouchoir ? À ce moment-là, je l’ai jeté derrière
toi. Quand j’ai joint mes mains, il était déjà ailleurs.
- Ah, ah…… »
Ensuite, il a mis la main dans sa poche, et il
a sorti une pièce de monnaie de cinq cents yens.
« Je vais la faire disparaître par
magie. » En toussotant de nouveau, il
l’a déplacée de sa main droite vers sa main gauche. Lorsqu’il l’a ouverte après
avoir prononcé des formules magiques, la pièce avait disparu. J’ai indiqué sa
main droite du doigt et lui a dit : « Elle est ici, n’est-ce pas ? » Et alors,
il a ouvert aussi sa main droite. Elle était vide. « Eh ? Où est-elle ?
- Je l’ai cachée ici. »
Il a sorti la pièce de la manche droite de sa
chemise.
Alors que j’étais sidérée, il m’a dit :
« C’est donc du psycological
misdirection.
- Tomohiko……Désolée, je ne comprends rien.
- C’est le truquage qui vise le point aveugle de la psychologie. On
l’utilise souvent dans la prestidigitation. En fait, on n’utilise pas forcément
le truquage au point zéro, lorsqu’on déclare qu’on va faire un tour de magie.
Au point zéro, le truquage est déjà fini. À ce moment-là, le mouchoir qui doit
se trouver dans l’une des mains est déjà déplacé au loin. Au moment où la pièce
est censée disparaître de la main gauche, elle est déjà dans la main droite.
Pendant que tu regardes ma main gauche, je cache la monnaie dans la manche
droite de ma chemise. Évidemment, mes tours de prestidigitation ne sont pas
grand-chose. C’est ma première démonstration.
- Est-ce vrai ? Tu joues très bien, frérot !
- Merci, Nagisa. » Il a
souri.
Et il a caressé ma tête et a dit :
« L’astuce
pour ne pas être deviné, c’est de prévoir de prononcer des formules magiques
pour qu’on fasse attention au point zéro, et de détourner l’attention du spectateur
au moment d’utiliser un truquage, comme lorsque j’ai toussoté tout à l’heure.
C’est donc ce que ton amie a fait. » Je
me suis tue.
À ce moment-là……
Mokuzu Umino insistait : « Je vais disparaître
une minute après être entrée dans la maison ». Elle a regardé sa montre à
plusieurs reprises. Et elle y est entrée, une minute s’est écoulée. On l’a
cherchée, mais il n’y avait personne dans la maison.
Tous les endroits sauf le
vestibule étaient fermés à clef de l’intérieur.
« Au moment où elle y est entrée,
quelque chose a dû avoir lieu. Nagisa, tu peux t’en souvenir ? » Oui….
C’était à cinq heures piles du soir, la sirène
s’était mise à sonner. Mokuzu s’était retournée un peu dans sa direction. Un
instant, Kanajima et moi aussi avions regardé vers le ciel lointain.
Et lorsque nous nous étions retournés vers le
seuil, la porte s’était fermée en faisant du bruit.
Ensuite, nous avons attendu une minute.
« …….Je, je vois.
- Oui. La sirène joue donc le rôle du toussotement. Elle attendait
sans doute cinq heures précises où la sirène sonne en regardant sa montre.
Ensuite, elle a ouvert la porte et a écouté la sirène. Vous avez détourné les
yeux. Tu m’as dit qu’il y a une haie devant la maison, c’est ça ? Elle a
secrètement détaché sa main de la porte, et s’est cachée derrière la haie. Sans
que personne n’entre dans la maison, la porte s’est fermée toute seule. Ce
n’était pas une minute plus tard. Le truquage était déjà mis en place avant le
point zéro auquel vous avez fait attention. C’est ce que je pense, Nagisa.
C’est sûr. »
Tomohiko a laissé s'échapper des rires
étouffés.
Tandis que j’étais encore choquée, il a
étreint ma tête contre lui, et m’a chuchoté : « Tu te sens un peu mieux ?
- O, oui….. »
À vrai dire, je ne comprenais pas bien. Je ne
savais pas si j’étais soulagée ou déçue après avoir pris connaissance de ce
truquage. Je sentais qu'elle s'était
jouée de moi.
J’éprouvais une étrange irritation.
J’ai gémi et je me suis couchée sur le sol de
sa chambre. L’air sérieux, Tomohiko s’est mis à faire sortir une fleur de sa
canne qu’il venait de recevoir. Couchée
sur le sol, je me suis dit que je devais préparer le dîner. Le dîner, le
dîner…..Je me suis levée d'un coup, je suis allée à la cuisine. Je me suis mise
à couper des légumes plus vite que d’habitude.
Chapitre II Toute seule
avec la balle de sucre
■
« Nagisa,
as-tu déjà entendu parler du ‘’syndrome de Stockholm’’ ? » J’ai secoué la tête.
Tomohiko s’est mis à parler
tranquillement.
« Il s’agit d’un état
psychologique des victimes kidnappées ou prises en otage. On l’a nommé comme ça
à cause d'une affaire qui a réellement eu lieu à Stockholm….. » D’une voix calme, il s’est mis à parler de
cet enlèvement pour une raison inconnue.
La forêt était mouillée de rosée matinale. Dans le silence total,
j’avais un peu froid. La pente était abrupte, les fougères et les racines
d’arbres s’emmêlaient sur le sol, j’ai failli tomber plusieurs fois. Au-dessus
de la forêt, les rayons blancs du soleil matinal tombaient du ciel. Dans l’air
mouillé, je sentais l’odeur serein et quelque peu néfaste du matin.
C’est le matin du 4 octobre -.
Tomohiko continue à parler en marchant.
« Par exemple, les victimes d'un
enlèvement sont privées de liberté, elles ne peuvent même pas penser. Dans une
pièce étroite, elles doivent souvent passer des journées avec l’auteur du
crime…..
- Oui…… »
Tomohiko et moi marquons des pas réguliers
tout en accélérant en cadence.
J’écoute l’histoire de Tomohiko dans un état
second. La voix de mon frère est cristalline et fraîche à mon oreille.
« Et alors, Nagisa, c’est en fait
le même système que le séminaire de l’autoédification ou la formation des jeunes
employés d’entreprises. À ce moment-là, de nouvelles idées peuvent remplacer le
contenu vide privé de pensées. Le dogme d’une religion, un nouveau point de vue
sur soi ou la fidélité à une entreprise etc……
- Oui…..
- En cas d’enlèvement ou de prise en otage, la compassion ou la
fidélité vers lecriminel correspondent à ça. Plus la victime est emprisonnée
longtemps, plus elle essaie de défendre le criminel même après avoir été
sauvée, elle ne cesse de le justifier même au procès. »
De petits oiseaux ont gazouillé.
Petit à petit, le soleil du matin arrive à la
forêt, il s’éclaircit de plus en plus. Je sens l’odeur de la terre et des
feuilles tombées en train de pourrir. Il n’y a aucun nuage dans le ciel. Il est
haut et limpide à l’infini.
« Dans une affaire qui a eu lieu
aux États-Unis, la fille d’un millionnaire a été kidnappée par un groupe de
terroristes. Quelques mois plus tard, une vidéo dans laquelle elle se
comportait violemment en tant que membre de cette organisation criminelle a été
diffusée dans le monde entier et ça a fait scandale.
- Ah bon…… » J’ai regardé le
visage de Tomohiko en me demandant pourquoi il parlait de ça. L’inclinaison de
la montagne est devenue un peu abrupte, je réalise que l’on s’approche petit à
petit de cet endroit.
Le visage de Tomohiko semble s’éloigner peu à
peu de ce visage gracieux et noble que je lui connaissais. En montant le mont
Nina, il commençait à changer sans s’en rendre compte. Il continue :
« D’après moi, les enfants qui
sont victimes de mauvais traitements montrent des symptômes qu’on peut comparer
à ceux du ‘’syndrome de Stockholm’’. La
séquestration qui dure pendant une
longue période et les sévisses. Et l’agresseur n'est autre que leurs parents
qui sont censés les aimer et être aimés. Que se passe-t-il ? Les enfants
commencent à s’attacher tristement à leurs parents beaucoup plus que ceux qui
ne subissent pas de mauvais traitements. Ils n’en disent jamais du mal. Au
contraire, il se peut qu’ils se fassent à eux-mêmes des reproches. C’est pour
ça que ce genre d’affaires est difficile à découvrir. À cause d'un
dysfonctionnement du cerveau, ils éprouvent de l’affection envers leurs parents
malveillants. C’est ce qui est tragique. »
J’ai lentement levé la tête vers le profil de Tomohiko.
De petits oiseaux font retentir leurs chants
depuis les branches d’arbres au-dessus de nous.
La forêt est mouillée, sombre et couverte de
mousse.
« O, oui…… »
J’ai hoché la tête.
Vaguement…..j’ai commencé à comprendre ce que
me disait Tomohiko. Les oiseaux ont crié
de nouveau.
J’ai marché sans rien dire un certain moment.
J’ai réfléchi, marché, réfléchi et marché, puis j’ai dit à Tomohiko d’une voix
faible.
« Frérot.....
- Oui ?
- Je vois de qui tu parles »
« Frérot.....
- Oui ?
- Je vois de qui tu parles »
■
Depuis le jour où j’ai vu le chien démembré
par une serpe et vomi, même si je voyais Mokuzu à l’école, je lui disais
uniquement bonjour et je m’en tenais à distance. Ce n’était pas de sa faute, je
n’étais pas en colère contre elle, mais…..en bref, j’étais choquée.
Je n’ai jamais rien dit ni à ma mère ni à mon
frère ni à mes amis, mais comme j’avais beaucoup de causes de mécontentement à
propos de ma situation, sans m’en rendre compte, ces insatisfactions voire le
malheur étaient devenus l’une de mes caractéristiques ou l’image que j’avais
sur moi-même. Penser que je suis malheureuse, que je suis pitoyable me
soutenait et cette vision m’influençait sur tout, jusqu’au projet de mon
avenir.
Pour moi, pleine de pessimisme, l’existence de
Mokuzu Umino qui était peut-être beaucoup beaucoup plus malheureuse que moi –
elle avait un drôle de nom depuis sa naissance, son père était un chanteur
célèbre, c’était aussi une très jolie fille – menaçait quelque chose en moi.
Mais ce n’était pas de sa faute. Elle était toujours bizarre : elle buvait de
l’eau minérale à grands traits : même si parfois ses camarades qui avaient
entendu parler de la présence de la fille de Masachika Umino étaient venus la
voir de temps en temps et même s’ils chuchotaient « Elle est belle, cette
fille… », elle restait toute seule sur son siège, au fond, l’air indifférente.
Environ tous les deux jours, elle jetait une bouteille plastique d’eau minérale
sur mon dos alors que je rentrais. Dès
que je sentais un choc, je me retournais, je prenais la bouteille tombée sur le
plancher ou sur le sol de la cour, j’avançais vers Mokuzu et la lui donnais,
puis je faisais demi-tour et recommençais à marcher. Alors que je continuais
ainsi, septembre touchait à sa fin.
Un jour, après les cours, aussitôt
que Mokuzu a reçu une bouteille que j’ai rendue, elle a tiré une balle
pleinement sucrée dans mon dos. « Nagisa Yamada, il y aura un orage.
- ……Non. »
Je l’ai dit sans me retourner. Mokuzu s'est
approchée et a montré sa tête. Elle a dit en boitant :
« Il y aura réellement un orage.
