samedi 5 mai 2018

Un couteau et une lampe




 Je n’avais pas de chance aujourd’hui. Comme j’ai reçu un avis de passage, je suis allé à la poste. Il était écrit que je pouvais retirer mon colis le 4 mai, soit aujourd’hui, mais j’avais déjà un mauvais pressentiment en tenant compte des nombreuses bêtises qu’avait déjà faites le bureau de poste de mon quartier.
 Je me suis présenté à une employée de la poste, une jeune femme asiatique, puis je lui ai montré l’avis de passage et une pièce d’identité. Elle a scanné le code-barre avec un lecteur, et à ce moment-là, son visage s’est imperceptiblement assombri. J’ai intuitivement compris que mon colis n’était pas là. Un instant plus tard, elle m’a dit que mon colis n’était pas là et m’a demandé de revenir le lendemain. Une réponse que j’avais déjà entendue de nombreuses fois. Si c’est comme d’ordinaire, mon colis ne sera pas là demain non plus.

 Ensuite, je suis allé au campus pour rendre « La ballade de l’impossible » et « 1Q84 tome 2 » que j’avais empruntés à la bibliothéque de japonais. Il y a quelques jours, la bibliothécaire m’avait envoyé un mail disant qu’elle serait là le vendredi.
 J’ai montré à un vigile ma carte d’étudiant et je suis entré dans le Patio. Je n’y étais pas entré depuis quelques semaines, alors qu’avant les événements j’avais des cours dans ce bâtiment presque tous les jours. L’intérieur était étrangement calme et sombre parce que quelques lumières étaient éteintes.
 J’ai avancé dans le couloir et j’ai monté l’escalier pour aller au département de japonais. Chaque étage était obscur et on aurait dit qu’il n’y avait personne. Pour la première fois, l’université qui est toujours animée ressemblait à une ruine.

 Au quatrième étage, je suis entré dans la bibliothèque de japonais. Mais je ne voyais pas la bibliothécaire à sa place habituelle. J’ai avancé silencieusement, et j’ai découvert qu’une dame asiatique inconnue était assise à la table. J’ai deviné qu’elle était japonaise, mais je lui ai parlé en français. Elle n’avait pas l’air de comprendre cette langue et s’est mise à me parler en anglais. Je lui ai demandé en japonais si elle n’avait pas vu la bibliothécaire. La dame ne la connaissait pas et nous avons échangé quelques mots. C’était une professeure d’une université japonaise qui était venue au département de japonais pour faire des recherches.
 En japonais, la manière de parler varie de façon subtile selon l’interlocuteur (et c’est une des raisons pour lesquelles je me sens plus libre en français). J’ai fait travailler mon cerveau pour ne pas manquer de courtoisie. Finalement, nous avons échangé nos numéros et nous nous sommes dit au revoir.
 Lorsque je suis sorti de la bibliothèque et que je fermais la porte, à gauche, un professeur de la chaire de japonais était aussi en train de fermer la porte de la salle des enseignants. (Je pense que c’est Monsieur Muramatsu). Il m’a vu et m’a dit « Konnichiwa ». Je lui ai aussi dit « Konnnichiwa ».

 En descendant l’escalier, je me suis rendu compte que je n’avais pas parlé en japonais depuis longtemps. Lorsque je le parlais, c’était toujours avec des étudiants français en LLCE ou LEA japonais. Je me sentais fatigué après une conversation dans cette langue. Le japonais de bébé de mes amis français m’a terriblement manqué.

 Parfois, je me demande qui je suis, car lorsque je parle en japonais, je me sens comme affublé d’un kimono étrange d'une taille trop petite. Le seul moment où je me rappelle ma nationalité, c’est quand je me lève le matin et que je me regarde dans le miroir pour me raser.

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