mercredi 30 mai 2018

La lucarne


 Vivre sous les combles d’un appartement occidental était l’un de mes rêves. Depuis toujours, je suis attiré par les lucarnes sur les toits des bâtiments européens sans raison. Lorsque je marchais dans les rues, je ne pouvais m’empêcher d’imaginer le paysage que je pourrais dominer de là. Par la fenêtre sous les combles, j’aurais sous les yeux le quartier tout entier. La nuit, on pourrait trouver Orion et les étoiles les plus brillantes. Il ne ferait pas très clair à l’intérieur, mais il devrait y régner une pénombre confortable. Il se pourrait également que le fantôme d’une femme morte il y a cent ans erre la nuit.

 Cet humble rêve étrange a été réalisé de manière inattendue. Je suis venu dans ce petit village pour travailler comme interprète, et je vis en ce moment dans l’appartement sous les combles qu’a préparé l’entreprise.

 Ma chambre est assez grande, beaucoup plus que celle de Strasbourg. Il y a un grand lit au-dessus duquel se croisent des poutres en bois blancs. Elles dessinent une forme géométrique comme le plan d’une machine compliquée. Le toit est en pente, de telle sorte qu’il faut se courber pour aller au bout de la chambre, sinon on se cogne la tête comme ça m’est arrivé. Dans la salle de bain, il y a des toilettes et une douche. À côté se trouve un frigo, un micro-onde et une simple cuisine équipée de deux plaques électriques. Devant la cuisine, il y a une table sur laquelle je suis en train d’écrire cet article. Entre la cuisine et le lit, il y a un fauteuil et une petite table carrée. Tous ces meubles ne sont peut-être pas très chers. Ce sont des meubles simples qu’on peut trouver dans une chaîne de magasin comme Ikea. Sans ornement, ils remplissent leur rôle en tant que meubles. Les chaises sont là pour qu’on s’y asseye. Les tables sont là pour mettre quelque chose dessus et rien de plus. Ce fauteuil n’est pas une exception. Entre les trous du tissu de la couverture, on aperçoit les ressorts semblables à une carcasse sortie du plus profond de la mer. Si on s’assied, on a un peu mal au dos : l’étoffe n’est pas assez épaisse pour soutenir un corps humain. Mais si on y pose un coussin, ce fauteuil devient assez confortable. S’il était trop mou, je serais plus détendu qu’il ne convient et je ne pourrais pas me concentrer sur la lecture. Dans cette chambre, ce fauteuil est en fait mon préféré. J’aime son côté maussade comme s’il disait : « Assieds-toi si tu veux ». Aujourd’hui, je me suis mis à lire « Le Petit Joueur d’échec » sur ce fauteuil. Lorsque je me suis relevé, j’avais fini ce livre.

 La lucarne qui se trouve au-dessus de la cuisine est la seule fenêtre. Elle est rectangulaire, petite et en biais au même aspect que le toit, si bien qu’elle est tournée vers le soleil. De cette fenêtre on ne voit aucun bâtiment. Tout ce que l’on voit, c’est le ciel. Si on s’en éloigne un peu, on a l’impression que quelqu’un a découpé un morceau de ciel et l’a collé dessus. On peut regarder ce tableau toute la journée sans se fatiguer. Par exemple, ce matin, il pleuvait à torrent. Le soleil est revenu vers midi. Dans la soirée, les nuages dorés couraient quelque part, puis la nuit a couvert la fenêtre de noir, comme si un géant invisible tirait un rideau. De temps en temps on reçoit un visiteur adorable, un pigeon qui vient s’y reposer.

 Comme c’est la seule fenêtre, la chambre est assez sombre même pendant la journée. Cette pénombre est agréable pour moi parce que j’ai l’impression d’être dans un sous-marin et de voyager au fond de la mer. Quand la douceur du soleil me manque, je me mets devant la cuisine.

 Ici, je n’ai pas besoin de réveil, car chaque matin, la voix des enfants qui vivent au-dessous me réveille exactement à sept heures trente. La mère crie pour secouer ses enfants qui ont encore sommeil et les faire partir pour l’école. Je me demande comment les gens vivent dans un village si petit. Je sais qu’il y a une école primaire ici. Parfois je vois des adolescents qui vont peut-être au collège. En revanche, il n’y a ni lycée ni université ni cinéma ni librairie ni bus (c'est comme une chanson de YOSHI Ikuzô, mais les Français ne la connaissent pas). J’imagine que la plupart des jeunes quittent le village au moment où ils entrent au lycée. En même temps, je pense que la vie des enfants est peut-être la même où que ce soit. Ils retrouvent leurs camarades à l’école, travaillent ou jouent, puis rentrent chez eux, et ce mode de vie se répète jusqu’à ce qu’ils se rendent compte qu'ils ont grandi.

 C’est la troisième fois que je séjourne dans ce village pour le même travail. Chaque fois que je rentre à Strasbourg, j’ai l’impression que j’ai rêvé et que j’étais dans un endroit qui n'existe que dans le rêve de quelqu'un.


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