Du soir du trois octobre jusqu’au lendemain matin. Ce sera un grand orage. Un
orage qui ne sera pas annoncé au bulletin météo. C’est l’orage qui arrive tous
les dix ans. Les bateaux sombreront, les lignes côtières seront déformées, de
toutes les mers du monde, mes compagnons reviendront. Parce que je suis leur
princesse…..
- Arrête ! Ne parle pas de bateau ! »
Fâchée, je me suis tournée vers
elle. Elle était ahurie. « Pourquoi tu es en colère Nagisa Yamada ? », a-t-elle
murmuré, sur le point de pleurer. Je voulais lui expliquer combien profiter de
la disparition de mon père et de son bateau pour en faire un mensonge me
blessait, mais j’ai eu l’impression que ça ne servirait à rien avec elle, donc
je me taisais. Cependant, en regardant le visage de Mokuzu sur le point de
pleurer, cherchant toujours à tirer des balles de sucre, je me suis dit sans
raison qu’elle était mon amie. En lui tournant le dos, je me suis remise à
marcher. Quand je l’ai regardée de nouveau après un certain moment, elle
sanglotait comme une enfant.
Je lui ai dit :
« Hé ! Tu aimerais bien t’occuper
des lapins avec moi ?
- ………………………………Oui ! », a-t-elle crié, et elle s’est mise à courir
en boitant puis elle s’est arrêtée
devant moi. Elle souriait toute seule, l’air contente. Devant la cage des lapins, Mokuzu plissait
les paupières d’un air intrigué, elle contemplait les lapins qui mangeaient du
chou. Après avoir renversé des choses et être tombée en essayant de nettoyer
comme moi, elle s’est pris la tête dans les mains et a gémi : « Ahh………………
».
« Qu’est-ce qu’il y a ?
- Les lapins sont mignons mais ils puent.
- Les humains sont aussi mignons mais ils pueront s’ils ne prennent
pas de bain.
- Euh……
- Tomohiko……mon frère ne prend son bain qu’un jour par semaine, mais
il pue pas du tout.
- C’est vrai ? C’est un frère incroyable. Il ne pue pas !
- Du tout du tout. Il a l’air toujours frais. On dirait un prince.
»
Mokuzu hochait la tête en regardant un lapin
blanc et duveteux. Puis elle a levé la tête.
Du même air que lorsqu’elle
observait le lapin, elle m’a dit :
« Nagisa
Yamada aime s’occuper des lapins. - Oui.
- Peut-être que ton frère aussi.
- O, oui…..
- Nagisa Yamada s’occupe des animaux. »
Je me suis sentie agitée. Puis j’ai continué à
nettoyer sans rien dire. Les lapins, sans me prêter attention, crottaient,
mangeaient des carottes et s’endormaient dans les coins. Après avoir tout terminé, je me suis levée.
Et je suis sortie de la cage avec Mokuzu.
L’air intriguée, elle regardait le
cadran de la serrure.
« Au fait, Mokuzu, ai-je dit en
fermant la porte, Tomohiko a deviné ton truquage.
- Truquage ? m’a-t-elle demandé l’air perplexe.
- Le truquage que tu as utilisé pour te transformer en écume.
- L’écume n’est qu’une écume, Nagisa Yamada.
- Mais non. Il y avait un
truquage. Tomohiko disait que tu es une fille charmante.
Ilsemble qu’il t’aime bien.
- Moi, j’l'aime pas. C’est quoi ça ? » En rougissant d’indignation ou de jalousie,
elle a donné des coups de pied aux cailloux. J’ai dit en riant : «
Psychological misdirection. Il m’a dit que tu as sans doute utilisé un truquage
psychologique.
- Hahaha, hahahahahaha. »
Elle s’est mise à rire.
Après avoir ri en se cambrant, les pas traînants, elle a quitté la cour.
Le bruit que faisaient les membres du club de baseball et leurs voix
retentissaient depuis le centre.
Tout à coup, j’ai senti un regard
et je me suis retournée. La casquette, l’uniforme de baseball et les chaussures
à crampons, un garçon à la tête rasée me regardait fixement.
C’était
peut-être Kanajima. Mais j’sais pas. Je me suis sentie mal. Mokuzu m’a dit en riant :
« Le frère de
Nagisa Yamada regarde peut-être le même site que moi. - Site
?
- De nos jours, si on veut être érudit, c’est vers Internet qu'il
faut se tourner. NagisaYamada, dis à ton frère...
- Q, quoi ?
- La prochaine fois, je ne le laisserai pas deviner. Je me transformerai
réellement en écume. »
Elle me l’a dit d’un ton exagéré comme un
prestidigitateur qui lance un défi à son spectateur. Puis elle a regardé mon
visage et a souri toute seule.
C'est le lendemain matin qu’une série
d’incidents bizarres s'est produite. Je suis allée à l’école avant le début du
cours pour voir les lapins. Pendant que je traversais la cour, j’ai vu un
garçon en uniforme d’été qui se tenait debout devant la cage. Il avait la tête
rasée. Au fur et à mesure que je m’en rapprochais, j’ai compris que c’était
Kanajima. La tête brumeuse du matin, j’ai marché vers lui. J’ai pensé à lui
dire :
« Qu’est-ce
qu’il y a ? Tu as un entraînement du matin ? ».
Kanajima
tenait quelque chose à la main. C’était
blanc.
Je me suis rendu compte que c’était une
fourrure duveteuse. J’ai donc pensé qu’il avait un lapin à la main. Quelle
manière grossière de porter un lapin ! me suis-je dit et j’ai accéléré le pas.
Puis, je me suis aperçu que la forme de ce lapin était bizarre. Il était blanc, rond et duveteux. Mais il lui manquait la tête.
J’ai poussé des cris. J’ai couru vers
Kanajima, puis j’ai regardé la situation catastrophique de la cage. La serrure
était déverrouillée et la porte était ouverte.
L’intérieur était une mare de sang. Plusieurs lapins blancs étaient
tombés, l’odeur tiède de sang remplissait tout l'enclos. Il y avait beaucoup
d'empreintes de pas. Il semblait que Kanajima avait été dedans. « …….Seul
celui-ci n'a plus de tête. » J’ai
entendu la voix rauque de Kanajima.
Dès que j’ai tourné la tête, le visage
complètement pâle, le garçon rasé, le voisin de mon siège me regardait de haut.
En soulevant le corps du lapin qu’il agrippait, il a dit :
« J’ai cherché, mais seul celui-ci
n'a plus de tête, Yamada…… »
Sans pouvoir répondre, je regardais toujours
le visage livide de Kanajima.
On nous a envoyés à la
salle d’accueil à côté du bureau du directeur. L’infirmière de l’école, le
professeur de la classe, le directeur nous ont interrogés ; on leur a répondu,
et pendant ce temps la cage des lapins a été couverte de housses bleues. Le
cours du matin a commencé sans nous.
Kanajima était silencieux. Il a dit qu’il
était venu à l’école plus tôt que d’habitude pour faire un entraînement de
baseball et qu’il avait trouvé ce truc. Il ne cessait de répéter «
Il n’avait pas de tête. Rien que
lui, il n’avait pas de tête ». J’ai failli verser des larmes, mais je les ai
retenues. Stupéfaite, j’étais assise à ses côtés.
À la pause du midi, ils ont enfin dit que nous
pouvions rentrer en classe. Au début Kanajima était toujours silencieux, mais
dès qu’il est entré dans la classe, il a été entouré par Eiko et ses amies qui
avaient entendu la rumeur ; il a répondu à leurs questions ; il s’est assis à
son siège ; il a regardé en avant dans un état second, puis…… Il s’est levé soudain. Et il s’est retourné. « Hé, Umino. »
Sa voix était basse.
C’était rare que Mokuzu se tienne debout à
côté de la fenêtre. L’air mélancolique, elle appuyait son menton sur sa main.
Les épis d’une couleur vive et la longue route vieille en asphalte s’étendaient
à l’extérieur. Au loin, les vagues de la mer d’un gris sombre déferlaient et
descendaient comme d’habitude.
Mokuzu, qui regardait ainsi la mer, s’est
rendu compte que l’on avait appelé son nom un moment plus tard. L’air perplexe,
elle s’est retournée lentement.
« Hé, la folle, là », a dit
Kanajima d’une voix basse et lourde.
J’ai été étonnée. J’ai essayé de retenir
Kanajima. Mais il m’a repoussée violemment et a dit :
« Umino. C’est toi qui a fait ça, hein ? » La classe a murmuré. « Je t’ai vue ce matin. Alors que tu arrives
toujours à peine à l’heure ou en retard, t’es arrivée très tôt, hein ? »
Mokuzu a froncé les sourcils. Kanajima a
marché vers Mokuzu à grandes enjambées. « Hier tu regardais Yamada verrouiller
la cage, pas vrai ? Tu savais donc comment ouvrir la serrure. T’es venue tôt ce
matin, t’as ouvert la porte, puis t’as tué le lapin. C’est pour attirer
l’attention de Yamada. Non ? Tu fais n’importe quoi pour attirer l’attention de
Yamada. »
Je me suis approchée des deux. Le visage de
Kanajima était tout rouge de colère et d’impatience. Au contraire, Mokuzu était
calme. En regardant de haut Kanajima comme s’il était un idiot, elle a dit : «
Pourquoi tu es en colère ?
- …….Tu m’énerves.
- Alors tu n’aurais pas dû me demander d’aller au cinéma. »
La classe a murmuré de nouveau. Comme je l’avais pensé, Mokuzu ne
pouvait pas distinguer ce qu’elle pouvait dire de ce qu’elle ne devait pas
dire. J’ai essayé de calmer Kanajima. À ce moment-là, Mokuzu a dit :
« J’ai retenu ton nom. Shôta
Kanajima. Je connais aussi ton anniversaire. C’est le 27 mai, n’est-ce pas ?
»
Un instant Kanajima a retenu son souffle.
Il a rougi en murmurant « Ah… » ou « Euh… »,
puis il a perdu ses mots. Mokuzu restait calme. D’une voix sans expression,
elle a dit :
« Nagisa Yamada est amoureuse de
Shôta Kanajima. Parce que moi, j’ai fait des recherches hier. Je me suis
demandé s’il y avait un garçon dont l’anniversaire est le 27 mai dans la liste
de la classe. Tu sais pourquoi ? La serrure de la cage des lapins, c’est……
»
Mokuzu, arrête, s’il te plaît……!
Elle avait
l’air triomphale.
« Le numéro du cadran était 527.
Je pense que c’est Nagisa Yamada qui l’a choisi. Je ne comprends pas trop
pourquoi tu lui as demandé de faire l'entremetteuse pour sortir avec moi, mais
bon, si Shôta Kanajima s’était rendu compte des sentiments de Nagisa Yamada,
évidemment, tu devais aussi savoir le numéro de la serrure. Shôta Kanajima,
tout le monde parle de toi, dit que la cage était pleine d’empreintes des pas
du découvreur et que ce type était ensanglanté. Ce sera chaud si la police
intervient.
- …….! »
Mokuzu avait un sourire haineux. Elle souriait
de plus en plus largement.
Contrairement à son apparence fine
et faible, elle paraissait très sournoise. Tout à coup, Kanajima a grincé des
dents, puis il a soulevé son bras long et musclé qu’il avait fortifié en
pratiquant le baseball.
Un bruit sourd a retenti. Mokuzu s’est
effondrée immédiatement.
Kanajima s’est mis à califourchon sur Mokuzu
qui était tombée. Il a agrippé le col de son uniforme avec la main gauche, il
l’a secouée violemment. Il a soulevé de nouveau son bras droit. Le poing serré,
deux, trois, quatre fois…en se laissant emporter par la colère, il a giflé le
beau et pâle visage de Mokuzu.
