jeudi 17 mai 2018

''Natsume Sôseki ébahi par les paroles d'une amie de sa fille'' (Le calendrier Sôseki)


 Il y aura cent cinq ans aujourd’hui, le 19 mai 1911, la troisième fille de Sôseki, Eiko a invité une de ses camarades à venir chez elle. À l’époque, Eiko était une écolière de sept ans et demi.
 Son amie, voyant Sôseki, s’est inclinée.
 Sôseki, quarante-quatre ans, a souri et lui a dit : « Hé, bonjour » en imitant la façon de parler de poissonnier ou de marchand de légumes.
 Un peu plus tard, Sôseki s’est approché des deux petites filles qui jouaient. Il a demandé à la camarade de sa fille :
« Que fait ton père dans la vie ? »
 Il avait parlé sans réfléchir. Son interlocutrice a répondu brièvement.
« Mon père est mort à la guerre ».
 Sôseki est resté sans voix. La douleur lui avait ôté la parole. Au bout du moment, il a enfin ouvert la bouche :
« Tu seras toujours la bienvenue ici ».
 Cela dit, Sôseki a quitté les deux fillettes.

 La Guerre russo-japonaise avait commencé sept ans auparavant, le 8 février 1904. Elle a fini le 5 septembre 1905 avec la signature du traité de Portsmouth. Cette amie de la troisième fille de Sôseki avait donc perdu son père lorsqu’elle était encore bébé.
 L’armée japonaise a perdu quatre-vingt-huit mille soldats au cours des dix-neuf mois de guerre.
 Dans le salon, Sôseki a parlé de cette fillette avec son épouse Kyôko. Les paroles de l’enfant lui avaient rappelé l’horreur de la guerre et le fait que son père avait déplacé le livret de famille de son fils au Hokkaidô pour éviter la conscription.

 Il semble que l’aînée, Fudeko, écoutait à la dérobée la conversation entre Sôseki et Kyôko. Quelques jours plus tard, un incident inattendu a eu lieu.

 À l'école primaire, l’institutrice de Fudeko déclara devant ses élèves.
« L’insoumission est la honte du peuple. Un citoyen japonais doit remplir ses obligations. »
Fudeko s’est levée et a dit :
« Mon père est allé au Hokkaidô pour éviter la conscription. Cela signifie-t-il qu’il n’est pas un citoyen japonais ? »
 Comme c’était encore une enfant, elle a posé cette question sans beaucoup réfléchir. L’institutrice ne savait pas quoi répondre. Après un long silence, elle lui a répondu doucement :
« Non, parce que ton père remplit autrement son devoir de citoyen et c’est bien aussi. Mais si quelqu’un d’autre se conduisait comme ton père, tu devrais lui faire reconnaître son erreur ».
 Ce n’est que plus tard que Sôseki a appris cet incident. Sa réaction fut mitigée.

 Le mois suivant, lorsque Sôseki s’est rendu à Takada dans la préfecture de Nîgata, il a parlé de cet événement à un journaliste du ‘’Journal de Takada’’. Par ailleurs, durant la conférence qu’il a donnée dans l’amphithéâtre du collège de Takada, un jour où une pluie diluvienne frappait le toit, il a dit : 
« Vous devrez voir plus loin que Takada, devenir citoyens du Japon, puis du monde. Vous devez, dépassant le cadre de votre ville natale, devenir dignes, par votre conduite, d'être japonais, puis citoyens du monde. »
 Si les générations suivantes avaient dépassé provincialisme et nationalisme, et avaient acquis une mentalité plus cosmopolite, il n'y aurait plus jamais eu de guerre. Du fond du cœur, c’est sans doute ce que Sôseki souhaitait.

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