dimanche 30 septembre 2018

La laitue


 Ce soir, j’ai essayé de manger de la laitue. Je l’ai bien lavée avec de l’eau froide et mise dans un bol. La laitue était d’un joli vert. Sa surface mouillée était si fraîche et lisse qu’aucun escargot n’aurait pu résister au désir de ramper dessus. J’ai songé un instant à l’itinéraire qu’elle avait suivi. La laitue a sans doute été élevée par un agriculteur quelque part en France. Il se peut que cet agriculteur lui eût donné un nom, Catherine, par exemple, et qu’il l’affectionnât particulièrement tel son enfant. Un jour, le moment de la séparation est arrivé. Catherine a été cueillie et chargée dans un camion. Après un long voyage, Catherine est arrivée dans ma ville et on l’a exposée dans un rayon de supermarché. Par hasard, je suis passé devant. J’ai eu envie de manger une salade. Le destin a voulu que je la prenne parmi les autres laitues. C’est ainsi qu’elle est venue chez moi et qu’elle s'est trouvé à cet instant dans un bol, en attendant d’être avalée.
 J’ai pris une bouteille de vinaigrette dans le placard. La fourchette était déjà prête. J’avais même mis de la tomate pour que la laitue ne se sente pas seule. Dans quelques instants, j’allais manger de la laitue et en savourer la fraîche saveur dans ma bouche. Heureux, j’ai secoué la bouteille de vinaigrette pour bien la mélanger. Il se peut même que je fredonnasse un morceau en la secouant comme une maraca. À ce moment-là, le couvercle de la bouteille s’est ouvert tout seul et de la vinaigrette a jailli dans l’air comme une fontaine. Le liquide qui a volé dans l’espace, est ensuite tombé sur le plancher selon la loi de la gravité de la terre, en créant des tâches brunâtres sur les carreaux. La laitue était intacte, silencieuse dans son bol sur la table. Ce désastre est arrivé parce que la dernière fois que j’avais utilisé de la vinaigrette, je n’avais pas bien fermé la bouteille. Mon esprit s’est effondré. Je me suis couvert le visage et j’ai versé des larmes métaphoriquement parlant. J'ai pris une serpillère et essuyé le carrelage. Il ne ressemblait pas à de la vinaigrette. Il en émanait une odeur acide et me rappelait plutôt de la vomissure. C’était étrange. La vinaigrette, qui a l’air appétissante lorsqu’elle se trouve sur une salade, semblait tout à coup nauséabonde sur le sol. En tous cas, j’ai essuyé le plancher. Après m’être lavé les mains, cette fois, j’ai mis de l’huile d’olive et un peu de sel sur la salade. Je l’ai enfoncée profondément avec la fourchette.

samedi 29 septembre 2018

L'atelier


 Aujourd’hui, je suis allé à un atelier de français fortement recommandé par le cours de FLE. Comme j’ai écrit hier, on m’a inscrit dans le groupe du niveau B2, bien que je possède déjà le C1, parce que je ne m’exprime pas bien en français. Je craignais que l’atelier ne soit trop facile et ennuyeux pour moi et c'était malheureusement le cas.
 J’étais avec deux Allemandes, un Russe bavard et une Colombienne (pourquoi toutes les Colombiennes s’appellent-elles Adriana ?). La prof nous a demandé si nous connaissions des chansons françaises. Les autres n’en connaissaient pas. J’en connaissais un peu. J’ai cité les noms des chanteurs français célèbres tels que Georges Brassens, Serge Gainsbourg, Claude François, Mylène Farmer, Bertrand Cantat, Boris Vian etc. La prof, douce et gentille, a eu l’air impressionnée comme si elle voyait un arbre parlant. Ensuite, elle nous a fait écouter une chanson française. Nous devions lui dire les verbes que nous avons trouvés dans le morceau, comme aimer, vivre, tomber, tourner etc. Nous avons vérifié l’infinitif des verbes ‘’croire’’ et ‘’soigner’’. Elle nous a demandé si le mot ‘’douleur’’ était un nom ou un verbe. J’ai eu l’impression d’être un bébé. J’ai eu envie de crier « Areu, areu » et de pisser dans mon pantalon comme un vieillard dément. Tout à coup, je me suis senti vide en me demandant pourquoi j’étais là et pourquoi je devais vérifier l’infinitif des verbes ‘’croire’’ et ‘’soigner’’ au bout de mes six ans d’apprentissage du français. C’est parce que j’ai bégayé en français lorsqu’une autre prof m’a adressé la parole. J’ai eu envie de mourir. Et puis, elle nous a demandé de chanter la chanson qu’elle nous avait fait écouter. C’était un morceau joyeux avec des paroles humanistes. J’ai ouvert et fermé la bouche en faisant semblant de chanter. Mon traumatisme d’avoir été obligé de chanter tout seul devant une institutrice de l’école primaire, obèse comme une cantatrice, m’a traversé l’esprit et m’a tourmenté. À la fin du cours, la prof nous a fait prononcer le mot ‘’Bonsoir’’. « Bonsoir », a dit l’Allemande. « Bonsoooiiiirr », a dit la prof. « Bonsoooiiiirrr », a dit l’Allemande. « Bonsoir », a dit la prof. « Bonsoir », a dit l’autre Allemande. « C’est bon, a dit la prof. Bonsoir ». « Bonsoir », a dit le Russe. « Bonsoir », m’a-t-elle dit. « Bonsoir », ai-je dit. « Bonsoiiiiirrrrr », a dit la prof. « Bonsooiiiirrrr », ai-je dit. Elle a eu l’air conteeeennnte.
 L'école maternelle était très joyeuse, mais je ne pense pas y revenir.

vendredi 28 septembre 2018

L'écharpe


 C’était une journée douloureuse. D’abord, je me suis trompé de la date d’un cours et je me suis rendu compte que j’avais manqué le dernier cours de cette prof sans l’avoir fait exprès. À midi, j’ai acheté un sandwich à la boulangerie. J’ai cherché une place où m’asseoir, mais tous les bancs et toutes les places de la cantine étaient déjà occupés par des étudiants joyeux et brillants. J’ai été aveuglé par leur aura positive et je me suis enfui. Finalement, je me suis installé sur un chauffage éteint et j’ai mangé mon sandwich en regardant le plancher.
 Pendant un autre cours, j’ai eu l’honneur de présenter mon exposé sur un extrait des « Confessions » de Rousseau en octobre. La littérature française est la matière pour laquelle je suis le moins fort. Il est facile de m’imaginer bégayant et prononçant mal certains mots. Si je faisais une mauvaise analyse, devrais-je recevoir des fessées devant tout le monde ?
 Pendant le cours de FLE, tandis que j’écrivais une prose niaise pour gagner des points, l’enseignante m’a tout à coup adressé la parole par derrière. Elle m’a demandé mon niveau. J’étais tendu. Après avoir dit « Euh…. », « Ah…. », j’ai finalement réussi à lui faire comprendre que j’avais obtenu le DALF C1 il y a quelques années. « B2 », m’a-t-elle dit. « Ah……, euh……..», ai-je dit. Je pouvais travailler tout seul mes production et compréhension écrites. Mais j’avais besoin d’interlocuteur pour pratiquer mon oral, ce qui explique pourquoi je ne m’exprime pas bien en français. Toutefois, je pense que l’atelier de B2 m’ennuierait beaucoup…….
 Je me demande parfois si apprendre le français était vraiment un bon choix. J’affectionne cette langue, certes. Quelques fois, on m’a fait des compliments en me disant mon français était excellent. Mais je n’ai pu me faire que très peu d’amis francophones alors que les Japonais qui ne parlent qu’un anglais approximatif ont beaucoup d’amis français. J’ai également échoué à faire le Tandem. Je ne dis pas que mon apprentissage du français était complètement inutile, car c’est surtout dû à ma personnalité. Cependant, ce qui me reste après avoir mémorisé 20 000 ou 30 000 mots est un sentiment de vide. L'apprentissage de cette langue m'a appris que ma vie est un néant infini qui durera jusqu'à ma mort.
 En quittant le bâtiment, j’ai réalisé que je n’avais plus mon écharpe rouge. J’ai encore perdu quelque chose.

mercredi 26 septembre 2018

Pnine


 Pendant un cours, la professeur nous a demandé si un personnage d’un roman de Nabokov, Pnine, un professeur d’université américaine, dont on se moque mais qu’on apprécie, et qui vit dans un univers à lui, ne faisait pas penser à des personnages d’autres romans. Mes camarades ont eu l’air pensifs. Moi aussi, j’ai pensé à tous les romans que j’avais lus jusque-là. À ce moment-là, l’image d’un Anglais d’un certain âge, aux yeux écarquillés et aux gros sourcils, vêtu comme un professeur, dont les gens se moquent mais qu’ils aiment bien, et qui vit dans un univers à lui, m’a traversé l’esprit. C’était Mr. Bean. Il me semblait que personne d’autre que Mr. Bean ne correspondait à cette description. En même temps, je me taisais, parce que même si je ne suis pas très intelligent, j’avais l’impression que Mr. Bean n’était pas la réponse qu’elle attendait. D’ailleurs, c’est un personnage d’une série télévisée, et pas d’un roman. J’ai jeté un coup d’œil à mes camarades. Ils réfléchissaient. J’ai essayé de penser à n’importe quel personnage des romans que j’avais lus. Les personnages des romans de Brautigan ? Ils ont l’air détachés de la réalité. Jose Arcadio Buendio de « Cent ans de solitude » que j’avais lu récemment ? Cependant, chaque fois que j’esquissais un personnage dans mon esprit, Mr. Bean apparaissait ; il dansait, sautait et souriait tout seul. C’était trop tard. Plus je tentais de réfléchir à autre chose, plus mon esprit était envahi par Mr. Bean. Peu après, quelques-uns de mes camarades ont cité des personnages de quelques romans. Après avoir brièvement commenté, notre professeur a dit que le roman de Nabokov lui faisait penser à des personnages de romans de Dickens. J’étais soulagé de ne pas avoir suggéré Mr. Bean.