Les cris aigus d’Eiko ont retenti dans toute
la classe.
Je ne pouvais pas bouger. À cause de
l’humiliation et de la honte qui me faisaient penser que je ne pouvais plus
revenir à l’école, et aussi de la colère envers Mokuzu, mais plus que tout,
j’étais paralysée par la terreur du changement de Kanajima. Je ne l’avais
jamais vu se comporter ainsi….non, je n’avais jamais vu une personne agresser
quelqu’un si violemment. Bien sûr, j’avais déjà regardé plusieurs fois des
scènes cruelles dans des animés et des films, j’avais aussi entendu parler de
la guerre dans un pays lointain et de meurtres sexuels à la télé. Mais si près
de moi, de cette manière…… J’ai entendu
mes dents craquer.
La frange noire de Mokuzu s’agitait. J’ai vu
ses grands yeux s’écarquiller.
L’air triste, elle regardait dans le vide.
Pour une raison inconnue, elle avait perdu la force de résister. Comme une
poupée pâle cassée, elle laissait tomber ses membres. Je m'en suis rendu compte. Mokuzu –
Elle semblait attendre la fin de ces vagues.
Elle ne cherchait pas à résister et à
s’échapper, mais elle attendait que Kanajima soit satisfait et qu’il arrête
naturellement ses mains. Mokuzu savait que la violence avait une fin. Et elle
comprenait que si la violence ne se terminait pas, elle mourrait. J’ai regardé Kanajima. Il avait un drôle de
regard. Les forces de ses bras qu’il soulevait se renforçaient de plus en plus.
Il n’avait pas du tout l’air de se satisfaire et d’arrêter. Ma malédiction a
été brisée. J’ai crié et sauté sur son dos pour le maîtriser, puis j’ai été
étonnée par la différence trop importante de nos forces. Dès que j’ai compris
que je ne pouvais pas l’arrêter, en criant, je me suis introduite entre
Kanajima et Mokuzu. « Arrête ! Arrête ! Tu vas la tuer ! »
J’ai serré Mokuzu anéantie dans mes bras. En
tremblant de peur, j’ai tourné la tête vers Kanajima. Plutôt qu’à celui de mon
voisin avec qui je m'entendais bien, son visage rouge et noir ressemblait plus
à celui d’une statue du dieu Kongô machin que j’avais vue dans un manuel
scolaire. Le poing soulevé, il a essayé
de frapper ma tête qui lui faisait obstacle, puis il a eu l’air perplexe et
finalement, il a descendu lentement son bras.
« Kanajima….. »
J’ai commencé à pleurer.
Il a doucement relevé ses mains, puis d’un
geste faible comme une fille, il en a couvert son visage.
Kanajima pleurait aussi. Je l’ai su par ses
sanglots bas et le liquide salé qui tombait sur moi à travers ses doigts. On a
entendu un bruit de pas. Peut-être que quelqu’un avait appelé. Le professeur de
la classe est arrivé. Eiko lui bredouillait quelque chose.
En pleurant, j’ai dit :
« Kanajima…..Pourquoi. Pourquoi ?
»
Ses sanglots sont tombés sur moi
lourdement.
« Pourquoi tu gifles une fille que
tu aimes ? Je ne comprends pas. Pourquoi tu oses faire ça ? Alors que tu aimes
Mokuzu Umino. Pourquoi……? »
Le professeur a fait lever Kanajima
brutalement. Il l’a amené quelque part. Kanajima tremblait des épaules. Avec
quelques filles, j’ai soutenu Mokuzu, on a décidé de l’amener à l’infirmerie.
Mokuzu a ouvert la bouche. Quelque chose semblable à une perle est tombé et
Eiko l’a pris. C’était une dent. Puis de ses lèvres fades, du sang rouge a
coulé. De son nez aussi, quelque chose comme du sang est tombé.
Pendant un certain moment, Mokuzu semblait
avoir l’esprit embrumé et ne pas pouvoir parler. On a su qu’elle s’était fait
blesser l’intérieur de la bouche. Assise sur le lit de l’infirmerie, il semble
qu’elle a tout à coup eu envie de parler après que l’infirmière lui a dit de ne
pas ouvrir la bouche car ça lui faisait mal. Elle a dit en regardant mon visage
: « C’est pas moi qui ai tué le
lapin.
- Oui……
- C’est Kanajima. C’est Kanajima qui a fait ça. Parce que Kanajima……
»
Elle s’est mise à dire du mal de Kanajima avec
haine. Je lui dis seulement : « Mokuzu, ne parle pas ». En mettant ses mains
pâles et tremblantes dans les miennes, j’ai attendu que le médecin que l’école
a appelé arrive.
Par la suite, le médecin est venu. On a dit à
Mokuzu de rentrer chez elle. Je suis allée prendre son sac dans la classe. Je
suis entrée tranquillement dans la salle où le cours de l’après-midi avait déjà
commencé. En sentant le regard de tout le monde, j’ai pris son sac, et le mien
aussi ; après avoir réfléchi un instant, j’ai pris aussi celui de Kanajima et
j’en suis sortie.
J’ai marché dans le couloir avec trois sacs,
puis j’ai descendu l’escalier.
J’ai reniflé et j’ai regardé les alentours. Je
me suis rendu compte qu’une odeur ne me quittait pas malgré la distance.
Finalement, j’ai compris qu’elle venait des sacs que je tenais.
Ça sent le sang…..?
J’ai déposé mon sac. J’étais désolée mais j’ai
ouvert d'abord le sac de Kanajima. Il y avait des manuels scolaires, un
casse-croûte et ses vêtements de rechange.
J’ai essayé d’ouvrir celui de Mokuzu……
Et je me suis rendu compte qu’il y avait
quelque chose de blanc.
J’ai hésité à l’ouvrir.
Finalement, j’ai arrêté de l’ouvrir, surtout
parce que j’ai su que cet objet blanc était sans conteste l’oreille d’un lapin.
Quand je suis revenue à l’infirmerie - peut-être qu’elle s’était détendue -
Mokuzu dormait profondément. Debout à côté de son lit, j’ai regardé de haut le
joli visage pâle comme un rêve de mon amie pitoyable et cruelle. Et j’ai pensé
que je ne pourrais pas la détester, que je m’inquiétais pour elle même si elle
était folle et terroriste de sucreries.
J’ai été convoquée parce que je connaissais
bien la situation dans la salle du directeur où Shôta Kanajima était
réprimandé. J’y suis allée avec le sac de Kanajima. Le directeur, le
sous-directeur, le professeur en chef et le professeur de ma classe étaient là.
Immobile, Kanjima restait debout.
On m’a dit de raconter ce qui s’était passé.
J’en ai dit le moins possible, j'ai expliqué que Kanajima avait dit à Mokusu «
Celle qui a tué les lapins, c'est Mokuzu Umino » mais Mokuzu lui avait dit «
C’est Kanajima » et qu’ils s’étaient disputés. Kanajima baissait la tête. Il
paraissait très petit. Il ne semblait pas la même personne que tout à l’heure
alors qu'il s'était mis à califourchon sur une fille et la giflait. Il a été
obligé de quitter le club de baseball et a été renvoyé du collège pendant une
semaine. Je suis sortie de la salle du directeur la première. Mon professeur
lui a dit d’un ton improprement gai « Maintenant tu peux faire repousser tes
cheveux, Kanajima, pas vrai ? » et le professeur en chef l’a averti. Alors
qu’il était adulte, il ne savait toujours pas se comporter correctement. J’ai marché le couloir d’un pas lourd.
À l’infirmerie, on m’a dit de rentrer à la
maison toute seule. J’ai pensé que c’était possible que Mokuzu ne vienne pas à
l’école pendant une longue période ; j’ai écrit le numéro de téléphone de chez
moi et l’ai mis à son chevet. Comme j’étais l’une des rares personnes qui
n’avaient pas de portable dans ma classe, j’embêtais mes amies en leur
demandant d’appeler chez moi et de dire « Est-ce chez Yamada ? Puis-je parler
avec Nagisa ? ».
Aimant m'occuper des animaux depuis ma
naissance, pendant un an et demi depuis que je suis entrée au collège, j'étais
en charge de la cage des lapins ; c'était comme mon support moral. Elle était
maintenant couverte de housses bleues après que toutes ses créatures vivantes
avaient trépassé. Comme le sentiment de
tristesse déferlait sur moi, je m’en suis débarrassée et j’ai marché. J’ai
passé les portes de l’école, puis j’ai marché le long du chemin de campagne
d’un bon pas. Le vieil asphalte était partiellement fissuré et bosselé ; de
dessous poussaient de mauvaises herbes. En espérant vivre aussi vigoureusement
que ça, j’ai mis légèrement mon pied sur les herbes. Ça ne semblait rien pour
elles.
En faisant un grand bruit, un vieux tracteur
m’a lentement dépassée. Un vieillard aux cheveux grisonnants qui était sans
doute de l’âge à prendre sa retraite conduisait en fredonnant. La dépression
économique frappait aussi les agriculteurs. La plupart des familles agricoles
d’ici avaient souvent un autre travail. Les hommes dans la force de l’âge
travaillaient pour la mairie ou la gare, les grands-parents et les épouses
s’occupaient des champs.
En marchant sur de mauvaises herbes, j’ai
entendu le bruit de pas de quelqu’un derrière. Surprise, les épaules tremblantes,
j’ai accéléré mes pas.
Cette personne qui courait vers moi m’a
adressé la parole d’un air hésitant.
« ……Yamada. »
Je me suis finalement arrêtée. L’air gêné,
Kanajima était debout.
Au loin, la sirène de la mairie a retenti. Il
était cinq heures du soir. Nous nous
sommes mis à marcher côte à côte d’un pas lourd.
« Yamada,
l’histoire de mon anniversaire, voilà. La serrure……
- Mokuzu
a dit au hasard. J’ai mis juste un numéro sans penser à rien.
- Ah……Oui, c’est ce que je me disais ».
Kanajima est peut-être idiot. Il l’a cru très
facilement. Comme j’ai réussi à lui cacher mes sentiments ressemblant à un
amour léger que j’éprouvais depuis que j’étais entrée au collège, je me suis
sentie soulagée. J’ai eu de la chance que Kanajima soit un garçon
insensible.
Après un long moment de silence, je lui ai
enfin demandé faiblement :
« ……Pourquoi tu as fait ça ?
- J’sais pas », a-t-il dit brutalement.
Le feu noir de la colère s’est
remis à osciller en lui.
« Pourquoi j’ai fait ça ? » Il a secoué la tête.
« Umino…..C’est à cause d’elle.
J’ai fait ça, c’est parce qu’elle me l’a fait faire. C’est à cause d’elle. Pas
moi. »
Il le répétait tout seul. Il a murmuré la même
chose encore et encore. Puis il a dit : « Quand on était dans le bus aussi,
elle m’ignorait alors que je lui parlais…… »
Sa voix était obscure.
Le vent a soufflé et a fait trembler les épis
d’un vert vif. Le parfum de la fin de l’été semblable à celui de la paille
sèche flottait. L’asphalte desséché était sali de terre, de poussière et de
déchets d’engrais organiques. Kanajima et moi, nous avons continué à marcher
silencieux.
Au bout d’un moment, j’ai été soulagée parce
qu’on est enfin arrivé à l’embranchement. Je ne savais plus quoi lui dire.
Au moment de nous dire au revoir, il m’a dit :
« Mais moi…… »
Il regardait droit dans mes yeux.
« Je pense que le tueur des lapins, c’est
Umino.
