mardi 15 mai 2018

La pluie et Van Gogh


 Il y a quelques jours, lorsque je suis allé rendre mes livres à la bibliothèque de japonais, j’ai avoué à la bibliothécaire mon projet de la chasser et de la remplacer. Une fois accédé au poste de bibliothécaire, je déplacerais tous les livres quelque part sauf mes auteurs préférés. Le campus est immense ; il doit y avoir un sous-sol ou un entrepôt pour stocker les livres dans un bâtiment quelconque. Ensuite, j’installerais un projecteur pour faire de la bibliothèque un petit cinéma et j’achèterais beaucoup de DVDs avec les frais de la bibliothèque. Je voudrais aussi avoir de la place pour monter des maquettes. J’aurais besoin d’un compresseur, d’un aérographe et de couleurs pour faire des maquettes d’avion. D'ailleurs, ce serait mieux s’il y avait un lit, comme ça je pourrais passer une nuit à l’université et je n’aurais plus besoin de prendre le bus très tôt le matin. Je n’ai pas dit tout cela à la bibliothécaire. C’était un secret. Je lui ai seulement dit que j’avais l’intention de la remplacer quand elle quitterait la fac. Elle a ri et m’a dit qu’elle resterait encore quelques années à l’université. Mon projet s’est dissipé comme un rêve d’été éphémère.

 J’avais l’habitude d’emprunter quelques livres à cette bibliothèque, mais cette fois je ne savais plus quoi lire. J’ai demandé à la bibliothécaire de choisir des livres pour moi. Après avoir dit cela, je me suis un peu inquiété. Je n’avais pas pensé à la possibilité selon laquelle elle choisirait des livres tels que « Le recueil de poèmes japonais classiques de l'ère Heian » ou « La Politique et l’économie japonaises après la guerre ». Au bout de quelques minutes, elle m’a apporté trois livres que j’avais déjà lus il y a longtemps.
 C’était « La Course au mouton sauvage » et l’édition originale de « La Chronique de l’oiseau à ressort » de Haruki Murakami, et le dernier était « Le Faste des morts » de Kenzaburô Oe. Je lui ai demandé si elle avait choisi des livres de Murakami pour moi. Elle m’a dit que c’était ses romans préférés. J’ai parlé du passage sanglant de « La Chronique de l’oiseau à ressort » dans lequel un soldat japonais se fait écorcher vif par un officier mongol ou russe durant la bataille de Khalkhin Gol, mais elle ne semblait pas trop s’en souvenir.
 En indiquant du doigt le livre d'Oe, je lui ai demandé si ce n'était pas l'histoire sur le travail consistant à laver des cadavres. Si, m'a-t-elle dit.

 Mon souvenir est aussi flou. J’ai relu « Le Faste des morts » chez moi. C’était plutôt l’histoire sur le transport des cadavres et pas sur leur nettoyage. Le livre m'a rappelé ma classe du collège car j’avais quatorze ou quinze ans lorsque je l'avais lu. Mais cette fois, je n’étais plus dans mon pays natal enneigé et je me trouvais dans un endroit beaucoup plus lointain, un lieu où je n’avais jamais imaginé venir.

 Kenzaburô Oe était encore très jeune quand il a écrit cette nouvelle. J’ai déjà dépassé cet âge. Une célèbre anecdote dit que César a pleuré devant la statue d’Alexandre le grand parce qu'il n’avait rien achevé alors qu’il avait atteint son âge de décès. Devant la statue de qui devrai je pleurer ?

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