mardi 25 septembre 2018

''Dernier train pour Busan''


 Je ne me sentais pas bien et j’ai manqué le cours d’anglais de ce matin. Ce n’est pas un mensonge. J’étais malade même si je n’avais pas de fièvre. J’avais un peu mal à la gorge et je toussais. Mais à vrai dire, j’avais eu un petit problème personnel et j’étais chagriné. Après avoir vérifié qu’il était huit heures, j’ai refermé les paupières.
 J’ai passé le matinée à regarder un film de zombie coréen, intitulé « Dernier train pour Busan ». C’est la première fois que je regardais un film coréen. C’était drôle que des gens ressemblant à des Japonais parlaient une langue que je ne comprenais pas. Ce film était d’une excellente qualité et m’a beaucoup plu. Surtout il était beau. Un beau film de zombie est rare puisque les zombies sont forcément sales. Ils attaquent des hommes en faisant jaillir du sang et un liquide organique dégoûtant.
 L’intelligence des zombies du « Dernier train pour Busan » est si basse qu’ils ne peuvent même pas ouvrir une porte. Cependant, ils sont féroces et courent vite. D’ailleurs, j’ai remarqué qu’il est impossible de les neutraliser en leur brisant le cerveau, de sorte que ce sont plutôt des zombies forts que j’aimerais éviter de combattre.
 Je ne parle pas en particulier de ce film, mais quand on regarde beaucoup de films d’horreur, l’introduction suffit pour deviner quels personnages principaux vont mourir. Par exemple, dans les films d’horreur américains typiques, le héros, le plus souvent un garçon ordinaire, ne meurt pas parce que s’il meurt, les spectateurs américains ne sont pas contents. S’ils ne sont pas contents, le réalisateur et le sponsor ne sont pas contents, donc le héros doit survivre. En revanche, un ami au héros, un type robuste, souvent membre du club de football américain meurt très probablement. S’il se moque du héros dans la première partie, son taux de mortalité s’élève à 99 pour-cent. Ce type de personnage a souvent une copine blonde sexy et meneuse. Elle meurt aussi. Un geek et un Noir hilare ont plutôt tendance à survivre, mais pas toujours. Toutefois, les personnes âgées meurent, en entraînant un ou deux personnages. Et s’il y a un shérif dans un film d'horreur, il est là pour être massacré.
 En regardant le film, je culpabilisais de plus en plus de ne pas être allé au cours d’anglais. Je me suis demandé ce que je faisais, assis devant l’ordinateur, tandis que les autres prenaient des notes et posaient des questions à la professeur. Pendant que mes parents pensaient que j’étudias sérieusement à l’université en France, je regardais un film de zombie coréen en disant : « Ah, ce gros, il va mourir », « Regarde derrière toi ! ». Le héros a versé des larmes et moi aussi.
 Dans la soirée, je suis donc allé au cours de dimensions énonciatives. Les Japonais mettent souvent un masque quand ils sont enrhumés. En France, si je portais un masque, les gens penseraient que j’ai une maladie mortelle ou que je suis infecté du virus du zombie. Ça ne me dérange pas de marcher en dispersant le virus de mon rhume dans l’air, toutefois je n’hésite pas à mettre un masque au printemps parce que l’air est contaminé par le pollen qui m’asphyxie et m’aveugle.

dimanche 23 septembre 2018

La montre


 J’étais malade et je suis resté couché toute la journée. J’ai essayé de lire un livre, mais j’ai renoncé à cette idée parce que les mots se sont détachés des pages et se sont mis à flotter dans l’air. Si j’essayais de les attraper, ils collaient à mes doigts. Le livre, perdant de plus en plus ses mots, devenait blanc.
 Pauline m’a dit : « Tu tombes régulièrement malade. Serais-tu le genre de garçons à toujours sortir en T-shirt, quelle que soit la saison ? ». J’étais déçu qu’elle me prenne pour un écolier de douze ans. Je porte un pull ou un manteau lorsqu’il fait froid. Cependant, je ne mets qu’une couverture quand je suis chez moi parce que je n’aime pas porter de vêtement, mais ce n’est pas pour la raison qu’avance Jean-Jacques Rousseau. Simplement, je n’aime pas mettre quelque chose sur mon corps comme un collier, un bracelet ou une montre. Lorsque je suis entré au lycée, on m’a offert une montre. On m’a forcé à la mettre à mon poignet et j’ai découvert que cette sensation de métal contre ma peau était fort désagréable. Je la mettais donc dans la poche de mon pantalon. Quelques jours plus tard, elle avait disparu.

samedi 22 septembre 2018

Un Pokémon rare


 J’ai rencontré une Française qui maîtrise parfaitement le japonais. Au début, nous parlions en français, mais à un moment donné, elle m’a demandé de parler en japonais. J’ai du mal à changer de mode linguistique. Tandis que je bafouillais en cherchant mes mots pour relancer la conversation, elle m’a demandé pourquoi j’avais commencé à apprendre le français. « J’étais un ‘’neet’’ et je m’ennuyais », ai-je répondu franchement. Elle a éclaté de rire et m’a dit qu’elle avait posé cette question à plusieurs Japonais, et que c’était la réponse la plus intéressante. Ensuite, elle s’est mise à parler de sa vie en japonais. Elle n’avait que très peu d’accent. L’intonation était naturelle. Elle n’a fait aucune erreur grammaticale bien que les Français choisissent souvent de mauvaises particules. Si j’avais fermé les yeux, j’aurais cru que c’était une Japonaise aux cheveux noirs qui me racontait sa vie. J’avais déjà rencontré des Français qui parlaient naturellement ma langue maternelle, mais ils avaient un parent japonais. Ce n’était pas son cas. J’ai dû constater qu’un Français qui a appris le japonais et qui le maîtrise au niveau natif n’est pas une créature imaginaire. C’est un Pokémon rare qui existe réellement.
 Ce jour-là, j’avais mal à la gorge. Je ne cessais d’hydrater ma gorge avec une bouteille de Perrier. « Pardon, j’ai un peu mal à la gorge », lui ai-je dit en japonais. « Tu vas avoir un rhume dans quelques jours. Si je tombe malade prochainement, c’est à cause de toi », m’a-t-elle dit en japonais. Elle avait raison parce que je ne me sens pas bien et j’ai le nez qui coule maintenant. J’ai de nouveau regardé « La La Land ». Je l'ai regardé trois fois et j'ai été touché trois fois. Par conséquent, dans le classement des meilleurs films basé exclusivement sur mes goûts et préjugés, « Annie Hall » a baissé et « La La Land » est monté. J'ignore si la Française est tombée malade.

vendredi 21 septembre 2018

FLE (2)


 Aujourd’hui, je suis allé pour la première fois au cours de FLE. Je suis arrivé en retard comme je l’avais prévu. La prof m’a dit de me mettre à une table et d’écrire ce que j’avais fait la semaine dernière. J’ai fouillé dans ma mémoire, mais tout ce dont je me souvenais, c’est que j’avais dormi. Après que j'ai eu rempli à moitié la feuille de papier qu’on m’avait donnée, la prof s’est mise à expliquer le fonctionnement de ce cours. Au début, je l’écoutais sérieusement, mais comme elle n’en finissait pas, j’ai commencé à m’ennuyer et à penser à Jean-Jacques Rousseau dont on avait parlé pendant le cours précédant. Un Jean-Jacques Rousseau qui reçoit des fessées, un Jean-Jacques Rousseau qui abandonne Le Maître en pleine crise d’épilepsie, un Jean-Jacques Rousseau qui appelle sa maîtresse Mme de Warens « Maman ». Tout à coup, Jean-Jacques Rousseau me semblait précieux. J’ai failli appeler la prof maman.
 Ensuite, la prof nous a divisés en trois ou quatre groupes. J’ai été mis avec trois filles, deux Brésiliennes et une Allemande. Elles étaient toutes en première année et venaient d’arriver en France. Leur regard passionné et brillant me permettait de comprendre qu’elles voulaient vraiment faire des progrès en français. Quant à moi, j’ai pris ce cours comme option parce que ça avait l’air facil….parce que moi aussi, je voulais progresser en français.
 Dans l’enveloppe rouge que la prof nous avait donnée se trouvaient plusieurs morceaux de papier sur lesquels différents sujets étaient marqués. Nous devions discuter brièvement sur chaque sujet. Pour une raison obscure, il y avait beaucoup de sujets sur l’amour, du genre : « Vous croyez au coup de foudre ? », « « Combien de fois êtes-vous tombé amoureux ? », « Qu’est-ce que vous faites quand vous avez un chagrin d’amour ? », ce qui m’a rendu muet contrairement à l’Allemande qui était spécialiste dans ce domaine. L'Allemande nous a décrits tous les symptômes de son chagrin d'amour, qu'elle ne mangeait pas, qu'elle pleurait, qu'elle regardait des films sans comprendre l'intrigue. Je me suis inquiété pour elle en me demandant si c'était normal. Lorsque je lui ai dit que je ne ne connais pas l'amour, elle s'est inquiétée pour moi en me demandant si c'était normal. Toutefois, j’ai répondu aux autres questions de façon humoristique, en essayant de sourire comme un représentant en lessive, pour ne pas briser l’ambiance joyeuse.

jeudi 20 septembre 2018

La casquette des Yankees


 En France, je vois de temps en temps des gens qui portent des casquettes des New York Yankees. Chaque fois que je les voyais, je me demandais pourquoi il y avait beaucoup de fans de cette équipe de base-ball américaine en France bien que ce sport ne soit pas du tout populaire en Europe.
 Un jour, chez un marchand de chaussures, j’ai découvert que l’on y vendait des casquettes de New York Yankees. C’est alors que j’ai compris que le logo de cette équipe était comme une sorte de marque et que les Français qui portaient ces casquettes n’étaient pas forcément leurs fans. Cependant, il reste encore des énigmes. Pourquoi le logo des Yankees et pas celui des Boston Red Sox, Mets, Angles ou Marlins ?
 Je ne suis pas grand fan de base-ball, mais je supporte vaguement les Nippon Ham Fighters, l’équipe dont le foyer est à Hokkaidô. J’ai un sac à dos des Fighters. Il y a des balles dédicacées chez mes parents. J’aimerais bien que les Français portent des casquettes des Fighters.