- ……Mokuzu m’a dit que c’est toi.
- Ouais », a-t-il dit d’un ton sombre.
« J’imagine qu’Umino hait ce que
tu chéris. Et c’est pour ça qu’elle a voulu t’enlever les lapins. En tout cas,
c’est ce que je pense.
- Mokuzu dira peut-être la même chose de toi.
- Haha……..J’espère que les lapins seront les seules victimes »,
a-t-il dit. L’air consterné, il s’est mis à partir.
La tête inclinée, je regardais son dos.
Qui a tué les lapins ? Mokuzu Umino ? Ou Shôta
Kanajima ?
Ensuite, je me suis demandé
si ce que Kanjima avait dit était juste et si Mokuzu Umino les avait tués, qui
serait sa prochaine proie. M’enlever ce que je chéris ? …… De toute évidence,
la prochaine cible était mon frère Tomohiko.
Et j’ai pensé aussi à la possibilité que le
tueur des lapins soit Shôta Kanajima. Il y a quelques heures, la cruauté
inattendue de mon voisin nonchalant, Kanajima, m’avait abattue. Si Shôta
Kanajima était l’auteur de ce crime, celui qui serait massacré après les lapins
était clairement – Mokuzu Umino.
Ce soir, comme d’habitude, j’ai préparé le
dîner et j’ai mangé avec Tomohiko, j’ai fait mes devoirs dans un coin de la
cuisine et j’ai préparé les cours pour demain. Par la suite je regardais
vaguement la télé qu’on laissait allumée. Ma mère est rentrée du boulot tard, j’ai
réchauffé le dîner en attendant qu’elle sorte de la salle de bain et se mette à
la table de la cuisine. Le menu d’aujourd’hui était du Yakisaba à la mode de
Shanghai avec de la viande, des légumes et des nouilles chinoises sautées et du
Morokyû. Ma mère est sortie de la salle de bain en imitant la pose d’un
super-héros au moment de la transformation. L’air contente, elle a souligné une
chose déjà claire : « Quand je réfléchis bien, Nagisa, tu t’occupes de la
maison parfaitement alors que tu n’as que treize ans. Tu es vraiment une
personne de tête. »
Je me suis sentie gênée et j’ai crié : « Eh !
». À ce moment-là, le téléphone a sonné. Ma mère a arrêté la pose de
super-héros et a tendu son bras vers le récepteur.
« Allô, allô. C’est Yamada……. »
Ensuite elle a gémi une fois. Elle m’a
dévisagée l’air étonnée. En paniquant, elle a continué :
« Oui, elle
est là. Je l’appelle maintenant. » Elle
m’a passé le récepteur. L’air trop joyeuse, elle a dit d’une voix basse :
« C’est Umino. Une fille. Une
fille. Peut-être que c’est la fille de Masachika Umino, n’est-ce pas ? Je
regardaiiis…La meeer…Dans le ciel embraséeee….. Tu t’entends bien avec elle.
C’est impressionnant. Voilà, Umino, Umino.
- Arrête, maman……..Allô ? Mokuzu ?
» Au-delà du fil, Mokuzu grognait.
« ……On n’a pas besoin de chanter !
- Ah, tu l’as
entendue ?
- Bien sûr !
»
Comme Mokuzu Umino m’a dit d’une voix très triste : « Voyons, Nagisa
Yamada. Il y aura bientôt un orage », bien que ça m’énervait qu’elle me parle
encore d’orage, j’ai mis mon porte-monnaie dans une poche, je me suis chaussée
et je suis sortie. Elle me demandait de se voir à la plage pour une raison
inconnue. J’ai cherché un vélo tout terrain que mon frère utilisait avant. J’ai
gonflé les pneus et pédalé de toutes mes forces jusqu’à la plage. Elle était
loin si on allait à pied, mais en vélo je suis arrivée tout de suite.
La plage était obscure. Parmi les innombrables
ordures, certaines semblaient arriver de la péninsule coréenne au-delà de la
mer. Il y avait des cannettes vides sur lesquelles des noms de produits étaient
écrits en coréen. On sentait l’odeur de la mer partout. En plus, il n’y avait
personne. Tandis que je regardais les alentours, sur le sommet d’un tétrapode
pâle qui paraissait incroyablement haut, Mokuzu Umino se tenait d’un équilibre
délicat en balançant ses bras.
« Mokuzu……? »
Dès que je l’ai appelée faiblement, elle a
tourné la tête vers moi.
Sur son visage qui se dessinait vaguement sous
le clair de lune étaient dispersés des bleus rouges et noirs que l’on voyait à
travers sa frange s’agitant. C’est Shôta Kanajima qui a fait ça. Le garçon à la
tête rasée que je croyais nonchalant, que je croyais quelqu’un de tout à fait
ordinaire, Shôta Kanajima a fait ça.
L’air ennuyée, Mokuzu a dit :
« Il n’y a persooonne !
- C’est normal. Bientôt ce sera la fin de l’été. En plus, c’est la
nuit maintenant.
- ……hihi »
Elle a ri comme une enfant. Puis elle a sauté
soudain du tétrapode et elle est tombée dans la mer noire de la nuit la tête la
première. L’apparence de Mokuzu qui disparaissait dans le noir de la mer dont
on percevait à peine la borne avec l’obscurité ressemblait à un suicide
brusque. Je criais inconsciemment : « Ah ! ». Mokuzu portait une robe noire et
simple d’un design raffiné. Le bas de la jupe qui se gonflait doucement au
niveau des genoux a éjecté de l’air, puis elle s’est immergée.
Mokuzu plongeait. Assise sur la plage en
serrant les genoux, j’attendais qu’elle refasse surface en me demandant ce que
j’en ferais de cette amie bizarre. Une, deux puis trois minutes…..peut-être
quatre minutes se sont déjà passées. J’ai vu l’image de Mokuzu immergée au fond
de la mer obscure, le bas noir s’étendant comme un cauchemar. Je me suis
levée.
« Mo, Mo, Mokuzu ? »
……Elle est peut-être morte.
J’ai précipitamment enlevé mes sneakers et mon
porte-monnaie et ma montre. Après avoir respiré profondément, je suis aussi
entrée dans la mer.
Elle devenait de plus en plus profonde.
D’abord mes genoux, puis mes reins et ma poitrine sont entrés dans l’eau……Et au
final, je me suis immergée entièrement. De l’eau de mer froide et agréable a
couvert mon corps. Juste après, j’ai senti qu’elle était un peu trop froide. Au
bout d’un instant, j’ai enfin trouvé quelque chose qui ressemblait à Mokuzu. Sa
hanche ou sa tête que j’ai prise a remué dans la mer comme si elle était
étonnée. J’ai sorti ma tête de l’eau. Devant moi, les cheveux noirs de Mokuzu,
le bas de sa jupe flottaient comme une algue. Peu après des bulles d’air sont
montées vers la surface.
Un moment plus tard, Mokuzu a sorti sa tête en
riant.
« Huh, c’est agréable, Nagisa
Yamada.
- …….Je t’ai cru morte !
- Moi ? En mer ? »
Mokuzu Umino a souri toute seule comme si elle
avait entendu une drôle de plaisanterie.
« Alors que
je suis une sirène ?
- Ah
ouais », ai-je soupiré.
J’ai nagé en m’éloignant d’elle, et j’ai dit :
« Mais tu as été dans l’eau
pendant longtemps quand même.
- Je suis une sirène. Même si je vis sous une forme humaine, je peux
retenir marespiration sans problème », a-t-elle dit en riant.
Mokuzu et moi flottions un long moment sur la
mer comme de vraies sirènes. Elle me disait des mensonges et je m’amusais à lui
dire que ce n’était pas vrai. Après, tout épuisées, nous sommes retournées à la
plage et nous avons mis nos pieds sur les vagues et nous nous sommes amusées à
faire jaillir de l’eau. Mon T-shirt et mon jean étaient entièrement mouillés et
lourds. La robe noire de Mokuzu l’était aussi et collait à son corps fin. Elle
m’a prêté sa serviette. C’était la serviette de marque dont Eiko m’avait dit
qu'elle coûtait cinq mille yens. Je me suis essuyé le visage et les cheveux
avec ça.
Mokuzu a tenu le bas de sa jupe et l’a
tordu.
J’ai vu ses jambes, trop blanches, trop fines
et faibles jusqu’aux cuisses.
Comme je l'avais imaginé, des traces de coups
de poing de diverses tailles étaient dispersées dessus. D’ailleurs, sur sa
poitrine aussi, il y avait de nombreuses égratignures et contusions qu’on ne
pouvait pas voir lorsqu’elle portait l’uniforme.
Éclairées par le clair de lune –
Transparaissant à travers sa peau fine et pâle
–
Les traces de violence si terrifiantes
qu’elles paraissaient même être des mensonges.
Comme si j’étais attirée par ces blessures, je ne pouvais pas les
quitter des yeux. Mokuzu qui tordait de toutes ses forces sa jupe s’en est
rendu compte, elle m’a regardé fixement.
« Mokuzu……
- Ça, ce ne sont pas des blessures, a-t-elle bredouillé soudain.
- Eh ?
- Ce ne sont pas des blessures.
- Alors, c’est quoi ? »
Le clair de lune bleuté éclairait son visage,
ses cheveux mouillés, les blessures rouges et noires de sa poitrine. L’air
désespérée, elle m’a encore menti : « C’est de la pollution » La mer de la nuit sombrait en noir ; le vent
de la fin de l’été en agitait de temps en temps la surface. C’était calme. En
regardant le visage de Mokuzu, j’attendais ce qu’elle allait dire ensuite.
J’étais paralysée en sentant beaucoup de choses en même temps, la répulsion que
provoquaient en moi ses mensonges, son charme bizarre et l’irritation…etc. Je
respirais difficilement.
« Po, llution…….?
- Oui », a-t-elle dit en hochant la tête.
Elle a tordu un mouchoir et en a fait une
ficelle et l’a entrée dans son oreille gauche. En nettoyant son oreille pour
une raison inconnue, elle a continué rapidement : « Euh, les sirènes répètent
toujours la même vie depuis quelques centaines d’années mais la civilisation
humaine change tout le temps, pas vrai ? Maintenant la mer est polluée à cause
de la modernisation. Les effluents d’usines, les égouts, les ordures, les
bateaux qui ont sombré font aussi couler de l’huile et salissent la mer de
leurs alentours. Donc, nous, les sirènes, souffrons toutes de maladies de peau.
Les nouveau-nés ont très souvent des allergies, et c’est affreux. C’est aussi
mon cas. Je suis comme ça parce que j’ai grandi dans une mer polluée. - Mais
ça ressemble à des contusions ?
- C’est la sottise humaine de regarder les choses ainsi, a-t-elle
dit avec un sourire triomphal. En fait, le poison qu’on a accumulé depuis qu’on
était bébé est apparu en prenant une forme semblable à des contusions. C’est du
poison. La peau des sirènes est fragile.
- Ah, ah bon…… »
Sans pouvoir répondre, j’ai hoché la tête.
L’air persuadée, Mokuzu a fait une expression semblable à celle de quelqu'un
qui a été un peu blessé.
Par la suite, nous sommes sorties de la mer.
Pendant que je traînais le vélo de Tomohiko, Mokuzu marchait à côté de moi. Le
chemin du retour était long. Le mont
Nina, en s’obscurcissant,
s’élevait sous le ciel nocturne.
