dimanche 31 décembre 2017

Le bruit du vent dans les films de Fellini

 Je collectionne les tickets d’emprunt de la BNU. Ne me demandez pas pourquoi. Je ne sais pas moi-même. D’habitude, je n’ai que les miens sur lesquels il est écrit mon nom et les titres de livres que j’ai empruntés. Parfois, je trouve ceux d’autres personnes.

 Hier, je suis allé à la BNU pour chercher des livres à emprunter. Ces derniers temps, j’ai lu beaucoup de romans d’auteurs américains. Je suis même en train de lire « Le monde selon Garp » de John Irving. J’ai aussi lu « L’avortement » de Brautigan. Ce sont de bons livres, mais à vrai dire, je me lasse un peu de la littérature américaine. Je ne veux plus voir la description de la Californie. J’en ai aussi marre du sexe. J’avais envie de lire un livre dans lequel il n’y aurait ni Californie, ni sexe.

 Je suis allé cette fois dans la section de la littérature française. Il y a si longtemps que je n’ai pas lu d’auteur français. J'ai reconnu avec nostalgie quelques noms d'auteurs. J’ai pensé à emprunter un livre de Modiano, mais j’ai remis le livre sur l’étagère. J’en ai déjà assez lu. Je savais déjà ce qu’il y a dans ses livres. D'ailleurs il traite souvent du même sujet. J’ai trouvé le nom de Bataille et je me suis rappelé que j’étais toujours intéressé par « L’histoire de l’œil » qu’il avait publié sous le pseudonyme de Lord Auch, sauf que ce livre manquait. Après environ une heure d’égarement, d’hésitation et de réflexion, j’ai finalement choisi « Les gommes » d’Alain Robbe-Grillet. C’est un auteur dont je n’ai jamais lu une œuvre. J’ai tourné les quelques premières pages, cela m'a plu. Pourtant je ne sais pas s'il y a la Californie ou du sexe dans ce récit.

 Par la suite, je me suis rendu à la section ‘’littérature japonaise’’. Elle se trouve discrètement à côté de la littérature chinoise. La partie consacrée à la littérature japonaise est plus petite que celle consacrée à la littérature chinoise. Cette différence est proportionnée à la superficie du Japon et de la Chine. En ce moment, je lis notamment de longs romans. J’avais envie de prendre un recueil de nouvelles. Personnellement, je considère Yoko Ogawa comme un maître des courtes histoires.

 C’est une professeure de la fac qui m’a parlé de cette écrivaine un jour. Avant que le cours ne commence, elle est venue devant moi et m’a chuchoté : « Aurélien, tu connais Yokogawa ? »
 Je ne connaissais pas Yokogawa. Je lui ai donc répondu par la négative, en secouant la tête.
« Yokogawa, a-t-elle répété.
- Est-ce un nom de famille ? » lui ai-je demandé.
Sans répondre à ma question, cette fois elle a prononcé lentement.
« Yooookooooogawa.
- Yoko Ogawa ! fis-je.
- Yoko Ogawa ! », a-t-elle dit.

 Je connaissais son nom. Quand j’étais à l’école primaire, j’avais lu « La formule préférée du professeur », j’avais vu aussi l’adaptation cinématographique de ce roman. Il s’agit de l’histoire d’un professeur de mathématiques dont la mémoire ne dure que quatre-vingts minutes. Il colle donc beaucoup de notes sur ses vêtements, pour ne pas oublier voire pour se souvenir. Mais c’était tout.

 C’est ainsi que j’ai découvert à nouveau le monde de Yoko Ogawa. Son écriture est simple, raffinée, peut-être un peu minimaliste. Ses romans, qui sont souvent courts, parlent d’une vie quotidienne dans laquelle s’introduit une anormalité. J’ai particulièrement aimé « Tristes revanches », « Les paupières » et « La marche de Mina ». Et j’ai lu « Les lectures des otages » en japonais, pour satisfaire ma curiosité de connaître son écriture originale.