''Privée de la parole'' Yoko Ogawa


 Rien n’est plus misérable qu’un écrivain que l’on a privé de la parole, me dis-je chaque fois que je voyage à l’étranger. Même si le réceptionniste d’un hôtel me parle affablement, je ne peux lui dire que le minimum en quelques mots. Au restaurant, je choisis un plat intuitivement et je commande en l’indiquant du doigt.
 Je pense que même si je leur disais que je gagne ma vie avec les mots, ils ne me croiraient pas. Après tout, ils n’ont rien à faire de romans écrits en japonais.
 Même les romans que j’ai écrits passionnément perdent leur sens au moment où je prends l’avion et quitte le Japon. Ils sont si fragiles, incertains et éphémères.
 Il y a quelques années, on m’a invitée à un festival de littérature qui a eu lieu à Saint-Malo, en Bretagne, en France. On m’a dit qu’il n’y aurait rien de formel comme une conférence ou un symposium et que je pourrais y aller en touriste sans avoir besoin d’être préparée.
 C’était un événement beaucoup plus important que je ne l’imaginais. Environ cent écrivains (je pense qu’ils étaient écrivains) y assistaient. La plupart d’entre eux parlaient le français. Ils étaient séparés en trois ou quatre groupes. Parler librement de littérature devant un public sous la direction de l’animateur était le style de ce festival.
Toutefois, je ne peux pas l’affirmer. Il se peut qu’ils parlaient de problèmes qui n’avaient rien à voir avec la littérature. Je ne pouvais qu’imaginer parce que tout se déroulait en français. Chaque fois que je revenais à mon hôtel, couchée sur le lit, je regardais la brochure, mais je n’ai finalement compris ni le thème du festival ni la raison pour laquelle j’étais invitée.
 Pendant que je tournais des pages de la brochure ainsi, j’ai découvert mon nom sur la liste des conférenciers du lendemain après-midi.
 J’ai encore la gorge séchée lorsque je me rappelle la frayeur éprouvée à ce moment-là. Personne dans l’audience ne comprenait le japonais. Il n’y avait pas d’interprète. L’animateur ne parlait que le français. Dans cette situation, que pouvais-je faire ?
 J’étais totalement impuissante. Je suis montée sur la scène dans le seul but de montrer mon impuissance au public. J’ai écrit des romans et j’en écrirai toujours : cette vérité était la seule chose sur laquelle je pouvais compter.
 Finalement, j’ai parlé en japonais. J’étais désespérée et j’ai dit sincèrement et sans aucune hésitation ce que mes romans signifiaient pour moi. L’audience m’a écoutée passionnément. Personne ne se détournait. Il y avait même des gens qui hochaient la tête. Après avoir dit tout ce que j’avais à dire, je suis descendue de la scène. Je me sentais très bien.

mercredi 19 septembre 2018

La femme de ménage


 Aujourd’hui, une professeur était malade et un cours a été annulé, mais ce n’était pas forcément une bonne nouvelle, parce que je devais tuer trois heures jusqu’au cours suivant.
 Je me suis assis sur un banc et je me suis mis à manger un mauvais sandwich que j’avais acheté à la cantine. Quelques minutes plus tard, une femme de ménage avec deux seaux remplis d’eau sale est venue et s’est installée à côté de moi. C’était une femme corpulente d’origine africaine. Elle avait l’air fatiguée. Au moment où elle s’est assise, elle a poussé un long soupir. Moi aussi, j’ai poussé un soupir et j’ai continué à manger mon sandwich insipide en observant vaguement les jambes des gens qui passaient. Il existe en fait divers types de jambes dans ce monde. Il y avait des jambes fines et grosses. Certaines étaient poilues et d’autres non. La plupart des jambes portaient des pantalons mais quelques-unes étaient nues. J’ai jeté un coup d’œil à mes côtés. La femme de ménage regardait dans le vide, l’air pensive. Elle a aussi ses problèmes, me suis-je dit. Tout le monde a ses problèmes. J’étais aussi las de ma vie. La plupart des cours sans intérêts me font souffrir. La laitue de ce sandwich avait l’air vieille et le pain était difficile à couper avec les dents. J’ai l’impression que mes petits orteils se rapetissent de plus en plus et ça m'angoisse. .
 Après avoir terminé mon déjeuner, j’ai bu une gorgée de café et je me suis levé. J’avais encore deux heures trente à tuer.

mardi 18 septembre 2018

La Nuit

 Une semaine s’était écoulée depuis qu’Aurore ne dormait plus la nuit. Au début, ce n’était qu’un symptôme léger et ordinaire, juste de l’insomnie. Son sommeil était peu profond. Elle se réveillait toutes les trois heures. Lorsqu’elle se levait le matin, l’arrière-goût désagréable d'un drôle de rêve inquiétant restait dans sa bouche.
« Savais-tu que je ne dors pas la nuit ? », demanda-t-elle à son mari.
 Les yeux rivés sur le journal, Pierre répondit en sirotant du café.
« Tu n’as peut-être pas l’impression de dormir, mais en réalité tu dors inconsciemment. J’ai lu un article qui parlait de ça. »
 Aurore voulait lui dire que ce n’était pas vrai, qu’elle ne dormait réellement pas depuis plus d’une semaine, mais après sept ans de mariage, elle connaissait suffisamment le caractère de son mari et elle savait qu’il ne la croirait pas.
 La nuit, Aurore restait sur le lit en attendant que son mari s’endorme. Ensuite, elle sortait de la chambre avec une démarche silencieuse et elle lisait un livre ou regardait un film à la télé jusqu’au matin. Elle ne s’aperçut d’un changement que quelques jours plus tard. Elle avait l’habitude d’écrire un journal intime depuis le collège. En relisant son cahier, elle reconnut une écriture qui n’était pas la sienne. Entre les pages qu’elle avait écrites elle-même, d’une écriture tremblante comme des fils décousus, des événements dont elle ne possédait pas le moindre souvenir étaient écrits. Ces textes n’avaient parfois aucun sens.  Par exemple, le 13 septembre, il était écrit : « Un avion blanc sans hublots. La ballerine aux jambes tranchées danse sur le théâtre de la nuit ». Le 20 septembre : « J’ai vu ‘’La face d’un autre’’ au cinéma l’Orion ». Toutefois, elle n’avait jamais vu ce film. De plus, il n’y avait pas de cinéma de ce nom dans sa ville. Inquiète, elle tourna les pages de son cahier. C’est alors qu’elle découvrit que ces textes mystérieux apparaissaient aussi dans les pages précédentes, bien qu’elle ne les eût jamais vus auparavant. Sur une autre page, elle découvrit le mot « Sturtzer ». Était-ce un nom ? Évidemment, cela ne lui disait rien. À côté, des chiffres, sans doute un numéro de téléphone, étaient marqués, mais ils étaient si effacés qu’elle ne réussit pas à les déchiffrer.
 Aurore restait immobile devant le cahier. Puis elle se demanda depuis quand l’inconnu s’y introduisait. Elle le remit dans un tiroir, le ferma à clé comme à l’accoutumée et alla dans sa chambre, sachant qu’elle n’arriverait pas à dormir.

 Il pleuvait à torrent ce soir-là. Couchée à côté de son mari, Aurore contemplait le plafond. Le vague à l’âme, elle entendait la pluie taper contre la fenêtre. De temps à autre, le vent violent secouait la vitre. Son mari s’endormit aussitôt et se mit à ronfler faiblement. Depuis quelques années, Aurore s’était rendu compte qu’il émettait une drôle d’odeur indescriptible. Elle avait déjà senti la même chose chez d’autres hommes d’un certain âge. C’est une odeur spécifique aux hommes vieillissant, pensa-t-elle. Dormir à côté de son mari la mettait de plus en plus mal à l’aise, mais elle ne lui dit jamais rien. Je suis une noyée, se dit-elle. Je suis une noyée qui flotte à la surface de la mer profonde avec des cadavres de planctons et une baleine bleue. Elle voyait un bateau naufragé en-dessous…
 Restée dans son lit, elle ferma les yeux. Le bruit de la pluie la fit penser à son bébé mort il y a quatre ans. Quand elle n’arrivait pas à dormir, elle imaginait sans arrêt à quoi ressemblerait son fils quand il aurait grandi. Le jour où elle se fit avorter, elle se souvient qu’elle avait tout à coup eu un vertige et avait perdu connaissance dans la rue. Lorsqu’elle se réveilla sur un lit d’hôpital, son mari serrait sa main, et elle apprit que le bébé qu’elle imaginait jusque-là avait disparu avant même de prendre forme humaine. Le battement de la pluie lui donna l'impression qu’elle était dans une piscine profonde. Elle flottait avec son bébé qu’elle ne vit jamais.