Quand on s’est approché de chez Mokuzu, elle
m’a dit : « Je vais me reposer trois jours. Et je reviendrai à l’école », puis
elle est partie. Nous avons agité nos mains à l’embranchement et j’ai aussi
essayé de rentrer chez moi. Cependant, je me suis rendu compte que je gardais
toujours sa serviette. Je me suis dit que je devais la lui rendre tout de suite
comme cela semblait coûter cinq mille yens. J’ai rebroussé chemin. J’ai pris le
vélo et je l’ai poursuivie.
Les routes du quartier résidentiel luxueux
étaient très bien entretenues. Les maisons qui s’étendaient à mes côtés avaient
aussi l’air bourgeoises, je me suis sentie intimidée. Je me suis perdue un peu
parce que je n’étais venue qu’une seule fois. À cause de tout ce temps que j'ai
perdu, Mokuzu n’était plus là quand je suis enfin arrivée, j’ai pensé qu’elle
était sans doute déjà entrée dans la maison. En me souvenant du chemin, j’ai
enfin trouvé le bâtiment blanc et carré des Umino et je me suis tenue devant.
Mais il est très tard maintenant……J’ai hésité
à sonner à l’interphone. J’ai décidé de rendre la serviette une prochaine fois.
En faisant demi-tour, j’ai essayé de rentrer.
Des cris stridents ont retenti.
Je me suis retournée.
Ces cris venaient de cette maison blanche et
luxueuse à laquelle je me demandais tout à l’heure si je devais sonner. C’est
la voix de Mokuzu, ai-je compris immédiatement. Elle criait de toutes ses
forces encore et encore. « Pardonne-moi ! Pardonne-moi ! »
Ensuite je l’ai entendue crier « Je ne le
ferai plus », « Désolée », « Papa » etc.
Quelque chose est tombé sur le
sol, une succession de bruits sourds et des cris aigus.
Stupéfaite, je restais immobile.
Je me suis souvenue de ce que Mokuzu m’avait dit.
« Moi, j’aime
beaucoup mon papa. »
Les cris ne cessaient pas.
« Aimer, c’est un désespoir. »
Un homme d’un certain âge, peut-être un
habitant de ces environs, est passé lentement à côté de moi. La tête baissée,
cet homme qui marchait avec un paquet de cigarettes s’est arrêté dès qu’il s’est
aperçu de ma présence. Puis il a levé la tête vers la maison blanche.
Après m’avoir donné un coup d’œil alors que
j’étais sur le point de pleurer, il est parti.
Je ne pouvais rien faire. La serviette serrée dans ma main, j’ai marché
vers chez moi. Mes vêtements qui étaient entièrement mouillés s’étaient mis à
sécher petit à petit. Une fois arrivée chez moi, j'ai vu ma mère en train de
parler avec quelqu’un au téléphone. Le dos courbé, elle était éprise de la
conversation. Elle murmurait de temps en temps :
« Ah », « C’est vrai ? » etc. Un
certain moment plus tard, quand je suis sortie de la salle de bain, elle a
raccroché et m’a dévisagée.
« …….La fille des Umino, elle va
bien ? », a-t-elle dit aussitôt qu’elle a ouvert la bouche.
Le timbre de sa voix était sombre comme si
elle accusait quelqu’un. J’ai dit « Eh ? ».
Ma mère, contrairement à l'air nonchalant qu'elle avait avant que je
sorte, avait une expression sérieuse.
« Parce qu’on m’a dit qu’il y a
une rumeur dans les environs, que c’est possible qu’elle soit bientôt tuée par
son père. »
Déconcertée, je me suis assise sur place. Même
si on me parlait de ça, je n’avais aucune idée de ce que je pouvais faire. Je
ne suis que Nagisa Yamada, collégienne, l’amie de
Mokuzu,
soignante des animaux et c’est tout. Que puis-je faire ? Qu’est-ce que je peux faire pour Mokuzu ?
Je comprenais déjà très bien que mon malheur
n’était que la pauvreté incomparablement banale et ordinaire par rapport à
celui de Mokuzu. Je l’admettais moi-même. Mais mon malheur médiocre et le
malheur anormal de Mokuzu avaient un point commun. Nous avions treize ans, nous
étions mineures et nous devions terminer l’enseignement obligatoire. Nous
n’avions pas encore les forces d'affronter le destin. On était obligé de vivre
sous la protection de nos protecteurs. D’ailleurs les enfants ne peuvent pas
choisir leurs parents. Je faisais semblant d’être adulte plus tôt que tout le
monde en vivant en faisant le ménage et en m’occupant de mon frère, et je laissais
paraître ma faiblesse uniquement dans mon cœur. Si elle le pouvait, Mokuzu
partirait aussi quelque part peut-être après qu’on est devenu adulte et libre.
Mais à l’âge de treize ans, on ne pouvait aller nulle part.
« On m’a dit que, quand ils étaient
à Tokyo, quelqu’un les a signalés à l’association de la protection de
l’enfance, quelque chose comme ça et que c’est peut-être pour ça qu’ils ont
déménagé ici. Pourtant je pense que ce sera la même chose même dans cette
ville……. »
Le menton dans les mains sur la table ronde,
elle avait l’air sombre. Sans rien dire, je contemplais le mur en m’essuyant
les cheveux. « Tu savais qu’elle a un certificat d’invalidité ?
- …….Eh ?
- Ah moi, je croyais que tu le savais déjà. Tu vois, elle boite
quand elle marche. Tout le monde sait ça parce que ça se remarque. On m’a dit
que, quand elle était bébé, elle a été traitée très violemment et sa hanche
s’est déformée. Du coup, elle ne peut pas marcher correctement. En plus,
comment dire…elle ne peut pas du tout écarter les jambes. Elle ne va pas au
cours de gymnase, n’est-ce pas ? »
Elle me parlait en faisant la pose d’un
exercice d’assouplissement. Je la regardais sidérée, puis je me suis souvenu
que lorsqu’on est sorti tous les trois, avec Kanajima et Mokuzu, elle montrait
quelque chose ressemblant à un agenda au chauffeur du bus. À ce moment-là aussi, Mokuzu descendait du
bus en boitant. Le chauffeur du bus avait l’air étonné par cette sorte d’agenda
qu’avait montré cette belle fille sophistiquée. Alors que nous attendions dans
un état second que Mokuzu descende, il nous a dévisagés d’un regard plein de
colère et a crié : « C'est votre amie, hein ? Aidez-la ! » J'ai serré les lèvres.
Je voulais m’excuser auprès de quelqu’un.
Parce que je ne savais pas qu’elle était
handicapée. Je croyais qu’elle faisait semblant. C’était difficile de chercher
des vérités de la mer de mensonges. Je me disais toujours que Mokuzu faisait ça
pour attirer l’attention de tout le monde…… « Ce n’est donc pas un handicap de
naissance, c’est un handicap dû à un accident après sa naissance », a murmuré
ma mère.
Alors que j’étais sur le point de pleurer,
elle a ensuite indiqué son oreille gauche l’air très curieuse.
« En plus, l’une de ses oreilles
est sourde.
- C’est vrai…….?
- Le tympan a été brisé et elle n’entend plus. Du coup, elle ne
répond pas quand on lui parle de la gauche. Tu vois, Eiko. En fait, c’est sa
mère qui m’a raconté tout ça, elle m’a dit qu’Eiko a testé cette rumeur avec
ses amies. Elle lui a dit que Mokuzu ne tournait jamais la tête quand on lui
parlait de la gauche, qu’elle ne s'en rendait pas compte quoi qu’on dise. Et
Eiko semble avoir dit plein de choses méchantes de la gauche.
- ……… »
Je me suis levée pour mettre ma serviette de
bain dans la machine à laver.
Encore et encore, je me suis rappelé les fois
où je m'étais énervée contre elle. Je me
suis souvenue aussi de la fois où Kanajima s'était fâché parce qu'elle l'avait
ignoré.
Lorsque je lui ai demandé d’arrêter de parler
de bateaux, que Kanajima lui a adressé la parole dans le bus, on lui parlait
toujours de la gauche. Mes nombreux souvenirs où je m'étais énervée parce
qu’elle feignait de ne pas entendre ce qu’elle ne voulait pas ont pesé sur moi.
Je n’avais jamais pensé que l’une de ses oreilles était sourde.
Mokuzu courait toujours après moi en boitant,
mais comme elle ne pouvait pas me rattraper, elle me jetait une bouteille
plastique d’eau minérale pour m’arrêter. Et une fois qu'elle me rattrapait,
elle gardait mon côté gauche et continuait à marcher en chancelant.
Elle me tournait toujours l’oreille avec
laquelle elle entendait bien.
J’ai détaché mes mains de la serviette devant
la machine à laver, puis j’en ai couvert mon visage comme Kanajima avait fait.
De grosses larmes sont tombées. J’étais attirée par Mokuzu. Une fille
pitoyable, irritante, jolie et sale……
Le visage toujours couvert, j’ai enfoncé ma
tête dans la machine à laver et j’ai pleuré en étouffant mes sanglots. Mokuzu,
Mokuzu. Jusqu’ici, elle tirait des balles de sucre, et moi des balles réelles,
avec lesquelles nous chargions nos pistolets instables et faibles. Désormais je
ne pourrais plus rien abattre.
Tous les enfants sont des soldats. Et ce monde
est un jeu de survie. Et……
Mokuzu, que deviendra-t-elle……?
La tempête a secoué le bâtiment avec violence,
comme si l’imagination de Mokuzu avait explosé, en teintant le ciel en noir,
elle a duré jusqu’au soir. Le vague à l’âme, Mokuzu et moi nous tenions debout
dans la classe, nous attendions qu’elle faiblisse jusqu’à ce que nous puissions
sortir dehors. La tempête est finalement passée vers sept heures du soir. Les
sirènes de tous les pays devaient se réunir dans la mer du Japon,
elles devaient attendre le moment
où elles pondraient des œufs. Main dans la main, je suis sortie de la classe
avec Mokuzu. Nous avons couru dans le couloir obscur, descendu un escalier.
Enfin, nous sommes sorties dans la cour boueuse.
Le ciel obscur emportait violemment les nuages
de pluie au loin. Le beau ciel nocturne de couleur indigo apparaissait petit à
petit. En marchant le long du chemin de campagne, nous nous sommes rendu compte
que la route devenait de moins en moins boueuse.
Finalement nous sommes arrivées
sur un chemin sec comme s’il n’y avait jamais eu de pluie. La tempête semblait
avoir recouvert uniquement notre école, l’avoir secouée, puis être repartie.
Nous avons marché sur le chemin sec. « Je dois faire mes bagages.
- Tu as raison, Nagisa Yamada. Mais qu’est-ce que tu vas apporter ?
- Mon portefeuille…….? Et, euh……un sèche-cheveux, peut-être »
Une fois entendue ma réponse, Mokuzu Umino a
ri le menton levé. Devant le seuil de mon HLM, je lui ai dit : « Attends un peu
ici. Je reviendrai tout de suite ». Sans rien dire, Mokuzu a hoché la tête. Je
suis entrée toute seule dans la maison, puis j’ai commencé à mettre dans mon
sac mes vêtements de rechange, un sèche-cheveux, mon portemine préféré etc. Une
porte s’est ouverte sans bruit. Lorsque j’ai tourné la tête, Tomohiko fixait
son regard sur moi.
« Nagisa…….tu vas quelque part ?
- Je, je vais fuir », lui ai-je dit.
Ses joues rougirent légèrement.
« Ah bon. Hum……J’aimerais aussi
aller quelque part », a-t-il dit et il a fermé brusquement la porte. Un bruit
sec a retenti. J’ai sursauté comme si une main avait agrippé mon cœur. Ensuite,
j’ai pris mon sac et je suis précipitamment sortie de la maison. Je ne
reviendrai jamais. Je ne préparerai jamais plus le dîner. Je n’ai plus une
seule balle réelle.