 Après avoir hésité un certain temps entre « La mer » et « Manuscrit zéro », j’ai finalement choisi le dernier. J’ai ouvert une page au hasard et j’ai découvert un morceau de papier. C’était le ticket d’emprunt de quelqu’un datant d’il y a six ans. Son état de conservation était parfait. Il n’était nullement froissé, comme une chemise qui vient d’être repassée. Le papier était tout blanc, comme les nuages d’un beau jour de l’été. Et c’était le ticket d’emprunt de « MERLIN Lucile ». Je me suis secrètement réjoui de cette découverte. C’est en fait plutôt rare de trouver un ticket d’emprunt de quelqu’un d’autre de cette façon.

 Je me suis ensuite demandé qui était cette MERLIN Lucile qui a lu ce livre il y a six ans. J’avais envie de savoir dans quelle circonstance elle l’avait choisi et si ce roman lui a plu. J’ai imaginé aussi son apparence et sa vie. Je pense que MERLIN Lucile est une femme de trente-quatre ans. Elle porte des lunettes à monture noire et elle ne travaille pas pour le moment. Elle a un fils de quatre ans et son mari travaille dans une compagnie d’assurance. Il la trompe avec une collègue plus jeune et plus belle. MERLIN Lucile le sait, mais elle feint de l’ignorer. Elle aussi cache quelque chose à son mari. Leur fils, Jean-Marc n’est pas son premier enfant. Quand elle avait vingt ans, elle a dû se faire avorter d'un bébé qu'elle avait conçu avec son petit ami de l’époque. Alors qu’elle attendait la naissance de ce bébé, tout en imaginant à quoi il ressemblerait, quel vêtement lui conviendrait, ce qu’il deviendrait quand il serait grand, il lui a été arraché brutalement par un forceps, avant qu'il ne devienne un être humain.

''Pas mal de problèmes'' Haruki Murakami


 Peu avant d’avoir trente ans, j’ai eu envie d’écrire un roman sans raison particulière, et j’ai reçu le prix du nouvel arrivant d’un magazine littéraire. Ce n’était donc pas prémédité. Ce que j’ai écrit pour la première fois est devenu une ‘’marchandise’’ tel quel. À ce moment-là, je me disais plutôt aisément « C’est peut-être comme ça », mais lorsque j’y pense maintenant, j’étais quand même impudent.
 Euh, non, je ne me vante pas. J’écris juste des faits.
 On m’a contacté pour me dire « On vous a discerné un prix », puis je suis allé à la maison d’édition à Otoha pour rencontrer mon éditeur. Ensuite, j’ai vu le directeur de la publication (quelque chose comme ça) et je l’ai salué. C’était juste une salutation ordinaire et conventionnelle. Et alors il m’a dit « Ton roman a pas mal de problèmes, mais bon. Je te souhaite bonne chance ». Sa manière de parler était comme s’il crachait quelque chose qu'il avait mis dans sa bouche par erreur. Ce salaud, je sais pas qui tu es, mais qu’est-ce que cette manière de parler ! ai-je pensé à ce moment-là. C’est normal, n’est-ce pas ?
 La raison pour laquelle il m’a parlé de cette façon, c’est parce que le roman que j’ai écrit « Écoute le chant du vent » faisait polémique. Même au sein de cette maison d’édition, certains disaient « Un roman frivole comme ça, ce n’est pas de la littérature ! ». Peut-être que c’est vrai. Mais je me suis dit qu’ils auraient pu être un peu plus aimables au moins sur la surface, s’ils me donnaient un prix même si c’était contre leur gré.
 Le temps est passé depuis lors. Quand je jette un regard sur mon passé, assis dans un fauteuil du jardin au crépuscule, j’ai l’impression qu’il est quasi certain que l’être humain que je suis, et les romans que j’ai écrits ont quand même pas mal de problèmes (et aujourd'hui aussi). Alors, je pense que je ne peux pas me plaindre même si je me fais montrer du doigt, parce qu’un homme qui a pas mal de problème écrit des romans qui ont pas mal de problèmes. Cette manière de penser me soulage un peu, puisque même si on critiquait ma personnalité ou mes œuvres, je pourrais prendre une attitude comme ça : « Tant pis, j’ai pas mal de problèmes depuis le début ». Il se peut que ce soit une métaphore inadéquate, c’est pareil si le tremblement de terre ou le typhon faisaient des dégâts, on pourrait simplement dire « On ne peut rien faire. C’est comme ça, le séisme et le typhon »
 Il y a quelques jours, j’ai reçu une lettre de la part d’un bureau du journal allemand. Pendant une émission de critique littéraire populaire, on a abordé mon roman « Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil » et une célèbre critique qui s’appelle Madame Löffler s’est exprimée : « Il faut expulser ce roman de cette émission. Ce n’est pas de la littérature. Ce n’est qu’un fast-food littéraire ». Contre ce propos, l'animateur qui a quatre-vingts ans s’est levé et a défendu passionnément mon œuvre. Au final, Madame Löffler s’en est complètement offusquée. Elle a dit « Hum, je ne reviendrai jamais dans une  émission si déplaisante ! » et elle a quitté son poste de commentatrice qu’elle assurait depuis douze ans. La lettre me demandait mon avis sur cet incident. J’aurais aimé dire à tout le monde : « Disons-le, j’ai déjà pas mal de problèmes depuis le début, vraiment ».