 Plusieurs semaines s’écoulèrent ainsi depuis le jour où elle avait réalisé qu'elle ne dormait pas la nuit.
 Rentrée de l’usine où elle travaillait, elle enleva son manteau puis alla dans sa chambre et ouvrit le tiroir. Depuis qu’elle l’avait fermé la dernière fois, à sa connaissance, elle ne l’avait jamais rouvert. À première vue, le cahier avait l’air intact. D’ailleurs, personne d’autre n’avait la clé. Elle était la seule personne qui pouvait l’ouvrir. Elle poussa un soupir. Peut-être que je réfléchis trop, se dit-elle et prit le cahier. Au moment où elle ouvrit la dernière page, elle retint son souffle un instant. De nouveau l’inconnu y avait ajouté une ligne à son insu. Elle approcha le cahier de ses yeux. Cette fois, elle déchiffra : « 16 Rue de l’Abreuvoir ». Cette adresse ne lui dit rien. Elle remit le livre dans le tiroir, puis ferma tous les rideaux de sa maison.

 Ce soir-là, quand Pierre rentra du travail, il découvrit que la maison était plongée dans la pénombre. Il cria le nom de sa femme et alla dans leur chambre. Mais il ne la trouva pas. Ensuite, il se rendit compte de faibles sanglots qui venaient de la salle de bain. Il ouvrit la porte et il découvrit qu’Aurore pleurait dans l’obscurité. Sans allumer la lumière, il s’assit à côté d’elle. « Qu’y a-t-il ? » lui demanda-t-il, mais sa femme ne répondit pas. Après quelques hésitations, il la serra contre sa poitrine. Elle sentit l’odeur tiède et désagréable de son mari. Aurore, sans rien dire, se laissa emporter en sanglotant.
 Au bout d’un moment, d’une voix tremblante, elle se mit à parler des incidents qui se produisaient depuis quelques semaines. Elle lui dit que quelqu’un écrivait à son insu dans son cahier.
« J’ai peur, dit-elle. Il y a quelqu’un dans cette maison, j’en suis sûre ».
 Pierre lui répliqua que ce n’était pas possible. Mais comme Aurore le supplia de fouiller la maison, il céda. Il se leva en soupirant, puis il se mit à ouvrir toutes les portes de la maison. Il enleva même une planche du plafond. Il monta à l’intérieur avec une lampe de poche. Il revint quelques minutes plus tard avec le cadavre d’une chauve-souris et dit qu’il n’y avait rien. 

 Ce jour-là, Aurore montait un long escalier en colimaçon. Bien que seules quelques minutes s'étaient écoulées, elle avait l’impression de l’escalader depuis cent ans. Les rayons du soleil de l’après-midi s’infiltraient à travers les vitraux ternis. Elle entendit la cloche d’une église retentir au loin. Quelle heure était-il ? Elle jeta un coup d’œil à son poignet et se rendit compte qu'elle avait oublié sa montre bracelet. Elle regarda au-dessus d’elle. Un vieux lustre émettait une faible lumière jaunie, suspendu au plafond vermillon. Au-dessus de sa tête l’escalier se poursuivait encore en tourbillonnant.
 Au bout d’un moment, elle arriva sur un pallier. Elle toqua à la porte. Quelques instants plus tard, un homme qui avait l’air d’avoir la trentaine l’ouvrit. Aussitôt qu’il vit Aurore, un sourire aux lèvres, il dit : « Madame Sturtzer ! ». Mais ce n’était pas son nom. Sidérée, Aurore restait pétrifiée.
« Peut-être que vous êtes venue voir la progression du tableau ? continua-t-il. Mais Boris n’est pas là aujourd’hui ». Aurore ne comprit pas la situation, mais elle essaya aussi de lui rendre un sourire. « Vous êtes malade ? Vous avez mauvaise mine…Entrez, sinon vous allez attraper froid », dit cet homme.
 Divers tableaux étaient accrochés aux murs. Quelques sculptures modernes étaient éparpillées sur le plancher. C’est alors qu’Aurore comprit finalement que l’adresse indiquée dans son cahier était celle d’une galerie. Et il semblait que ce jeune galeriste la connaissait déjà. Il avait un nez long et fin. De grands yeux d’une couleur claire brillaient derrière ses lunettes rondes. Ses cheveux un peu longs étaient aplatis en arrière. Ses longues jambes lui firent penser à un grand compas. « Vous voulez boire quelque chose ? », lui demanda-t-il. Aurore secoua la tête. « Boris vous a laissé un message », dit-il en marchant. L’esprit confus Aurore le suivit de près. Ils traversèrent quelques pièces. Puis le galeriste sortit un trousseau de clés d’une poche de son pantalon. Il ouvrit une porte avec une clé dorée. À l’intérieur se trouvait un lit et une cuisine simple. Un petit escalier s’élevait jusqu'au plafond dont l’autre côté était imperceptible. « Il vous demande s’il peut exposer le tableau à une exposition », dit l’homme en montant l’escalier. Quel tableau ? se demanda Aurore, mais elle ne dit rien.
 Les combles étaient en désordre. Il y avait des taches de diverses couleurs sur les murs et le plancher. De nombreuses toiles étaient plaquées contre les murs. Il n’y avait pas de lampe. La lumière du soleil qui s’infiltrait à travers le seul œil-de-bœuf permettait d’apercevoir la cloche de l’église. Aurore vit un grand tableau posé contre un mur dans un coin de la pièce. Il était couvert d’une grande étoffe rouge. Peu avant qu’elle demande ce que c’était, l’homme s’avança vers ce tableau. Aurore le suivit. Ses yeux commencèrent à s’habituer petit à petit à la pénombre. Il enleva l’étoffe. Le portrait d’une femme endeuillée fut révélé.

 Sans pouvoir dormir, Aurore contemplait le plafond. L’image de cet étrange portrait ne quittait pas son esprit. La conversation avec le galeriste lui permit de comprendre que le dénommé Boris était un peintre et qu’il peignait une femme qui semblait être son sosie. Pourtant cela n’expliqua pas la raison pour laquelle l’adresse de la galerie était mentionnée dans son journal intime.
 Chaque fois qu’elle ferma les yeux, elle revit encore et encore le portrait dans les combles. Ce phénomène se transforma ensuite en une envie de le regarder à nouveau. Ce désir devenait si intense qu’elle ne pouvait pas l'empêcher. Elle jeta un coup d’œil sur le profil de son mari dormant. Comme d’habitude, il ronflait faiblement. Son visage paisible l’irrita. Il devait avoir déjà oublié leur bébé mort, pensa-t-elle.
 Elle se leva, puis passa un manteau sur sa chemise de nuit. Elle mit ses gants et sortit de la maison. La nuit, la ville était calme comme si tous les habitants étaient morts. De temps en temps, le vent doux fit murmurer les arbres. Des papillons nocturnes dansaient autour des lampadaires clignotants. Elle erra dans la ville comme un fantôme. Personne à part elle ne déambulait dans la rue. Aucune voiture ne passait. Elle eut l’impression de devenir la reine du monde nocturne.
 Combien de temps avait-elle marché ? Lorsqu’elle reprit vraiment connaissance, elle se trouvait devant le bâtiment où elle s’était rendue il y a quelques jours. Elle monta le même escalier en colimaçon. Le clair de lune était la seule lueur qui éclairait son pied. Puis elle arriva devant la galerie. Elle posa doucement sa main sur la poignée et poussa la porte. Elle n’était pas fermée à clé. L’intérieur était obscur et silencieux. Il y avait les mêmes tableaux et les mêmes sculptures que l’autre fois. Elle marcha à pas feutrés et alla dans la pièce qui se trouvait au fond. Puis elle se souvint qu’elle était verrouillée la dernière fois. Après quelques hésitations, elle tourna la poignée et poussa la porte. Elle s’ouvrit sans problème, comme si elle l’attendait.
 Dans les combles une silhouette était assise dans le coin de la pièce. Son bras était tendu. L’autre bras tenait quelque chose, sans doute une palette. Ses doigts esquissaient un mouvement méticuleux. Aurore comprit qu’il peignait. Le peintre ne fit pas attention à l’intruse bien qu’il dût se rendre compte de sa présence. Soit il était trop concentré sur le tableau soit il était indifférent. Pour une raison inconnue Aurore n’avait pas peur. Elle s’approcha du peintre et elle se tint derrière lui.
 Le pinceau bougeait sans cesse. De nouvelles couleurs furent ajoutées les unes après les autres et donnèrent une profondeur à la perspective. Il avait sans doute l’intention d’achever le visage de la femme au dernier moment. Maintenant il travaillait sur l’arrière-plan. Alors qu’il était uniquement noir la dernière fois, maintenant la forêt y était apparue. Il y avait des rails derrière la femme et quelques trains étaient immobiles comme des trilobites dormants. Aurore contempla l’œuvre du peintre un long moment. Pendant tout ce temps, il ne tourna pas la tête, pas même une seule fois.

 Depuis lors, Aurore prit l’habitude d’errer dans la ville nocturne. Elle ne se sentait plus nerveuse quand elle flânait dans les rues désertes. Pendant qu’elle regardait le peintre travailler sur son œuvre, elle avait l’impression qu’elle était dans un monde lointain. Le tableau devenait de plus en plus réel. Aurore remarqua que le portrait de la femme lui ressemblait jour après jour. Maintenant les trains faisaient retentir des sifflets vers le ciel nocturne, la forêt murmurait, le hululement d’un hibou se fit entendre et la femme, qui n’était qu’une accumulation de couleurs brutes, obtenait petit à petit de la chair.

