J’aime regarder les gens qui lisent. Autant
que j'aime lire moi-même. À la fenêtre des cafés, aux tables des bibliothèques,
sur le quai des gares, sur les bancs des parcs, chaque fois que j’aperçois
quelqu’un qui lit, je le regarde.
Lorsque j’étais lycéenne, je rêvais
d’aller à l’école en train. Ça aurait été vraiment merveilleux si j’avais pu
lire à loisir dans le train qui me conduisait à l’école. Mais en réalité, j’y
allais en vélo. Les jours de pluie, en faisant tomber les gouttes de mon
imperméable, les jours où il faisait chaud en été, chancelante, accablée par la
chaleur, je pédalais tous les jours.
Je ne sais pas si c’est parce que je
traîne toujours ce rêve inachevé. Même aujourd’hui, lorsque je prends le train,
je cherche des lycéens qui lisent. J’ai l’impression que leur nombre diminue
chaque année. La plupart des lycéens regardent leurs portables plutôt qu’un
livre.
Mais c’est pour cela que lorsque je
découvre un lycéen qui répond à mon attente, je suis heureuse et je ne peux
m’empêcher de le regarder.
Ce lycéen qui a encore les traits
d’un petit garçon a des goûts plutôt mâtures. Il lit « De sang-froid » de
Capote. Comme le col de son uniforme est encore neuf, je suppose qu’il est en
première année. Il n’est pas très musclé. Ses membres sont longs et minces, et
ses lèvres sont serrée. Ce n’est pas le type de garçons qui s’inscrit à un club
de sport. Il n’attire pas particulièrement l’attention des gens, et il est
calme, mais il a un ami dans une autre classe avec qui il peut parler
franchement. Il parle de livres seulement avec cet ami.
S’il lit « De sang-froid », il a dû
déjà finir « Les Domaines hantés ». Va-t-il prêter ce « De sang-froid » de poche
à cet ami ou le lui a-t-il emprunté ? Quoi qu’il en soit, maintenant il est en
train d'affronter une violence irraisonnée, dissimulée en lui……..
La lycéenne là-bas semble étonnement mâture.
Ça ne veut pas dire qu'elle ait l'air vieille. L'ombre de ses yeux a l’air
disproportionnellement pensive par rapport à son âge. Elle lit « Nine Stories »
de Salinger.
La porte-clef d’une mascotte attachée
au fermeture éclair de son sac et une épingle sur sa mèche laissent voir
qu’elle est encore au lycée. Cependant, elle dégage une sérénité absolue. Elle
porte des socquettes blanches à bord replié. Elle n’a même pas mis de crème à
lèvres. Elle a de bonnes notes à l’école, mais elle n’est pas prétentieuse.
Avec son regard pensif, elle devine les contradictions que cachent ses
professeurs et son école.
Elle pourra comprendre le suicide de
Seymour orné du jaune du « poisson-banane ». Elle pourra pleurer la mort de
l’ami invisible de Ramona, Jimmy Jimmereeno…….
Ainsi, mon observation va loin et mon
imagination s’envole à mon insu. Les personnes qui lisent libèrent toujours mon
imagination.
Il y a longtemps, à l’époque où
j’allais à l’université, près du campus, il y avait un restaurant qui servait
des shôgayaki délicieux. Un jour, assise au comptoir de ce restaurant, tandis
que je lisais en attendant mon repas, un garçon à côté de moi m’a adressé la
parole.
« Est-ce ‘’ Man'yōshū’’ ?
- Oui.
- Qui est votre préféré ?
- Nukata no ôkimi.
- Moi aussi ».
La conversation s’est terminée. Peu
après, on m’a apporté mon shôgayaki.
Cet échange de quelques secondes m’a fait
une forte impression. Deux étudiants passionnés de littérature se rencontrent.
Ils deviennent proches grâce à « Man'yōshū ». Il n’y a pas d’accessoire aussi
élégant que ça. Au début, ils échangent juste des propos anodins. Quelques
jours plus tard, ils se rencontrent de nouveau sur le campus. Et c'est là
qu'une histoire d’amour passionnée commence…….À l’époque, j’étais obsédée par
mon imagination débridée comme aujourd'hui.
Depuis ce jours-là, en marchant dans
le campus, j’ai cherché ce garçon qui m’avait parlé de « Man'yōshū ». Mais
comme le campus était immense, ce n’était pas si facile. Évidemment, je n’ai
pas cesser de fréquenter le restaurant. Au fur et à mesure que le temps
passait, mon imagination se gonflait et s’intensifiait.
C’est sur la longue pente qui descend de la porte de la faculté des lettres que je l’ai enfin retrouvé. Je
descendais, tandis qu’il montait.
« Ah », ai-je dit.
Ou j’avais le cœur qui battait à
grands coups et je ne pouvais rien dire. Je me suis arrêtée et j’ai regardé le
garçon. Toutefois, il est passé à côté de moi sans se rendre compte de ma
présence.
Je m’amuse
encore à imaginer ce qui se serait passé si seulement j’avais eu le livre à la
main à ce moment-là.
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