samedi 30 décembre 2017

''Martyrs'', ''Suspiria'', ''Les frissons de l'angoisse''

 Hier, j’ai regardé trois films. Le film français de Pascal Laugier, « Martyrs » et deux films du cinéaste italien, Dario Argento, « Suspiria » et « Les frissons de l’angoisse (Rosso profondo) ».

''Martyrs'' (2008)

 Contrairement à l’image qu'ont les Américains de la France, le cinéma gore semble être développé aussi dans ce pays du Marquis de Sade. J'ai choisi « Martyrs » parce qu'il est réputé comme l’un des meilleurs films d’horreur. Si je commence par la conclusion, je suis plutôt déçu. Effectivement, ce film comprend beaucoup de scènes sanglantes, violentes et atroces qui donnent envie au spectateur de se couvrir les yeux. J’ai remarqué que le scénario est aussi original et j’ai bien aimé le design monstrueux de la femme séquestrée. Cependant, la fin ne m’a pas vraiment convaincu. Les notables torturent des filles pour qu’elles aient la vision de l’autre monde. Mais ne s’agit-il pas d’une simple hallucination due à la douleur excessive ? D’ailleurs, je pense que l’expression de la violence est le moyen le plus facile pour effrayer les gens. Dans « Shining », Stanley Kubrick a employé des truquages raffinés qui multiplient l’effet de la peur. L’immense quantité de sang qui jaillit soudain dans le hall des ascenseurs. Daniel qui explore l’hôtel labyrinthique sur son tricycle et les fameuses jumelles qui apparaissent de nulle part etc. Pour moi « Martyrs » est juste un film déplaisant plein d’expressions violentes, et malheureusement, je n’ai aucun goût pour les scènes de torture.


''Suspiria'' (1977)

''Profondo Rosso (Les frissons de l'angoisse)''(1975)

 En revanche, j’ai adoré les deux films de Dario Argento. « Les frissons de l’angoisse » est sorti deux ans avant « Suspiria ». Le premier est un film suspens à suspense tandis que le denier est un film d’horreur qui comprend des éléments surnaturels. Le scénario est très affûté ainsi que la technique cinématographique. J’ai aussi remarqué que Dario Argento utilise des accessoires de manière efficace et unique. Ce sont par exemple la poupée terrifiante qui apparait de l’obscurité, le dessin d’un enfant représentant un meurtre et un miroir dans « Les frissons de l’angoisse ». Le visage de la fillette rousse qui épie le héros par la fenêtre m’a fait personnellement très peur. En regardant le film, j’avais l’impression que j’avais déjà vu le visage du héros quelque part. J’ai fait des recherches sur Internet, et j'ai trouvé qu’il s’appelle David Hemmings et que c’est lui qui joue dans « Blow-up » de Michelangelo Antonioni. Au fait, suis-je la seule personne qui trouve qu’il ressemble beaucoup à Oskar Werner ?