 Aurore partit pour l’atelier du peintre toutes les nuits. Maintenant elle connaissait le chemin si bien qu’elle pouvait même y aller les yeux fermés. Chaque fois qu’elle s’y rendait, la peinture changeait subtilement. Le peintre ne la vit jamais. Parfois, Aurore eut envie de regarder son visage et de lui dire quelque chose. Lui tapoter l’épaule quelque fois aurait suffi pour le faire se retourner. Mais quand elle essayait de le faire, son corps se figeait comme si elle était devenue une statue de marbre.
 Le tableau approcha petit à petit de la fin. Une harmonie silencieuse était née dans cet univers. Le peintre avait sans doute l’intention de l’achever en fin de compte : les yeux de la femme n’étaient encore que deux trous noirs. Ces globes oculaires vides lui firent penser à deux puits sans fond.
 Quelques jours plus tard, lorsqu’Aurore arriva dans les combles, elle ne vit nulle part le peintre. C’était la première fois qu’il n’était pas là. Était-il parti se promener dehors ? Quelques pinceaux avaient été laissés sur la chaise. Le vent frais de la nuit entra par l’œil-de-bœuf et effleura la peau d’Aurore. Si le peintre était rentré à ce moment-là, ils se seraient vus face à face. Ne s’était-il vraiment pas rendu compte de sa présence alors qu’elle se tenait toujours derrière lui ? Ou faisait-il simplement semblant de l’ignorer ? Après quelques réflexions, elle avança d'un pas. Puis elle s’aperçut que le tableau était couvert d’une étoffe rouge. Le tableau est achevé ! se réjouit-elle. Elle culpabilisa un peu, mais son désir de regarder le tableau, particulièrement le visage de la femme, était si immense qu’elle n’y pouvait résister. Elle courra vers le tableau. Après avoir respiré profondément, elle mit sa main sur l’étoffe et l’enleva.

LEVIS


 Récemment, je vois souvent des gens qui portent des T-shirt sur lesquels il est imprimé « LEVIS ». Ce sont souvent des filles qui portent ce T-shirt, mais il y a aussi des garçons. Je ne sais pas ce que c’est « LEVIS ». Je pense que c’est une nouvelle secte religieuse. Si je fais attention, je me rends compte que ceux qui portent ce T-shirt ont l’air contents, fiers de leur religion. Les croyants de la secte « LEVIS » augmentent de jour en jour, envahissent l'université, puis la ville.

lundi 17 septembre 2018

Le tandem


 Pour accéder au master de FLE didactique, il faut justifier une expérience solide d’enseignement de langues. La mort dans l’âme, je me suis inscrit sur le site d’échange linguistique de l’université. Pour que personne ne m’envoie de message, j’ai mis une annonce très brève en disant que je ne sais pas enseigner le japonais. Contre toute attente, j’ai reçu trois messages de deux filles et d’un garçon en quelques heures. Je n’ai pas le temps de faire le tandem avec trois personnes, mais je leur ai quand même répondu avec le même message. Cette fois, seule une fille m’a répondu. « Quel âge as-tu ? m’a-t-elle demandé. – 56 ans », ai-je dit. Ensuite, comme je ne sais pas trop comment je peux apprendre le japonais à quelqu’un, je lui ai d’abord appris trois phrases : « Hayaku shinitai (Je veux mourir tôt) », « Kuroitsu-feruto yakobu byô (Maladie de Creutzfeldt-Jacob) » et en citant « La Déchéance d’un homme » d’Osamu Dazaï « Haji no ôi shôgai o okuttekimashita (J’ai mené une vie honteuse) ». Elle n'était sans doute pas fan de Dazaï parce qu'elle ne m’a plus répondu. Mon tandem est fini en dix minutes.

dimanche 16 septembre 2018

Les piments


 Il s’est passé une chose étonnante. Tandis que je lisais les avis de clients à Simply comme d’habitude, je me suis rendu compte qu'il y avait un petit texte de la même écriture au-dessous de chaque commentaire. Il était écrit au stylo à bille noire. Par exemple, pour la plainte « La machine à jus d’orange est sale après 16h. En plus, il y a des mouches qui posent dessus », cette personne avait écrit « Merci de nous renseigner. Nous devons réfléchir une mesure d’amélioration ». Pour le commentaire « Les caissières sont désagréables ! », elle avait écrit « J'ai informé mon équipe à ce sujet ». Chaque réponse était signée par le « directeur général du magasin ».
 Je lis les avis de clients depuis plus d’un an, mais la plupart des réponses étaient ignorées. De temps en temps, des caissières avaient griffonné « Merci » ou « On s’en fout » de façon un peu plus soutenue. C’est la première fois que le directeur du magasin est apparu comme deus ex machina descendant du ciel, afin d'apaiser l'éternel conflit entre les caissières et les clients outrés. J’étais excité. S’il répondait, j’avais aussi envie d’écrire quelque chose. « Quel âge avez-vous ? », « Êtes-vous marié ? », « Avez-vous des enfants ? », « Où êtes-vous né ? », « Est-ce dur d’être directeur de supermarché ? », « Quelle caissière est votre préférée ? », « Quelle caissière détestez-vous ? », « Portez-vous des lunettes ? », « Quel est votre plat préféré ? », « Vous dormez combien d’heures par jour ? » etc. Hélas, je n’avais pas de stylo à ce moment-là. J’ai fermé le cahier et je suis sorti du supermarché.
 Au fait, j’avais cru acheter des poivrons fins au supermarché, mais c’était en fait des piments verts, bien que je ne mange pas de choses épicées. Ma langue a brûlé et j’ai arpenté ma chambre pendant une demi-heure, les larmes aux yeux, la langue pendante comme un chien idiot. Voilà, j’ai de quoi écrire la prochaine fois.

samedi 15 septembre 2018

''Les mathématiciens et la beauté" Yoko Ogawa


 « La gloire et l’échec des génies : la vie des mathématiciens historiques » est un livre sur les mathématiciens en tous temps et en tous lieux que Monsieur Masahiko Fujiwara a écrit du point de vue chaleureux d’un homme de la même profession. Si on lisait ce livre, même ceux qui n’aiment pas les mathématiques seraient attirés par les mathématiciens, en comprenant combien les fardeaux qu’ils portent malgré leur talent sont immenses.
 Par exemple, on peut dire que Mozart est un génie aimé par le dieu de la musique. De même, les mathématiciens prodigieux sont des gens qui vouent un amour éternel envers Dieu. Même s’ils sont cruellement repoussés, ils ne cessent de chercher de beaux théorèmes et s’agenouillent devant leur Dieu. L’être humain qui mène une existence instable et changeante, peut trouver la vérité éternelle dans le monde des mathématiques.
 La découverte est née quand le dévouement des mathématiciens a atteint son apogée. Toutefois, lorsque leur passion a pour objet un être humain, se produit de temps à autre une tragédie. Au XIXème siècle, Hamilton, surnommé le « nouveau Newton », a aimé durant plus de trente ans une seule femme, son premier amour, sans que cet amour soit jamais récompensé. Au comble du désespoir, il a embrassé le plancher sur lequel elle se tenait lorsqu’il l’avait rencontrée.
 Par ailleurs, Turing qui a décrypté les codes de l’Allemagne nazie et qui a inventé la base de l’ordinateur, est tombé amoureux d’un camarade. Il a même aimé la terre que ce garçon foulait. Mais ce dernier est mort de tuberculose.
 Lorsque je pense au fait que la raison de l’être humain a remporté la victoire dans les souffrances d’embrasser le plancher et d’aimer la terre, je ne peux m’empêcher de chérir les mathématiciens.

Châtiment


 Pauline m’a dit que pour la première fois elle a fait pleurer un élève. La victime, le pseudonyme Victor, onze ans, ne cessait de parler alors qu’elle avait dit qu’elle punirait la première personne en train de bavarder pendant son cours. Victor, adorable et sage d’habitude selon la professeur, n’a pas arrêté de jaser ce jour-là. Accablé par deux exercices supplémentaires qui lui ont été imposés en public, le pauvre garçon s’est mis à pleurer jusqu’à ce que sa professeur lève la punition à la fin du cours.
 Victor a de la chance. Moi aussi, je voudrais être puni par une jeune professeur belle et mouiller mon cahier de gouttes de mes larmes. Les fessés de Mlle Lambercier ont éveillé le masochisme de Jean-Jacques Rousseau. Peut-être que la punition de Pauline transformera le petit Victor en grand pervers.

vendredi 14 septembre 2018

Comme d'habitude

 Ce matin, j’ai été réveillé par la sonnerie de mon portable. Je pensais à aller au cours de traduction de japonais pour améliorer ma capacité linguistique. Dans la torpeur, le diable qui habite mon esprit a soufflé à mon oreille droite : « Ce n’est pas obligatoire ! Tu n’es pas étudiant en japonais, mais en lettres ! Ça n’a rien à voir ! Tu peux te rendormir ! ». Puis, l’ange qui habite en moi a chuchoté à mon oreille gauche : « C’est la première semaine de ta rentrée. Tu es fatigué. Tu devrais te reposer ». Deux contre zéro. Aucune objection. Projet de loi adopté. J’ai arrêté la sonnerie la plus désagréable du monde et je me suis rendormi. Rien n’est plus doux et paradisiaque que le sommeil coupable.
 L’après-midi, j’ai quitté le cours de littérature française quinze minutes avant la fin pour ne pas arriver en retard au cours de français. Ce cours avait lieu dans la faculté de sciences et d’économie, éloigné du campus principal et où je n’étais jamais allé. J’ai marché environ dix minutes sous la pluie. C’était un grand bâtiment en brique facilement reconnaissable. Dehors, quelques étudiants bavardaient, une cigarette à la main. L’intérieur était désert, ce qui m’a fait une étrange impression parce que sur le campus principal, il y a toujours du monde. Un coin était en travaux et barricadé. Quelques étudiants faisaient peut-être la fête. De la musique plutôt agressive se faisait entendre de quelque part. Je suis monté au premier étage, mais il y avait plusieurs entrées et il ne m’a pas fallu longtemps pour me rendre compte que j’étais perdu. Au bout d’un moment, je suis arrivé devant l’accueil de je ne sais quoi. Deux femmes étaient en train de bavarder derrière le comptoir. Pendant que je cherchais le moment de leur adresser la parole, l’une, la plus jeune, blonde, s’est aperçue de ma présence. Je lui ai demandé où se trouvait la salle 216. « Tournez à droite, et allez jusqu’au bout », m’a-t-elle dit en souriant. Avais-je rencontré une déesse ?
 Je me suis encore perdu un peu, mais finalement, j’ai trouvé la salle de mon cours avec dix minutes de retard. Quelques Chinois entouraient une table ronde et une enseignante leur expliquait quelque chose. « Je suis venu pour le cours de français… », lui ai-je dit. « C’est la semaine prochaine, m’a-t-elle dit. Attendez un peu. Je vais voir avec vous ».
 Quelques minutes plus tard, elle est venue vers moi et m’a demandé de la suivre. C’était une dame souriante qui dépassait largement ma taille verticalement et horizontalement. Je ne sais pas pourquoi, mais les professeurs de français sont souvent très sympathiques et gentils contrairement à ceux de littérature française. Parce qu’enlever des points aux étudiants n'est pas leur travail ? « Oui, c’est la semaine prochaine », m’a-t-elle dit en regardant son ordinateur. « Vous serez mon enseignante ? ai-je dit. – Non, c’est ma collègue, Claude. Claude, ça peut-être un prénom masculin, mais c’est une femme », m’a-t-elle dit. Je croyais que Claude était un prénom masculin à cause de Claude François.
 Mes cheveux sentaient la pluie. Je me suis perdu inutilement……comme d’habitude.