J’ai franchi le perron. Mais il n’y avait
personne. « …….Mokuzu ? » ai-je appelé craintivement. Personne ne m’a
répondu.
Le vent a soufflé. J’ai senti le parfum de la
nuit. L’asphalte mouillé brillait. Le vent a fait tomber des gouttes d’un fil
électrique et elles ont mouillé mon visage.
« Mokuzu !
- Hihihi ».
Mokuzu a sorti sa tête de l’ombre. Elle m’a
regardée l’air contente alors que j'avais failli pleurer.
En souriant toute seule, elle a
regardé dans mon sac.
« Nagisa Yamada. Qu’est-ce que tu
as mis dedans ?
- Mes vêtements de rechange, un sèche-cheveux, un porte-mine et un
savon……
- Ah oui ?
C’est un choix bizarre ».
Par la suite, main dans la main, nous nous
sommes dirigées vers le quartier résidentiel luxueux où il y avait la maison de
Mokuzu Umino.
La maison blanche de Mokuzu avait l’air vide
comme d’habitude. Elle semblait déserte. Après m’avoir chuchoté « Attends ici
», elle a marché toute seule vers le seuil. Je me suis rendu compte que je me
tenais au même endroit que quand Mokuzu nous avait trompés Kanajima et moi avec
son tour de magie. Inconsciemment, j’ai fixé mon regard sur Mokuzu qui arrivait
à la porte. Cette fois la sirène n’a pas sonné, Mokuzu ne s’est pas arrêtée non
plus. Dès qu’elle a ouvert la porte et qu’elle est entrée dans le vestibule,
elle s’est retournée vers moi et a agité légèrement la main dans ma direction.
Elle m’a adressé un sourire innocent. Elle avait l’air vraiment joyeuse et
contente. Je me suis aperçu que c’était la première fois que je la regardais
sourire du fond du cœur, pas le sourire bête de d'habitude.
Ce sourire s’est éloigné petit à petit
derrière la porte qui se fermait. Je restais toujours debout au même endroit.
Je rêvais du monde où j’irais avec Mokuzu. Ce devait être un endroit qui
n’était pas ici. Mokuzu et moi devions être libres. Oui, là-bas, il y aurait
ça. Ce truc que ni elle ni moi ne connaissions. Ce truc dont nous ne savions
pas qu'il était vraiment nécessaire.
Ce truc…… Il y aurait la sécurité.
Trente minutes, puis une heure se sont
écoulées. Mais Mokuzu n’est pas revenue. Alors presque deux heures s'étaient
écoulées et que j’allais pleurer, la porte du seuil s’est ouverte calmement.
J’ai failli crier « Mokuzu…….! », mais je me suis retenue.
Celui qui est sorti était Masachika
Umino. Masachika Umino, il pleurait.
Je n’avais pas vraiment vu un adulte pleurer
depuis longtemps. Pas depuis que j’ai vu ma mère pleurer la nuit de la tempête
il y a dix ans. Masachika Umino a marché en sanglotant de la même manière que
sa fille. Il allait vers le garage. Il ne semblait pas avoir fermé la porte à
clef. Allait-il partir quelque part ? Pourquoi ? Il traînait une petite valise.
Après l’avoir mise dans le coffre en pleurant, il est monté sur le siège du
conducteur. Puis il a démarré en faisant ronfler le moteur. Avec sa chic
voiture étrangère, il a disparu.
J’ai regardé la maison blanche.
Deux heures
étaient déjà passées. C’était absolument bizarre. Craintivement, je me suis
approchée du seuil. Comme ce n’était pas fermé à clef, en me demandant où
Masachika Umino était partie, j’ai ouvert la porte.
Il y
avait une seule chaussure.
C’était la chaussure de cuir noire que Mokuzu
portait tout à l’heure.
« Mokuzu……? », l’ai-je appelée.
Il n’y a eu aucune réponse.
J’ai enlevé mes chaussures, puis je suis
entrée dans la maison. J’étais inquiète à l'idée que Masachika Umino rentre,
mais j’ai couru dans le couloir et j’ai cherché partout dans la maison. Mokuzu
? Mokuzu ? Où es-tu ? Je me souvenais du moment où Mokuzu m’avait dit avec défi
:
« La prochaine fois, je ne le
laisserai pas deviner. Je vais me transformer réellement en écume. » Était-ce la deuxième version de son tour de
magie ? S’amusait-elle à un tel moment ? J’ai cherché partout dans la maison,
mais Mokuzu n’était nulle part. Puis tout à coup, je me suis demandé si elle
s'était cachée à côté du perron, et si elle était sortie lorsque je suis
entrée. Je suis revenue précipitamment dans le vestibule, cependant sa petite
chaussure noire était toujours là. Je me suis remise à la chercher. Beaucoup de
temps s'est écoulé, j’ai erré dans cette maison immense, mais je n’ai pas
réussi à la retrouver.
Dans la salle de bain, j’ai senti une odeur
étrange. J’ai trouvé quelque chose que j’avais déjà vu avant dans la
baignoire.
C’était une serpe.
Elle brillait à cause de la graisse.
La salle de bain entière était mouillée.
« …….Mokuzu ? »
Soudainement, j’ai eu l’impression que Mokuzu
était là. J’ai regardé les carreaux, puis le plafond. J’ai promené mes yeux sur
les alentours. « Mokuzu ? Mokuzu ? »
La tête entre les mains, j’ai dit :
« Mokuzu !
- …….Qu’est-ce que tu fais ? », a dit une voix basse.
J’ai crié et je me suis retournée. Sans que je
m'en sois rendu compte, Masachika Umino était debout. Je criais toujours, mais
l’air gêné de Masachika Umino m’a fait retrouver mon calme.
« Mokuzu, elle n’est pas là ?
- ……..Non. Qu’est-ce que tu fais chez moi ?
- Mais j’ai vu sa chaussure. Je l’ai vue entrer dans la maison tout
à l’heure.
- Pas moi. Rentre chez toi. Je le dirai à Mokuzu dès qu’elle sera
rentrée. » Il m’a prise par le bras, et
je suis sortie de la salle de bain des Umino. J’ai trébuché. Au moment où j’ai
levé la tête, j’ai vu une larme couler sur le profil de Masachika Umino. À cet
instant, j’ai eu un mauvais pressentiment et j’ai frissonné.
Je dois dire quelque chose, je dois demander
quelque chose, ai-je pensé dans la panique. Il me traînait fort pour m’expulser
de la maison. On a avancé dans le couloir, le seuil s’approchait de plus en
plus. J’ai vu la chaussure noire de Mokuzu.
À ce moment-là, j’ai eu une idée.
« Ah, euh…… », ai-je dit d’une
voix tremblante.
Mes dents ont craqué. Masachika Umino tournait
son regard sans expression, en versant des larmes.
« Euh, euh…….C’est une énigme que
mon frère connaît.
- Une énigme ?
- Oui.
»
D’une voix tremblante, les dents craquant, je
me suis mise à parler de l'énigme qu’on ne doit pas pouvoir résoudre.
« Il y avait un couple. Ils
menaient une vie heureuse. Mais un jour, le mari meurt.
- ……Pourquoi ?
- Je ne sais pas. Un accident ou une maladie. Euh, ce n’est pas très
important.
- Ah bon. Et ?
- Oui. Ce couple avait un enfant. Et aux funérailles de ce mari, un
de ses collèges est venu. Etl’épouse, désormais veuve, et cet homme se sont
plus l’un à l’autre. En bref, ils étaient attirés l'un par l'autre. Mais, cette
nuit, la femme a soudainement tué son enfant. Vous savez pourquoi ? » Une fois entendue cette énigme que la plupart
des gens ne savent pas résoudre correctement, il a hoché la tête à plusieurs
reprises. Et il a dit :
« ‘’Because I miss you’’.
- Eh ?
- ‘’Parce que je voulais te revoir’’, n’est-ce pas ? », a-t-il
répondu avec aisance.
C’était la bonne réponse.
La bonne réponse à cette énigme est ‘’Parce
que je voulais te revoir’’.
S’il y avait d’autres funérailles, je pourrais
revoir cet homme, a pensé cette femme et pour cette raison, elle a tué son
enfant. ‘’Elle voulait revoir cet homme’’, c’est la bonne réponse.
La troisième partie de sa première chanson, «
L’os de la sirène », s’est mise à se répéter dans ma tête. Une chanson
sentimentale. Une ballade douce. Seule la troisième partie était étrange.
Arrivés au vestibule, j’ai brutalement été
expulsée comme si on me jetait. La porte se fermait petit à petit. J’ai crié
vers Masachika Umino : « Qu’est-ce que tu as fait à
Mokuzu ? » Il ne m’a pas répondu.
Il versait tranquillement des larmes.
« Dis !
- ……..Elle est devenue... écume...
de la mer », a-t-il dit brièvement, puis il a fermé la porte. Je me suis collée
à la porte et ai crié : « Menteur ! Menteur ! »
Maintenant le vestibule était tout à fait
calme. Même si je criais fort, la porte ne semblait pas se rouvrir. J’ai dû
renoncer. J’ai couru de toutes mes forces et je suis revenue chez moi.
Sur le chemin du retour obscur, je rêvais que
Mokuzu me saute soudain dessus et me dise « Yo! », mais elle n’est pas apparue.
A bout de souffle, je suis arrivée chez moi et j’ai ouvert la porte.
« ……Ah »
Ma mère a levé la tête.
« Tu es enfin
rentrée. Alors que ton professeur est là. »
Il y avait des chaussures d’hommes dans le vestibule.
L’air tendu, mon professeur était assis à la
table ronde. Des gâteaux et un thé lui étaient servis. La télé avait été
laissée allumée. La porte du fond était
fermée.
J’ai enlevé mes chaussures. En ignorant ma
mère et mon prof, j’ai ouvert la porte. Tomohiko, qui regardait avec un casque
le DVD d’un film de science-fiction qui avait l’air difficile, a lentement
tourné la tête. Dès qu’il s’est aperçu de ma présence, il a enlevé son casque
et m’a dit : « Qu’est-ce qu’il y a, Nagisa ? »
« Frérot,
peut-être. Ce n'est qu'une hypothèse, mais, peut-être…… - Nagisa ? »
Ma mère et mon prof regardaient l’air tendus.
La tête entre les mains, j’ai crié : « Mokuzu a été tuée par son père ! »
J’ai repoussé ma mère et mon prof et j’ai
couru jusqu’au commissariat. J’ai tout expliqué à des policiers. Mais personne
ne m’a écoutée sérieusement. La rumeur de la violence quotidienne, des bleus
sur le corps de Mokuzu. Une serpe mouillée dans la salle de bain et la fille
disparue de sa maison. Le fait qu’elle m’avait déjà fait un tour de magie a
provoqué un goulet d’étranglement, un des policiers m’a dit : « Peut-être que
cette fille ne fait que te taquiner. Tu verras si tu la vois à l’école. »
Ma mère et mon prof qui sont arrivés après moi
m’ont dit la même chose.
« J’ai entendu dire qu’il est
connu que la fille de Masachika Umino est une menteuse, pas vrai ? », a dit ma
mère en faisant référence à cette rumeur.