 Lorsque « Suspiria » est sorti au Japon en 1977, son accroche était « Ne le voyez jamais tout seul ». Je l’ai regardé tout seul chez moi. Ce n’est pas si effrayant que ce qu’assure cette phrase publicitaire. En revanche, c’est un très beau film. On constate immédiatement que la technique cinématographique de Dario Argento a évolué depuis « Les frissons de l’angoisse ». L'emploi des trois couleurs fondamentales donne au spectateur l'impression d'être dans un rêve. L’effet de l’ombre qui rend chaque scène picturale est aussi subtilement préméditée. La musique du groupe de rock Goblin, est aussi singulière. C'est le genre de musique que l'on ne pourra jamais oublier après l'avoir écoutée une fois. Il y a une anecdote curieuse en ce qui concerne ce thème.
« Argento voulait une musique qui évoque la magie du médiéval. Quelques semaines plus tard, une femme grecque qui travaillait chez Cinevox en tant qu’impresario a envoyé à Goblin un morceau du Moyen Âge avec des paroles en latin. C’était une chanson composée entre 1500 et 1600. Elle était intitulée ‘’ Le tre streghe sull'albero’’ (Les trois sorcières sur un arbre). Par coïncidence, ce titre ressemblait à la fin de ‘’Suspiria’’. Fort impressionné, Dario Argento a adopté sans aucune hésitation le morceau de Goblin basée sur la mélodie de cette chanson médiévale. »
 Cela ne m’étonne pas qu’Argento soit admirateur de Federico Fellini. Il cite comme son film préféré « Huit et demi ». À l'instar des films de ce grand maître du cinéma italien, « Suspiria » s'orne d’images énigmatiques et cauchemardesques : une multitude de vers qui grouillent sur le plafond, l’ombre de quelqu’un qui pourchasse une fille, deux yeux qui surgissent soudain dans le noir, un passage secret et des édifices romains sur une place déserte…

 Ma scène préférée ? Il y en a beaucoup. La scène où deux filles nagent dans la piscine, celle où Sara court dans le bâtiment pour échapper au tueur… Mais si je dois en choisir une, ce sera sans doute la scène au début où Pat regarde dans la fenêtre obscure, puis elle est capturée et pendue du plafond en brisant la vitre.



''L'anguille'' Haruki Murakami



 Alors que je conduisais une Mercedes noire et brillante que j’ai empruntée à un ami, à l'entrée du parking, j’ai accroché carrément le rétroviseur droit contre un pilier à l’entrée. « Ah, qu’est-ce que j’ai fait ! », ai-je pensé et j’ai eu des sueurs froides. Quand je me suis réveillé, il était trois quarante-deux du matin.
Que signifie ce rêve ? Il signifie sans doute que je dois manger de l’anguille. La Mercedes noire est le symbole de l’anguille, le fait d’accrocher le rétroviseur symbolise ma culpabilité de manger quelque chose de riche en calories – C’est un mensonge. Je me suis juste dit que j’ai envie de manger de l’anguille aujourd’hui. Mais j’ai réellement fait ce rêve.
 Au fait, l’anguille, c’est très bon. À vrai dire, j’adore ça. Ce n’est pas quelque chose que l’on mange tous les jours, mais l’idée me vient une fois par tous les deux mois, je me décide : « Bon ! Je vais manger de l’anguille aujourd’hui » et je vais au restaurant. L’anguille est un met empreint d’une atmosphère mystérieuse. La simple démarche d’aller dans un restaurant d’anguilles, de commander le plat et de le manger, est pour moi comme le rituel d'une pensée qui se concrétise. Cet aspect inexplicable est aussi agréable.
 Mais je n’aime pas forcément l’anguille depuis longtemps. Quand j’étais enfant, elle me semblait quelque peu effrayante, même lorsque ma famille en mangeait, moi seul la refusais. Cependant, à un certain point de ma vie, j’ai soudainement aimé l’anguille. Je n’arrive pas à me rappeler quand, ni dans quelle circonstance, j’ai pu manger de l’anguille, mais en tout cas, elle est délicieuse quand on y goûte.
 Il y a très longtemps, en me promenant dans la campagne lors d'un voyage à Nara, j’ai trouvé un vieux restaurant d’anguilles dans une petite ville et j’y suis entré. On m’a introduit dans une pièce à tatami tranquille du premier étage ; j’ai commandé une cuisine d’anguille. Il était environ une heure de l’après-midi, ma femme et moi avions très faim. Mais après le simple thé qu'on nous a servi au début, et malgré une longue attente, nos plats ne venaient toujours pas. Je me suis couché et j’ai attendu environ une heure. Comme j’avais de plus en plus faim et que je me sentais fatigué, je suis descendu en bas pour voir ce qui se passait. C’était sombre et tout à fait calme, il semblait qu’il n’y avait personne. Ma femme et moi semblions être les seuls clients.
« Pardon ! », ai-je appelé en avançant dans le couloir ; au fond il y avait une pièce au sol de terre battue qui semblait servir de cuisine. J’ai jeté un coup d’œil à l’intérieur, dans la lueur faible et mouillée comme dans un vieux film polonais. Une vieille dame voûtée me tournait le dos, quelque chose comme un gros peigne à la main.
 Tandis que je la regardais, elle l’a lancé et elle a piqué le cou d’une anguille. C’était une scène comme dans un rêve ancien.
 Sans rien dire, je suis retourné au premier étage ; j’ai continué à attendre. Un certain temps plus tard, elle nous a apporté nos unajyû en disant « Voilà, pour vous ». C’était, sans aucune exagération ni aucune réserve, de l’anguille vraiment délicieuse. L’anguille, c’est un met particulier. C’est ce que je pense sérieusement.