jeudi 13 septembre 2018

Le Red Bull


 Je suis morose et mélancolique à l’université, mais croyez-moi, je suis très gai et joyeux chez moi. Je ne cesse de dire des plaisanteries spirituelles au mur. Le mur rit. Mon voisin y frappe.
 Aujourd’hui, pendant un cours, une prof a dit en citant Platon et Blake « La poésie nous donne des ailes pour découvrir la vérité » ou quelque chose de ce genre. On dirait le Red Bull. La poésie, c’est le Red Bull.
 La prof était jeune et elle ne semblait pas encore très habituée à parler en public. Elle parlait un excellent français, mais le français n’est peut-être pas sa langue maternelle. Parler devant quatre-vingts personnes, ce doit être quand même stressant. Je n’arrive même pas à parler à une seule personne. Je dis souvent « Ah… », « Euh… » comme Sans-visage du « Voyage de Chihiro ». L’idée de parler devant beaucoup de monde m’effraie. Si j’étais professeur d’université, je marmonnerais quelque chose d’incompréhensible, réagirais aux rires étouffés des étudiants et finalement je m’enfuirais en pleurant.

mercredi 12 septembre 2018

FLE


 C'était un matin particulièrement beau. Le ciel était bleu. Des oisillons piaillaient. J'attendais paisiblement le cours de FLE. Quelques minutes plus tard, une inconnue est entrée dans la salle et nous a dit que ceux qui n'étaient pas là vendredi dernier n’avaient pas le droit de prendre ce cours, et qu’on devait en discuter avec la directrice. La vieille bique a expulsé sans merci quelques étudiants, moi y compris. On s'est sentis misérables comme les Juifs durant la seconde guerre mondiale ou les Noirs des États-Unis pendant l’esclavage. Tout à coup, je suis devenu humaniste. Je me suis juré d'anéantir le racisme de la terre.
 Je n’avais plus rien à faire. Pourquoi m’étais-je levé tôt ce matin ? Pour admirer les rides magnifiques de la vieille ? Ce doit être ça. J’ai frappé à la porte du bureau de la directrice. Sur la porte, il était indiqué qu’elle recevait les étudiants l’après-midi, mais je m’en foutais un peu. Quelques instants plus tard, une meuf ratatinée comme un vieux radis qu’on a oublié dans le frigo depuis six mois a ouvert la porte. En sachant qu’il n’y avait plus d’espoir, puisque je n’ignore pas à quel point l’administration française est têtue, je lui ai dit que je voulais prendre le cours de FLE. La vieille bique numéro 2 m’a donné la réponse que j’avais exactement prévue et j’ai eu l’impression d’être un personnage de film. « Non, il y a déjà trop d’étudiants et ce n’est pas possible ». Si j’avais été comme d’habitude, j’aurais dit simplement « D’accord. Au revoir. Bonne journée (j’espère que tu tomberas sur un caca dans la rue !) » et je serais parti, mais ça m’a quand même énervé et je lui ai répondu. « Mais sur le site, il n’était écrit nulle part qu’on devait s’inscrire !
- C’était affiché partout dans le département, m’a dit le radis.
- Je trouve ça injuste ».
 Je suis en lettres et je viens rarement à la faculté de langues. Avant de poignarder les deux lesbiennes, j’ai tourné les talons.

mardi 11 septembre 2018

Le premier jour de cours


 Aujourd’hui, pour moi, c’était la rentrée. J’ai marché sur le trottoir ennuyeux pour aller à l’université. Ces derniers temps, il faisait plutôt frais à Strasbourg, mais aujourd’hui, le soleil ennuyeux brillait de façon inintéressante. Une femme ennuyeuse promenait un chien ennuyeux et des amants ennuyeux s’embrassaient de façon médiocre. Des voitures ennuyeuses roulaient. Elles n’ont écrasé ni la femme ni le chien ni les amants ennuyeux. Il m’a fallu environ quarante minutes pour arriver à la fac. Comme j’avais un peu de temps avant le cours, j’ai acheté une canette de jus par hasard au distributeur, et je me suis reposé sur un banc ennuyeux. Sur la canette était imprimé un dessin raté de citrons. Quelques instants plus tard, une fille ennuyeuse aux lunettes ennuyeuses en T-shirt étriqué ennuyeux s’est assise à côté de moi et a ouvert un cahier ennuyeux. J’ai jeté la canette dans une poubelle ennuyeuse. J’ai essayé d’entrer dedans mais en vain, et je suis parti.
 La professeur a parlé pendant une heure, mais je n’ai pas compris un seul mot de ce qu’elle disait. Mais à tout le moins, c’est sûr qu’elle ne parlait pas de la façon de faire une bonne omelette. Je suis resté une heure à ma place, en copiant de temps en temps son discours sans le comprendre. Au bout d’un moment, j’ai relu mon cahier. Ça ressemblait à un poème surréaliste.

lundi 10 septembre 2018

''L'Amant double''


 J’ai regardé « L’Amant double » de François Ozon. Ce n’était pas mal. Le film raconte l’histoire d’une femme mentalement instable qui entretient une relation amoureuse avec des jumeaux, tous deux psychothérapeutes. La femme murmurait d’une voix imperceptible. Je ne comprenais pas trop ce qu’elle disait. Au moment où j’ai augmenté le volume de mon ordinateur, la connasse a crié et moi aussi. De plus, le fait qu’elle ressemblait un peu à une prof de mon université m'a beaucoup gêné. Désormais, chaque fois je vais à son cours, je me souviendrai de ce film et je devrai l’imaginer jouissant d’un amour perverti avec des jumeaux.
 Si je pense à François Ozon, je me souviens de « Dans la maison » que j’ai vu dans un petit cinéma de Tokyo il y a plusieurs années. Grâce à ce film, j’ai appris les mots « odeur de la femme de la classe moyenne » et « bagnole ». J’ai déjà eu quelques occasions d’utiliser le mot « bagnole », mais « odeur de la femme de la classe moyenne », pas encore. Je ne sais même pas à quoi ressemble cette odeur.

samedi 8 septembre 2018

Mon passe-temps secret


 Mon passe-temps : lire les avis de clients à Simply quand je fais les courses une fois par semaine. Aujourd’hui, je suis allé faire des courses à Simply. Je n’ai évidemment pas oublié de lire les avis de clients. Cette fois, une communication chaleureuse était née entre deux clients. Une personne avait d’abord écrit : « Caissière désagréable. Je me suis faite avoir on m'a jeté mon ticket de caisse !! ». Et la deuxième personne avait écrit : « Quand les prix seront mis sous les bons produits ? », puis elle a continué, en indiquant le texte de la première personne avec une flèche : « Je suis d'accord ! Peu d'amabilité. Quand il y a des erreurs aucune excuse ! ». Cette phrase m’a un peu étonné parce que, et je n’ai aucune envie de critiquer, je croyais naturellement que les Français n’avaient pas l’habitude de s’excuser si les erreurs n’étaient pas très graves. Par exemple, un jour, j’ai rendu un livre à la bibliothèque de mon université. J’ai donné un livre à une bibliothécaire, une femme d’un certain âge qui était en train de bavarder joyeusement avec sa collègue. Elle a reçu le livre, puis elle l’a mis à côté. J’avais déjà un mauvais pressentiment à ce moment-là. Le lendemain, j’ai reçu un mail me demandant de rendre le livre. Je suis allé lui expliquer que je l’avais rendu, et elle l’a vérifié. Sans rien dire, j’ai attendu en souriant qu’elle s’excuse. Au bout d’un moment, elle m’a dit : « C’est bon. Au revoir ». Ça m’est arrivé deux fois. C’était un peu la même chose lorsque la scolarité a perdu mon contrat pédagogique. L’employée m’a parlé comme si je ne l’avais jamais rempli. Je lui ai donc demandé de vérifier la feuille d’émargement et elle m’a dit qu’il y avait bel et bien ma signature. « C’est donc l’administration qui l’a perdu, ai-je dit. – Oui ! », m’a-t-elle dit. En regardant son visage fier, j’ai failli m’excuser de lui avoir fait perdre mon contrat pédagogique minable et mal écrit. Quant à moi, comme je manque de caractère, je m’excuse souvent même si ce n’est pas ma faute. Après être rentré chez moi, dans mon lit, en me souvenant de ce qui s'est passé, je m’énerve de plus en plus en grinçant les dents.
 J’ai fait une digression.
 Cette fois, un bébé aussi avait écrit quelque chose dans le cahier des avis de clients.
« Le nouveau système pour livraison laisse le client sans surveillance pendant quelques minutes ( 10 minutes ce jour ! ) N'importe qui peut partir avec de s'y servir d'un objet s'y trouvant. À revoir ».
« N’importe qui peut partir avec de s’y servir d’un objet s’y trouvant », c’est mignon. Ce doit être un bébé qui affectionne particulièrement la lettre Y et qui ne maîtrise pas encore le français.