« Yamada, tu es juste nerveuse à
cause de ton orientation. C’est pour ça », a dit mon prof. Ils se sont tenus à mes côtés pour me garder,
puis ils m’ont traînée de force jusqu’à la maison. La nuit avançait et tout le
monde était fatigué. Les champs d’épis s’agitant se plongeaient dans
l’obscurité comme dans la mer nocturne. Dans la ville flottait encore un parfum
froid, les vestiges de la pluie.
Je suis rentrée à la maison en sanglotant. Je
pensais toujours à la disparition de mon amie précieuse Mokuzu Umino dont moi
seule étais sûre.
J’ai ouvert la porte pour entrer dans la
chambre de Tomohiko. Assise sur son lit, j’ai pris ma tête entre mes mains.
Tomohiko écoutait tranquillement de la musique sur la chaise. Je restais
immobile. Mokuzu n’est plus là ; cette conviction me capturait et tourmentait.
Personne à part moi ne s’en était rendu compte. Mokuzu, elle est…….
Une heure ou deux heures se sont écoulées.
Tomohiko écoutait toujours de la musique sans rien dire. Tantôt miséricordieux
et tantôt cruel, lui qui avait la sensation de Dieu, l’observateur du destin,
il a incliné la tête et m’a regardée. « Nagisa.
- …………..
- Est-elle morte ? » J’ai
hoché la tête.
« ……..C’est
ce que je pense. Pourtant personne ne m’écoute.
- Si tu le
dis, je te crois » J’ai levé la tête.
Tomohiko fixait son regard sur moi.
« Nagisa, tu peux m’en parler ?
- Oui…… »
Et j’ai commencé à raconter ce que je pensais.
L’image du chien démembré que j’avais vu au
mont Nina ne me sortait pas de la tête.
Mokuzu m’avait dit que son père
avait frappé leur chien avec un bloc, qu’il l’avait ensuite démembré avec une
serpe car il ne pouvait pas le porter et qu’ils l’ont abandonné dans la
montagne. Et tout à l’heure, Mokuzu Umino a disparu dans sa maison comme par
magie. La seule personne qui est sortie de la maison était Masachika
Umino. J’ai cherché dans sa maison
après qu’il est parti quelque part, mais Mokuzu n’était plus là. Dans la salle
de bain, il y avait la même serpe qui avait l’air d'avoir été utilisée tout à
l’heure.
À ce moment-là, Masachika Umino tenait une
petite valise. J’ai cru qu’il fuirait quelque part. Mais il est revenu en peu
de temps.
La seule chose qui est sortie de cette maison
à part Masachika Umino, c’est la petite valise.
Et la serpe avait l’air d'avoir servi.
Après avoir atteint ce point de mon histoire, je me suis sentie
tout à coup mal. La tête sur les genoux de Tomohiko, j’ai perdu toutes mes
forces. Il se taisait. J’arrivais à peine à respirer, je lui ai dit : «
………J’imagine que tu ne crois pas à mon histoire ?
- …………………..
- Aucun adulte ne m’a écoutée. Ils ne s’inquiètent pas pour Mokuzu.
Ils disent qu’elle est menteuse,qu’elle est cinglée etc. Ils se moquent de moi
aussi alors que je m’inquiète. Mais…… »
Tomohiko avait l’air sérieux. Il n’était ni
enfant ni adulte. Celui qui possédait le ‘’point de vue de Dieu’’, Tomohiko, me
regardait de haut l’air inquiet, ce qui n’était pas dans ses habitudes. Et,
soudainement, il m’a dit de manière franche, ce qui lui était rare : « Nagisa,
allons-y.
- ………..Eh ? ai-je dit. Mais où ?
- Au mont Nina. »
Couchée sur ses genoux, j’ai regardé son
visage. Il cherchait un élastique pour attacher ses cheveux. Aussitôt qu’il a
lié ses cheveux longs et lisses, il s’est levé, puis il a ouvert la porte. Il a traversé la cuisine et a cherché ses
chaussures dans le vestibule. Il a trouvé des sneakers et a essayé de les
mettre, toutefois il semblait que sa taille avait changé ; il a fait claquer sa
langue et les a jetées. Il a trouvé une sorte de paire de sandales de plage et
les a mises. Ensuite il a ouvert la porte.
Je suis allée après lui immédiatement.
Il faisait encore noir. L’aube était encore
loin.
Après trois ans, Tomohiko a fait un pas à
l’extérieur.
Il a chancelé deux ou trois fois puis il a
dodeliné de la tête. Dès qu’il a baissé les yeux, il a vomi brutalement comme
une cascade.
« Bleuuuurrrrp !
« F,f,f,f,f, frérot ?
- …….Ça va maintenant »
Tomohiko s’est mis à
marcher en titubant. Mais il s’est
arrêté. Il a fait à nouveau : « Bleuuuuurrrp !
- Ouiin, frérot !
- …….Pardon. Maintenant je vais vraiment mieux. »
En se retournant vers moi, il m’a dit ces mots
avec un sourire inhabituel. À ce momentlà, j’ai cru croiser quelqu’un alors
qu’il n’y avait personne, et j’ai regardé en arrière.
L’asphalte obscur. Le chemin mouillé en noir
entre les champs d’épis.
Quelque chose s’éloignait. J’ai cru avoir vu
quelque chose ressemblant à une brume rose. Elle se séparait lentement de
Tomohiko et de moi.
Mais j’étais la seule personne à y faire
attention. Tomohuko s’est mis à marcher, en tournant le dos à cette chose
intense et rose, d’un pas chancelant.
La brume s’éloignait aussi de Tomohiko.
Je suis restée sidérée un certain moment. Mais
j’ai repris courage et j’ai couru après Tomohiko.
Le dernier chapitre
Je ne pourrai plus revoir la balle en sucre
■ C’est ainsi que le matin du 4 octobre est
arrivé.
Main dans la main, je monte toujours le mont
Nina avec Tomohiko. Il a repris des forces depuis qu’il a vomi comme une
cascade. Maintenant il gravit la montagne pas à pas de manière stable.
Je pense toujours, en espérant que ce ne sera
pas réel.
(Mokuzu……
Mokuzu, j’espère qu’il n’y aura pas ton
cadavre à l'endroit où le chien a été abandonné. La tempête est venue, comme tu me l'avais
dit. Ce serait encore mieux si tu redevenais une sirène, si tu pondais des œufs
avec tes compagnes et si tu partais pour une autre mer en leur promettant de
vous revoir dans dix ans.
Ah, pourvu que ton histoire soit réelle……. !)
■
La pente du mont Nina devenait abrupte et
j’avais de plus en plus froid. C’était à cause de l’air brumeux et blanc qu’on
pouvait qualifier de glacial. Alors qu’il faisait petit à petit clair, nous
tremblions un peu.
Au loin, j’ai pu apercevoir la mer. Les vagues
se faisaient violentes ; l'écume blanche heurtait les tétrapodes et se
dispersait.
Tomohiko et moi, nous avons retrouvé notre
calme. Au bout de dix minutes, nous suivions le sentier sans dire un mot.
Finalement, nous sommes sortis sur l’endroit un peu dégagé que je
reconnaissais.
J’ai eu l’impression de
sentir une odeur semblable à celle d'une bête. Tomohiko s’est arrêté et il a
reniflé le vent. Puis il a eu l’air sévère et m’a dit : « Nagisa, tu restes là.
Je vais voir.
- O, oui……. »
Tomohiko a avancé lentement. Il a atteint un
endroit qui ressemblait à une colline en feuilles, il n’est pas revenu avant un
long moment. Le vague à l’âme, je l’attendais debout. Au bout d’un moment, il
est revenu en marchant sur la terre en faisant un bruit régulier, puis il m’a
regardée l’air très triste. « Descendons.
- …….Descendre quoi ? »
Il a secoué la tête.
« Descendons la montagne.
- Pourquoi ?
- Il faut le signaler à la police. »
Tomohiko a tourné la tête vers la petite
colline. Alors que j’essayais aussi de la regarder en tendant le cou, il a
couvert mes yeux de ses mains.
« Une fille
est là-bas, morte démembrée. - Mokuzu !
- Peut-être que c’est elle. C’est une très jolie fille aux grands
yeux avec les cheveuxnoirs. Mais maintenant elle a l’air affreuse. Il vaut
mieux ne pas la regarder. Nagisa, ça……. »
Tomohiko a tendu un papier l’air hésitant.
Je l’ai reçu.
C’était un papier dont le bout était trempé de
sang ou d’un liquide bizarre, au milieu, il était écrit d’une mauvaise écriture
: « Au revoir, Mokuzu ». J’ai poussé un cri. C’était la même écriture que celle
du papier posé sur le cadavre du chien, disant « Au revoir, Pochi ». Je croyais
vaguement que c’était Mokuzu qui l’avait écrit. Mais c’était faux. Cette
écriture tremblante et enfantine était celle de l’auteur de la ballade du
meurtre sexuel, Masachika Umino.
Je me suis débarrassée de Tomohiko et j’ai
couru.
Les feuilles mouillées étaient tombées les
unes sur les autres. Elles ont fait un bruit sourd sous mes chaussures.
Des oiseaux gazouillaient quelque part.
Et je me suis approchée de cet objet entassé ;
je me suis arrêtée et j’ai perdu mes mots.
Ensuite, j’ai regardé mon amie immobile, démembrée et soigneusement
entassée.
Mokuzu écarquillait les yeux. Le
temps auprès d’elle s’était arrêté au moment où elle arborait une expression
triste, à la fois effrayée et résignée. C’était une expression que j’avais déjà
vue un jour.
Une grosse mouche bourdonnait autour.
« Tu es pleine de bleus. Umino……T’es sale.»
La voix de Kanajima a résonné dans ma tête.
J’ai revu le paysage dans la tempête d’il y a
un jour et demi.
« Pourvu que
tu sois aussi sale ! »
Je me suis retournée vers Tomohiko. L’air
inhabituellement désespéré, il me regardait. J’ai crié :
« Frérot ! Mokuzu Umino est morte
! Son fou de père l’a tuée ! »
Main dans la main, protégée par Tomohiko, j’ai
descendu la montagne. Nous nous sommes précipités dans le commissariat ce
matin. Je pleurais et tremblais. Comme je ne pouvais plus parler, Tomohiko a
expliqué à ma place en bégayant et rougissant à un policier qu’on avait
découvert le cadavre.
Il semblait que Tomohiko avait perdu sa
capacité spéciale, ‘’ce point de vue de Dieu’’, qu’il a obtenue dans sa vie
d’ermite depuis qu’il est sorti de la maison, qu’il a vomi et qu’il s’est mis à
marcher. Il était misérable, il n’arrivait pas à parler normalement. De la
sueur sur le front, il regardait à peine les yeux d’adultes qui arrivaient les
uns après les autres. Une femme-agent
qui avait l’air gentille lui a servi un café. Il continuait à parler en me
serrant contre son épaule. Une fois qu’il a terminé d’expliquer, il a hoqueté.
À ce moment-là, de grosses gouttes de larmes sont tombées de ses yeux comme une
cascade.
L’air précipité, des inspecteurs ont commencé
à répartir des policiers en équipes. Tomohiko versait toujours des larmes comme
s’il expiait ses sentiments endigués depuis trois ans. Mon frère pleurant était
très joli et produisait un immense impact sur l’instinct maternel. De jeunes femmes-agents
sont venues une par une ; elles ont essuyé ses larmes, caressé ma tête ; chaque
fois elles ont laissé une tablette de chocolat à la fraise, des bonbons, des
chewing-gums, du senbei à sésames
etc. Tomohiko, qui n’était plus Dieu, avait l’air faible, il était impuissant
comme un garçon de dix-sept ans ordinaire. Mais il me serrait dans ses bras et
caressait ma tête comme il l'avait fait à la fête de l’été d’il y a longtemps.