*Unajyû est un plat japonais de morceaux d’anguille grillés, servis sur du riz dans une boîte laquée.


vendredi 29 décembre 2017

Noël en France

 Ce soir-là, j’étais dans le train à la destination de Haguenau. La nuit était déjà tombée. Il n’y avait que très peu de passagers dans le wagon. J'ai vu dans la vitre le reflet d'une fille qui regardait son portable. Devant moi, un père et son fils parlaient tranquillement. Le fils portait un chapeau de Père Noël. J’ai compris par leur conversation qu’ils allaient chez la grand-mère.
 Quelque trente minutes plus tard, je suis descendu à Haguenau. Aurore m’attendait sur le quai. Elle m’a guidé au parking et je suis monté dans son Audi rouge. La voiture a démarré dans la ville nocturne et déserte.
 Nous nous sommes éloignés de la ville. Le nombre de maisons que nous voyions diminuait petit à petit. Des centres commerciaux ou des concessionnaires les remplaçaient. Le néon jaune de Macdonald émettait une lumière phosphorescente. Au bout de quelques minutes, nous étions dans la forêt.
« Tu veux que je te ramène à Strasbourg après ? m’a-t-elle demandé.
- Je ne sais pas. Mais dans ce cas, tu ne peux pas boire, ai-je dit.
- Il faudrait donc me dire de ne pas boire au début de la soirée. Je suis à ton service ce soir. »
J’ai réfléchi un instant, puis je lui ai dit :
« J’aimerais dormir dans le lit, et toi, tu vas dormir dans le lit-canapé.
- Sale mioche », m’a-t-elle dit au volant, en regardant tout droit.
Aurore me traite très souvent d’enfant car elle est plus âgée que moi. J’ai pensé que c’était injuste alors qu’elle m’avait dit qu’elle était à mon service, mais je me suis tu.
 La voiture avançait dans la forêt obscure. De chaque côté, de hauts arbres s’élevaient comme s’ils nous couvraient.