 Au fait, j’avais toujours envie d’écrire sur ce sujet. Au supermarché en France, des produits qu’on ne voit jamais au Japon sont vendus. On n’a pas besoin de remarquer l’’abondance impressionnante de fromages et de vins parce que c’est normal, mais par exemple, à la poissonnerie, on voit des carpes, un poisson que les Japonais n’ont pas l’habitude de consommer. Il y a des produits chers que les Japonais aiment beaucoup, mais qui sont vendus en France à bas prix comme une ordure parce que personne n’en mange. Le foie de lotte et la langue de bœuf. À la boucherie, j’ai vu d’étranges petits animaux rouges que je ne connaissais pas. J’ai regardé l’étiquette sur laquelle il était écrit : « Lapins ». C’était en fait des lapins dépecés. Je n’ai pas eu le courage d’en acheter. J'imagine également que les Français ne savent pas que les aubergines françaises sont trois fois plus grandes que celles du Japon. Lorsque je les ai vues pour la première fois, je me suis dit que c’étaient des monstres d'aubergines. On vend aussi du thon rouge en France. Cependant, c'est toujours la partie sans gras et je n'ai jamais vu la partie grasse qu'on appelle ''toro'' en japonais.

vendredi 7 septembre 2018

Sans titre


 Aujourd’hui, j’ai regardé un documentaire de National Geographic sur une jeune Américaine qui a subi une greffe de visage. J’en ai déjà parlé un peu avant. Lorsqu’elle était en terminale, elle a tenté de se suicider avec un fusil parce qu’elle a été larguée par son petit ami. Lorsqu’elle s’est réveillée, son visage était défiguré. La partie la plus endommagée était son nez qui n’existait plus. Sa mâchoire était détruite. Ses yeux restaient encore mais abîmés. Suite à de nombreuses opérations, financée par l’armée américaine, la jeune fille a subi une greffe de visage. Sa donneuse était une femme morte d’overdose à l’âge de trente ans. L’opération qui a duré plus de trente heures a réussi. Aujourd'hui, la jeune Américaine essaie de vivre sa deuxième vie.
 Après avoir regardé le documentaire, je me suis dit que, s’il m’arrivait de ********, ********** certainement ******** *** ** bouche ******* ********** à cent pour-cent mon tronc cérébral.

Je n'aime pas les cours mais j'aime les livres


 Lorsque j’avais quatorze ou quinze ans, mon père m’a donné « Kafka sur le rivage » de Haruki Murakami. Je ne sais pas pourquoi il me l’a offert parce que lui-même ne lit pas beaucoup. Dans son bureau, il y avait beaucoup de livres de finance ou d’économie mais pas un seul roman. En tous cas, j’ai reçu « Kafka sur le rivage » en cadeau et c’est ainsi que j’ai découvert Haruki Murakami.
 J’ai lu beaucoup de livres depuis mon enfance. Je pense que la plupart des romans m’ont plu. Il n’y a que peu de livres qui m’ont déçu. Mais j’ai l’impression que les livres intéressants au point de changer ma vie étaient aussi rares que les décevants.
 « Kafka sur le rivage » ne ressemblait à aucun roman que je connaissais jusque-là. D’abord, il se lisait facilement. Alors que l’histoire était compliquée et qu’il se passait de temps en temps des choses inexplicables (l’OVNI du début, Johnny Walker qui massacre des chats, la pierre du sanctuaire etc.), le livre était si intéressant que je l’ai lu d’un trait, perdant le sommeil. Lorsque je l’ai eu terminé, j’étais devenu une personne différente. J’avais acquis une nouvelle façon de voir les choses et de penser. J’ai adoré ce roman au point de le relire dix fois au total et j’ai fini par apprendre par cœur plusieurs passages.
 Plus tard, j’ai découvert beaucoup de livres qui valaient la peine d'être lus, mais « Kafka sur le rivage » demeure mon expérience de lecture la plus bouleversante. Si c’était possible, je voudrais effacer le souvenir que j’en ai et le lire à nouveau.
 Je ne sais pas trop à quoi sert la littérature. Elle ne conjecture pas l’économie. « Les Frères Karamazov » ne permet pas d’apprendre comment monter une chaise malgré ses 1500 pages. Mais je pense que je pourrais lire avec plaisir un million de romans ennuyeux si c'était pour découvrir un roman comme « Kafka sur le rivage ».

jeudi 6 septembre 2018

Ma première année


 Aujourd’hui, j’ai effectué mon inscription pédagogique en ligne. Deux ans se sont écoulés depuis le jour où je me suis inscrit en présentiel à des cours dans une salle du Portique. Le couloir était bondé d’étudiants de première année. Une longue queue s’était formée devant la porte de la salle. Comme j’étais derrière, j’ai finalement dû attendre plus de quatre heures. Lorsque mon tour est venu, les formulaires d’inscription étaient tout mélangés. Seul le code des cours était indiqué, mais pas le descriptif, de sorte que je ne savais pas à quels cours je m’inscrivais. Un homme qui était là pour aider les étudiants perdus comme moi, disait : « C’est en ligne dès le deuxième semestre. C’est en ligne dès le deuxième semestre ». J’avoue que j’avais sous-estimé l’administration française. Elle va toujours au-dessus de mon imagination.
« Vous, hein, devez, hein, écrire, hein, quelque chose, hein, tous les jours, heu. Sinon, hein, vous ne réussirez pas, hein, votre épreuve de dissertation, heu », m’a dit une professeur lorsque j’étais en première année. J’avais peur d’elle et de rater mes examens. J’ai décidé de tenir mon journal en français.
 À première vue, je n’aimais pas beaucoup cette professeur. Je me suis dit qu'elle ne pourrait pas être ma petite amie. Elle avait l’air sévère et elle m’a rappelé l’institutrice Rottenmeier de « Heidi ». L’institutrice Rottenmeier est prude, stricte et peut-être vierge. Elle ne laisse pas passer la moindre faute à Heidi et la réprimande sévèrement.
Depuis lors, j’ai écrit mon journal presque tous les jours, mais je n’ai pas réussi l’épreuve de dissertation de cette matière. Néanmoins je n’étais pas vraiment déçu car je le savais d’avance. J’éprouvais même un plaisir masochiste.
 Cependant, seule une fois, mon journal a servi à quelque chose. La même année, j’ai pris un cours de méthodologie dans lequel on s’exerçait à l’écriture. J’ai appris que les Français font aussi beaucoup d’erreurs dans leur langue maternelle et ça m’a rassuré. Chaque fois que la professeur de ce cours nous obligeait de discuter en groupe, je serrais fort les lèvres comme un prisonnier interrogé par l’ennemi, et je ne répondais que par oui ou par non. Dans ce cours, chacun devait faire un dossier pour montrer qu’on avait fait des exercices d’écriture. J’ai rédigé mon journal. J’ai supprimé les parties politiquement incorrectes comme « la fille a poussé des cris de cochon étranglé » ou « j’écris ‘’j’ai envie de mourir’’ de mille façons », « le mode d'emploi du micro-ondes est encore plus intéressant que ce livre de merde », et je l’ai donné à la professeure à la fin du semestre. Contre toute attente, elle m’a donné de bonnes notes et j’ai survécu à cette année.

mercredi 5 septembre 2018

''The Sterile Cuckoo'' John Nichols



«Several years ago, during the spring semester of my junior year in college, as an alternative to either deserting or marrying a girl, I signed a suicide pact with her » (Il y a plusieurs années, durant le semestre de printemps, lorsque j’étais en troisième année de l’université, au lieu de me marier avec une fille ou de m’enfuir, j’ai signé un pacte de suicide avec elle).

 J’ai lu un livre vraiment intéressant qui m’a complètement mis K.-O. Il est intitulé « The Sterile Cuckoo » et l’auteur s’appelle John Nichols. Ce livre a été publié en 1965 aux États-Unis. Cependant, il a été traduit pour la première fois en japonais en 2017 par le romancier Haruki Murakami, qui dit que ce roman est demeuré dans un coin de son esprit depuis qu’il l’a lu à l’âge de vingt ans.
 En bref, il s’agit de l’histoire d’amour d’un étudiant Jerry Payne et d’une jeune fille Pookie Adams. Le narrateur est Jerry, mais le noyau de ce roman est Pookie. Sans elle, ç’aurait été un roman à l’eau de rose qu’on trouve partout. Pookie est une fille très excentrique et incroyablement bavarde. Selon Jerry, c’est une fille maigrichonne, pas très belle et qui n’a presque pas de poitrine. Expliquer de quelle façon elle est excentrique est difficile. Elle ne cesse de parler de choses surréalistes, elle écrit des poèmes qui n’ont pas de sens, les métaphores qu’elle emploie sont également très bizarres. Elle invente aussi de nouveaux mots que Jerry ne comprend pas. Il y a beaucoup de passages que j’aime beaucoup dans ce roman. Les lettres de Pookie, la scène où elle tombe sur la neige et dit en tremblant : « Je, je, je… je rêvais…d’être un eskimo attaqué…par un ours blanc… » et qu’elle monte sur un manège vers la fin du récit.
 Ce livre m’a fait penser à « La Ballade de l’impossible » de Murakami. Dans ce roman, il y a une fille excentrique et bavarde (même si elle l’est beaucoup moins que Pookie) qui s’appelle Midori. Pookie est en fait un personnage qui a une tendance à se détruire et n’arrive pas contrôler sa personnalité. C’est pour ça qu’elle fait signer un pacte de suicide à Jerry. La jovialité de l’héroïne rend le roman divertissant, mais c’est aussi l’histoire d’une fille qui se détruit de façon irrémédiable. Dans « La Ballade de l’impossible », Naoko est mentalement instable et elle finit par se suicider. J’ai eu l’impression que si les deux aspects de Pookie, c’est-à-dire, son côté maladif et son côté excentrique, se divisaient en deux, ça donnerait Naoko et Midori, mais peut-être vais-je trop loin.
 Il semble que Motoyuki Shibata, le traducteur japonais de Paul Auster et le maître de traduction de Haruki Murakami a eu la même impression. Dans la postface en forme de dialogue, il dit à Murakami : 
« J’ai l’impression que dans ‘’La Ballade de l’impossible’’ aussi, il y a un personnage qui a le même type de charme que Pookie……. 
- En fait, ce genre de personne se trouve partout. Le héros de mon roman, je ne dis pas qu’il ressemble à celui de ce roman, mais c’est vrai qu’il est plutôt taciturne : il écoute les gens et les observe. Donc, forcément j’avais besoin d’un personnage comme Pookie, un personnage qui fait bouger l’histoire. J’avais également besoin d’un personnage comme Nagasawa, quelqu’un qui a sa propre logique et sa propre opinion. Les personnages apparaissent naturellement dans les romans. C’est par exemple le cas de Pookie ou des deux colocataires extravagants de la résidence. Il y a des types ».
 C’est dommage que ce roman ne soit pas traduit en français. Mais j’imagine que ce sera extrêmement difficile de traduire les propos absurdes de Pookie. Murakami affirme également que traduire l'argot de l’époque était difficile, et qu’il a demandé le sens de certains mots à son traducteur américain, qui ne le savait pas non plus.