J’ai compris que mon frère était revenu après trois ans. Peut-être que le truc que j’ai croisé quand
je partais, la brume rose, était Dieu qu’il avait requis aux dépens de sa vie,
de son avenir, de l’amour et de ses amis.
J’ai songé un certain moment à ce Dieu
disparu. Je n’avais aucune idée d’où venait ce truc rose.
Plus tard, des inspecteurs d’un autre
département sont venus. Ils ont fait répéter à Tomohiko la même histoire. Il a
rougi, bégayé, perdu ses mots, en déplaçant son regard sur les murs, le
plancher, moi ou ses mains, il leur a expliqué. Les balles réelles de Tomohiko
étaient instables. Mais il les tirait de toutes ses forces. Ensuite, ils ont
reçu un appel disant qu’on avait découvert un cadavre au mont Nina. Divers
gens, ma mère et aussi mon prof, qui venaient de se réveiller, sont entrés dans
notre salle. Ils ont sursauté en regardant Tomohiko sanglotant et moi tout
épuisée. Devant nous qui étions collés l’un à l’autre, ma mère s’est troublée
puis elle a respiré profondément, et elle s’est troublée à nouveau.
« Est-ce vrai ? On m’a dit que la
fille des Umino est réellement morte…… »
Nous n’avons pas répondu. Nous n’avions plus
la force de parler. Ma mère a continué : « C, c, c’est peut-être une maladie
contemporaine. Les gens ont tous l’esprit tordu……. - Qu’est-ce que tu dis ! »,
a crié tout à coup mon professeur qui se tenait dans un état second.
« Arrête de dire des bêtises comme
ces crétins de commentateurs ! Qu’est-ce que la maladie contemporaine !
Qu’est-ce que l’esprit tordu ! On s’en fout ! Le type qui tue son enfant est
fou ! C’est tout, hein ? Il n’y a ni maladie contemporaine ni merde !
Idiote ! »
Ma mère a été intimidée. Après avoir dit ces
mots, mon professeur est resté debout un certain temps en frottant ses yeux à
moitié endormis. Ensuite, il s’est assis sur le canapé.
Il a crié « Ah ! » et s’est pris
la tête entre les mains.
Pendant quelques minutes, personne n’a parlé.
Un silence a régné dans la salle.
Tout à coup, quelqu’un a hoqueté.
Qui……. ?
Dans les bras de mon frère, j’ai promené mes
yeux dans la salle. Sur le plancher, entre les pieds de mon professeur qui
baissait la tête, une goutte est tombée. C’était une larme qui avait l’air
salée. Il a dit : « Eux, ils avaient déjà commencé à bouger.
- ………bouger ? De quoi tu parles ? »
Il a entendu ma voix tremblante et a levé la
tête.
En déformant son visage dépité, il a dit avec
difficulté :
« Il y avait des rumeurs et des
signalements parmi les voisins. J’en avais déjà parlé avec le centre d’aide
sociale à l’enfance. Mais le projet avançait difficilement, car quand on
parlait avec Umino elle-même, elle défendait son père. »
C’est le syndrome de Stockholm, c’est une
mauvaise connexion dans le cerveau, aije pensé.
« Mais nous bougions pour la
protéger. Moi, je suis devenu adulte, professeur et je me croyais Superman. À
propos de toi aussi, même si tu me détestais, je faisais des efforts pour que
tu puisses aller au lycée, je voulais arranger aussi les affaires des Umino. Le
héros arrive toujours en cas de danger. C’est comme ça. Mais j’avais tort. Une
de mes élèves est morte. - Monsieur……. »
Mon prof s’est gratté la tête. Il a gémi, l’air douloureux.
« Ah, Umino.
Tu aurais pu devenir adulte si tu avais survécu…… »
Il
s’efforçait de parler.
« Mais Umino. Tu avais vraiment
l’intention de survivre…….. ? »
Vers le soir, nous sommes finalement partis du
commissariat. L’affaire semblait avoir été annoncée dans toute la ville et tout
le pays. En dehors du commissariat, il y avait beaucoup de gens de stations de
télé. Nous sommes sortis en cachette par la porte de derrière, et rentrés chez
nous. Sur le chemin du retour, j’ai cherché de l’eau minérale. Dans cette ville
au pied de la chaîne de montagnes Chûgoku, de l’eau de neige était directement utilisée
comme celle du robinet, laquelle était assez bonne. Personne n’achète d’eau
minérale au même prix que du jus. C’est donc une boisson de citadins. J’ai
enlevé le couvercle, puis j’en ai bu à grandes gorgées le menton levé à
l’instar de Mokuzu. De l’eau a coulé de ma bouche, et est tombée jusqu’à mon
cou. Ce n’était pas si bon que ça. Il y avait un goût bizarre de minéral. J’ai
senti que même si j’en buvais infiniment, ma soif ne s’apaiserait pas. En
détachant la bouteille plastique d’eau minérale de mes lèvres, j’ai pensé que
c’était la véritable apparence de Mokuzu Umino.
Le fait que Masachika Umino ait été arrêté,
qu’il ait facilement fait des aveux et qu’il ait pleuré et se soit montré
triste pour sa fille, a fait les gros titres des actualités et à la télé. Sa
première chanson « L’os de la sirène » a été vulgairement classée à nouveau au
classement de musique. Tout le monde s’est enfin rendu compte de l’anormalité
de la troisième partie de cette ballade sentimentale. Des commentateurs ont sauté
dessus et ils se sont amusés à l’analyser pendant des jours. Mais, quoiqu’on
dise, Mokuzu ne reviendra jamais. Les personnes qui comprenaient ce fait
semblaient peu nombreuses. Masachika Umino, moi, Tomohiko, et mon prof. Dans l’école où je suis revenue après
environs dix jours régnait une drôle d’ambiance. La classe était aussi
inhabituellement calme. Les gens du beau monde parlaient peu.
Shôta Kanajima et moi semblions
attirer un peu l’attention de tout le monde.
Quelques jours plus tard, Eiko a commencé à me
parler petit à petit. Elle me parlait de la télé en me disant : « T’as regardé
ça hier ? » ou de coiffures, de moyens de faire boucler les cils, sinon combien
de cure-dents elle pouvait mettre sur ses cils ; en bref, des choses triviales.
Quand je lui répondais normalement, elle avait l’air soulagée. Puis elle a eu
l’air triste et s’est tue. Elle semblait s’inquiéter pour moi. Il y avait aussi
de la gentillesse dans le beau monde.
Chez moi, Tomohiko sortait de sa chambre et
cuisinait avec moi. Il coupait de la laitue maladroitement, mettait de la
vinaigrette dessus. Il sautait du porc et du kimuchi, versait de la sauce soja.
Il cuisinait quand même bien. Un jour, quand je suis rentrée de l’école, il
s’était fait couper ses longs cheveux lisses. Il avait la tête presque rasée.
J’ai crié « Woah ! ». Comme il sortait récemment, il était un peu bronzé. Ses
épaules devenaient larges et, comment dire, il était maintenant comme un homme
que je ne connais pas. Le beau dieu en mon frère qui pourrait avancer en
cadence sur les nuages avait complètement disparu. Quand l’automne s’avançait,
il réfléchissait à quelque chose tout seul. Par la suite, il est tout à coup
devenu soldat. À ma place, avant moi, il a intégré l’armée d’autodéfense
locale. J’étais très étonnée. « Frérot, il y a pas de problèmes ? », lui ai-je
demandé. « Des problèmes ? De quoi ? », m’a-t-il répondu l’air intrigué. Il
rentrait à la maison à l’occasion des vacances. En dévorant un bol de riz, il
m’a demandé de parler de l’école ou de la télé. C’était mon frère beau,
rassurant et gentil. J’ai perdu Mokuzu
Umino que j’avais à peine rencontrée, et Tomohiko comme dieu. Quand je m'en
suis aperçue, il n’y avait personne qui tirait des balles en sucre autour de
moi. Mokuzu n’était plus là, et littéralement Tomohiko passait des journées à
tirer des balles réelles. D’après ce dont j’ai entendu parler, Tomohiko peut
démonter, soigner et remonter une mitrailleuse de manière incroyablement vite
et gracieuse, on lui disait « Comme s’il dansait avec une mitrailleuse ». Un
jeune homme robuste, compagnon de sa troupe et qu’il a amené un jour chez nous,
me l’a dit. Tomohiko était surnommé « Prince des mitrailleuses ». En tant que
sa petite sœur, je trouve ça un peu bizarre.
Du coup,
Maintenant –
Plus personne ne tire de balles en sucre.
Plus personne ne jette une bouteille d’eau
minérale sur mon dos. Plus personne ne
prétend que ses bleus sont de la pollution.
Plus personne ne me demande de fuir quelque
part.
Mes cheveux ont beaucoup repoussé. En
grandissant, mes jambes et mes bras se sont allongés. Comme si j’échangeais ma
place avec Tomohiko qui devenait de plus en plus viril, je devenais de plus en
plus féminine. Un jour, quand j’ai regardé le miroir, j’ai découvert que je
ressemblais à Tomohiko lorsqu’il était fin avec ses cheveux longs. J’ai
sursauté.
Je vais au lycée. Ça va être quand même dur
parce que ma famille n’est pas aisée, mais je vais prendre un job après les
cours, après avoir terminé mes études, je vais travailler. Je pense que ça va
aller. Mon prof veille à ce que mes sentiments ne changent pas.
Aujourd’hui aussi, il y a des nouvelles
d’enfants tués. Il semble que ce n’est pas quelque chose de rare dans ce monde,
je m'en rends compte. Seuls les enfants qui ont survécu deviennent adultes. Ce
jour-là, mon prof l’avait murmuré dans la salle du commissariat, peut-être
qu’il avait été aussi un survivant d’autrefois. Mon prof qui a survécu et qui
est devenu adulte fait maintenant des démarches pour les enfants, tantôt il
réussit, tantôt il n’y arrive pas. Et il garde le silence à propos de
lui-même. Peut-être que je deviendrai
aussi comme ça.
En faisant semblant de n’avoir vécu ni
violence ni perte ni douleur, je deviendrai un jour adulte. Je ne veux pas être
quelqu’un de pourri qui parle de la mort d’une amie dans un bar comme si
c’était une décoration de sa jeunesse. J’ai l’impression que je deviendrai
adulte en gardant toujours cette affaire que je n’arrive pas arranger dans mon
cœur. Mais je n’oublierai jamais que j’ai treize ans aujourd’hui et qu’il y a
d’autres soldats qui tirent des trucs farfelus avec des armes inutiles à part
moi, qu’il y a des survivants et des morts.
Je n’oublierai jamais.
Dans la liste des soldats morts d’un jour,
avec les noms d’autres enfants inconnus, flotte aussi discrètement le nom de
Mokuzu Umino. Elle a été tuée par son parent alors qu’elle espérait être aimée
en l'aimant et en s'y attachant.
De temps en temps, ce genre de choses arrive
dans ce monde. Les enfants ne peuvent pas se battre avec des balles en
sucre. Mon âme sait ça.
[1]
’’Umino
Mokuzu’’ signifie littéralement en japonais ‘’Ordures de mer’’
[2]
Boku, le « je » masculin en japonais.
[3] un mot japonais désignant
un état psychosocial et familial concernant principalement des adolescents ou
de jeunes adultes qui vivent coupés du monde et des autres, cloîtrés chez leurs
parents, le plus souvent dans leur chambre pendant plusieurs mois, voire
plusieurs années, en refusant toute communication.
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