« Si on enterrait un cadavre dans cette forêt, quelqu'un le découvrirait ? lui ai-je demandé.
- Je ne sais pas. Il y a beaucoup de cadavres introuvables en France, je pense », m’a-t-elle dit.
La seule route que les phares de l’Audi rouge éclairait m’a rappelé ‘’Lost Highway’’ de David Lynch. Nous avons ensuite parlé d’une étudiante japonaise qui a disparu à Besançon l’année dernière. L’auteur présumé du crime est son ex-copain chilien. Après la révélation de cette affaire, il s’est immédiatement enfui au Chili et on n’en a plus jamais entendu parler. Personne, à part le suspect, ne sait où se trouve le cadavre de cette étudiante étrangère. J'ai regardé la forêt profonde qui s'étendait devant nous en pensant au corps d'une jeune fille qui reste toujours abandonné quelque part en France.
 La voiture s’est arrêtée devant une grande maison blanche. Nous étions finalement arrivés chez les grands-parents d'Aurore.

 Nous avons enlevé nos manteaux. J’ai salué ses parents et ses grands-parents que je rencontrais pour la première fois. Aurore m’avait dit que son grand-père avait quatre-vingt dix ans, sa grand-mère, quatre-vingt-sept ans. Le grand-père était assis dans un fauteuil dans un coin du salon. Il m’a pris pour une fille et j’ai regretté de ne pas m’être fait couper les cheveux. La grand-mère faisait beaucoup plus jeune que son âge. Elle était diserte et elle marchait sans problème. Le père avait un gros ventre. Je me suis présenté brièvement. Sa mère était souriante. Son air joyeux m’a détendu. Aurore a aidé sa mère et sa grand-mère de préparer le dîner.
 C’était la première fois que je participais à un Noël en famille en France. Le dîner était copieux et délicieux. La famille d’Aurore m’a offert de la liqueur rose comme apéritif, mais j’en ai oublié le nom. Son père me disait que c’était la spécialité de la Bretagne. Son grand-père et sa grand-mère, lorsqu’ils communiquaient entre eux, parlaient en alsacien. Pendant le dîner, nous avons parlé de l’histoire de l’Alsace et de la France. Les parents d’Aurore m’ont demandé si les Japonais fêtaient Noël. Je leur ai dit qu’ils fêtent Noël, mais qu’il n’y a pas de dimension religieuse, qu'il n'y a ni foie gras ni dinde, mais le KFC et un gâteau.

 Le grand-père est allé se coucher le premier. En buvant du café, nous avons continué à bavarder. Les parents d’Aurore, qui n’habitent pas d’habitude en Alsace, m’ont parlé du tueur de chats. Selon eux, leur voisin déteste les chats. Il a mis des fils de fer barbelés autour de sa maison pour empêcher les chats d’y entrer. Un jour, un des chats des parents d’Aurore s’est coincé dans ces fils de fer. Ce voisin l’a tué et l’a enterré quelque part, mais ils ne savent toujours pas où se trouve le cadavre de la pauvre bête. Je leur ai conseillé d’appeler la police, mais ils m'ont dit qu'ils ont finalement choisi de ne pas envenimer la chose.
 Aurore a parlé aussi de son chat diabétique. J’avais déjà vu sa photo. C’était un chat noir aux yeux dorés et ronds. Chez le vétérinaire, il s’est révélé qu’il était diabétique. Les parents d’Aurore m’ont dit que cette créature tragique avait toujours faim. Il s’est amaigri progressivement. Aurore l’a amené de nouveau chez le vétérinaire.
« On peut l’opérer, mais je suis sûr que ça ne servira à rien… », a-t-il dit.
 Il ne restait plus d'autre moyen que de l'euthanasier pour mettre fin à ses souffrances. Aurore a pleuré comme une folle dans la cabinet du vétérinaire.
 La mère d’Aurore a dit qu’un choc psychologique peut provoquer le diabète. La grand-mère m’a dit que sa sœur est devenue diabétique après qu’une bombe a explosé à ses côtés pendant la guerre, qu’elle avait aussi toujours faim et qu’elle est morte à l’âge de dix-neuf ans.
 Quelques minutes avant minuit, nous nous sommes déplacées dans la pièce voisine. Nous avons regardé la crèche qui était posée sous le sapin de Noël.
« C’est Balthazar, a dit la mère.
- Non, c’est Gaspard, a dit Aurore.
- Alors celui-ci, c’est Melchior », ai-je dit.