Le mariage


 Une fille m’a demandé si j’avais l’intention de me marier un jour. J’étais secrètement content qu’elle me le demande. C’est une question qu’on m’a déjà posée à plusieurs reprises, et j’avais soigneusement élaboré ma réponse. Fièrement, je lui ai dit : « Je ne crois pas. En tenant compte de l’asociabilité et la singularité de ma personnalité et du fait que je ne suis jamais tombé amoureux de personne, la possibilité que je me marie est aussi minime que celle qu’un tigre de la forêt se transforme en beurre en tournant vite ». Et pour rendre ma réponse encore plus plausible, j’ai cité les noms des maladies sexuellement transmissibles qui me traversaient l’esprit. « La blennorragie, l’hépatite B, l’herpès, la syphilis, le sida. Je trouve la syphilis particulièrement charmante parce qu’elle viole finalement le cerveau …..et toi ? »
« J’aimerais bien me marier parce que je voudrais porter une robe de mariage », m’a-t-elle dit.
 J’ai réfléchi un peu à ce qu’elle m’a dit. J’ai imaginé une cérémonie de mariage, ses invités, le jeune marié en smoking blanc et la jeune mariée en robe de mariée, un bouquet de fleurs qui s’envole dans le ciel et le klaxon de voitures. Puis, je me suis dit de nouveau que je ne me marierais pas parce que je n’ai pas particulièrement envie de porter une robe de mariage.

mardi 4 septembre 2018

Le roquefort


 Il se peut que cette histoire vexe certains Français même si je n’en ai pas l’intention. Je vais quand même essayer de raconter ce qui m’est arrivé au début d'été d’il y a quelques années……
 Ça a commencé par un propos anodin d’un ami qui m’a conseillé de manger du roquefort parce qu’il trouvait cela très bon. J’en ai acheté au supermarché, et j’ai ouvert le paquet chez moi. À ce moment-là, ma main a glissé et un étrange liquide s’est répandu sur le plancher. Zut, me suis-je dit, et tandis que j’allais l’essuyer avec une serpillère, je me suis rendu compte qu’une odeur étrange remplissait ma chambre. Ça puait si fort que je me suis demandé s'il y avait le cadavre d'un requin-pèlerin sous mon lit. J’ai cherché son origine et j’ai réalisé qu’elle venait du paquet de roquefort et de son liquide organique. C’était une odeur indescriptible que je n’avais jamais sentie de ma vie. Si je devais la décrire, ce serait l’odeur des chaussettes qu’un homme gras a portées pendant un mois, et qu’on a ensuite trempées dans du lait deux semaines pour enfin les sécher à l’ombre. J’ai ouvert entièrement la fenêtre, mais l’odeur n’a pas disparu, puisque son origine persistait toujours sur ma table. J’ai goûté le fromage. Le même goût que l’odeur a rempli ma bouche et j’ai failli être asphyxié. Honnêtement, je ne voulais plus en manger, mais je n’aime pas jeter de la nourriture. Dans mon enfance, j’avais subi le lavage de cerveau de mes parents et de mes instituteurs qui m’avaient répété : « Les enfants africains n’ont pas de quoi manger. Les enfants africains n’ont pas de quoi manger. Les enfants africains n’ont pas de quoi manger, les enfants africains… ». J’ai cherché sur Google la manière de manger du fromage qui pue. Un site conseillait d’en manger avec du miel. Je n’avais jamais eu l’idée de manger du fromage avec du miel. Ça me semblait un peu bizarre, mais comme j’avais du miel chez moi (comme ça, on peut accueillir l’ourson jaune n’importe quand), j’en ai versé beaucoup sur le fromage, et j’ai porté un morceau à ma bouche. En effet, le miel avait adouci l’odeur du fromage, même si la puanteur avait toujours le dessus. J’ai avalé petit à petit les deux tiers du fromage en retenant mes larmes. Finalement, j’ai reconnu ma défaite et un sac poubelle a mangé le reste. Ainsi, le roquefort a été ajouté à la liste des aliments que je n’aime pas, avec la soupe à la citrouille, la cerise, le shiokara, le mochi, et la framboise etc.

lundi 3 septembre 2018

Emploi du temps


 Aujourd’hui, j’ai organisé mon emploi du temps du nouveau semestre. J’ai dû choisir sur la liste les cours qui me semblaient les moins ennuyeux, mais c’était difficile parce que tous les cours avaient l’air très ennuyeux. Le pire, c’est que cette année, nous avons deux cours magistraux de littérature française. Chaque fois que je mettais un cours dans mon emploi du temps sur Excel, je me sentais déprimé et j’avais l’esprit de plus en plus brumeux.
 J’avais choisi les lettres modernes parce que j’aimais le français et les livres, mais en même temps, je ne savais pas trop ce qu’on ferait en lettres. Je me demandais si on devrait écrire une histoire ou des poèmes. En réalité, on lit des livres ennuyeux, on retient la date de publication de certains livres qu’on oubliera le lendemain des examens, on fait des dissertations ennuyeuses sur des livres ennuyeux, et on supporte des cours ennuyeux en risquant de devenir fou. Je suis peut-être la seule personne qui pense ainsi. En fait, c’est possible. J’ai l’esprit tordu. Quand les autres s’amusaient, je m’ennuyais. Quand je m’amusais, les autres s’ennuyaient. Quand tout le monde lisait Naruto, je lisais passionnément Yoshiharu Tsuge. Quand tout le monde écoutait des musiciens merdiques de J-pop, j’étais passionné par le rock anglais. Il se peut donc que les autres s’intéressent vraiment à des cours que je trouve mortellement ennuyeux. Ça me semble probable, parce qu’à la fac, tout le monde a l’air heureux tandis que je suis morose comme si j'allais tous les jours à un enterrement. Mais ç’aurait été la même chose même si j’avais choisi une autre filière. J'ai appris que je ne suis pas vraiment fait pour le monde académique. Je suis lâche, crapule et je suis fier d'être idiot. C’est déjà un miracle que j'aie pu, moi qui avais abandonné le collège et le lycée, atteindre la dernière année de licence, à l' étranger.

La serviette de Givenchy


 Si on ne disait rien, personne ne penserait que ce chiffon gris et effiloché était autrefois une serviette bleu clair de Givenchy. Ça fait déjà plus de cinq ans depuis que nous nous sommes connus. Au début, c’était une serviette de bain ordinaire, mais un jour, elle a acquis une position en tant que mon doudou. Elle était en tissu-éponge et j’aimais la sentir contre ma joue en dormant. Nous restions toujours ensemble sauf lorsque je sortais. Lorsque je lisais un livre ou regardais un film, je la mettais autour de mon cou comme une écharpe et elle voyageait partout avec moi. Ainsi, un lien inséparable plus fort que tous les couples du monde s’est formé entre nous. Cependant, il y a un an ou deux ans, visiblement la serviette s’est mise à s’épuiser. À cause de multiples frottements, elle était presque déchirée en deux. Les fleurs brodées sont tombées les unes après les autres, et le tissu devenait de plus en plus mince. Sa couleur bleue était fanée et elle devenait plutôt grise. Aux yeux de tout le monde, c’était évident que la serviette de Givenchy approchait de la fin de sa vie. C’est alors que le moment de la séparation est arrivé. La mort dans l’âme, un jour, j’ai arrêté de dormir avec mon amante et j'ai commencé à chercher un nouveau doudou, ce qui n’était pas facile. J’avais effectivement d’autres serviettes, mais certaines étaient trop molles et d’autres étaient trop raides. Les serviettes qui n’ont pas rempli mes critères ont impitoyablement été obligée de servir comme essuie-mains. Après de nombreux examens sévères, une serviette verte d’une marque anonyme, plus molle que la serviette légendaire de Givenchy, mais d’une texture confortable, a été admise.
 Mon ancien doudou a terminé son rôle, mais je le conserve soigneusement sans intention de le jeter. Parfois, je le prends et le caresse. Je voudrais qu’on expose ma serviette Givenchy au British Museum ou au musée du Louvre pour honorer sa vie courte en tant que mon doudou.