 Lorsque l’horloge a indiqué le minuit, nous avons fêté la naissance de Jésus Christ et nous avons ouvert des cadeaux. La mère d’Aurore m’a offert une théière, sa grand-mère, un sachet de gâteaux alsaciens faits maison. Aurore m’a donné une clochette en forme de chat et les « Romans de la table ronde » de Chrétien de la Troyes. Quant à moi, je leur ai offert une boîte de chocolats que j’avais acheté à Strasbourg. Le chocolat me semblait le choix le plus pertinent, vu que c’est quelque chose que tout le monde aime. Comme je n’attendais pas de cadeau de la part de sa mère et de sa grand-mère que je rencontrais pour la première fois ce jour-là, j’étais content.
 J’ai dormi dans le canapé-lit du bureau du grand-père. Un petit faon empaillé était posé sur l’étagère avec une multitude de livres. La grand-mère m’a dit qu’un jour, son mari a trouvé un faon affaibli dans le jardin. Il l’a accueilli chez lui, mais il est tombé malade et mort quelques jours plus tard. Ils l'ont ensuite fait empailler. C’est la raison pour laquelle ce faon me fixait d'un regard implorant à ce moment-là. Quelques bois de cerfs étaient accrochés aux murs comme décoration. Il y avait également des tableaux représentant des cerfs. Dans un coin était disposée la collection de la grand-mère : des poupées de différents pays. À côté de la fenêtre, il y avait la grande photo encadrée d’une femme avec un chapeau à large bord. Le menton en forme d’un joli triangle, elle ressemblait à une chatelaine du Moyen Age. La mère d’Aurore m’a expliqué que c’était la cousine de la grand-mère qui était modiste. Comme Sophie dans le ‘’Château ambulant’’, ai-je pensé.
 Cette nuit, j'ai rêvé de cette femme. Dehors des bombes explosaient partout. La ville était dans les flemmes. Je lui ai demandé si nous ne devions pas nous enfuir au loin. Sans rien dire, elle a soigneusement pris les mesures de ma tête avec un mètre ruban. Elle a ensuite dessiné un plan sur une grande feuille. Pendant qu'elle travaillait, je la regardais faire un chapeau pour moi depuis un coin du bureau. C'était un chapeau idéal qui convenait si parfaitement à la forme de ma tête que j'ai cru ne plus pouvoir l'enlever. Mais lorsque je me suis réveillé au matin, je ne pouvais plus me rappeler à quoi il ressemblait.






 Le lendemain matin, Aurore et moi nous sommes promenés dans la forêt. Nous avons suivi un étroit sentier. Au bout, il y avait un rocher immense d’une forme bizarre. Il était d’une couleur rougeâtre et il s’élevait verticalement comme si un géant avait superposé des rochers les uns sur les autres. La veille, comme j’étais arrivé tard, je n'avais rien pu voir d’autre que du noir. Dans la lumière blanche du matin, je dominais le village. Il y avait de grandes maisons de diverses couleurs. Le village était entouré de montagnes.



 Nous y sommes descendus. Aurore m'a proposé de faire un tour de la ville. Nous avons traversé un ruisseau. Deux chiens nous ont aboyé dessus. De l'autre côté, des poneys mangeaient tranquillement de l’herbe. Quelques minutes plus tard, nous avons découvert des rails couverts de terre et de feuilles.  Aurore m’a expliqué qu’une ligne de chemin de fer a été fermée il y a quelques années.





 Nous avons vu également un bunker, ce qui signifiait qu’il y a eu des combats dans ce village pendant la guerre. L’intérieur était entièrement enseveli sous les feuilles mortes et mouillées. À côté de la mairie, il y avait des monuments qui commémoraient les victimes des deux guerres mondiales. Les noms des soldats y étaient gravés. Il y a longtemps ce petit village devait être beaucoup plus peuplé qu’aujourd’hui. Il devait y avoir beaucoup plus de jeunes. C’était difficile d’imaginer qu’il y avait eu des combats dans un endroit de nos jours si paisible et idyllique. Seuls ces monuments de pierre nous disaient que ce qui s'est passé était réel.
 Nous sommes rentrés à la maison des grands-parents d’Aurore. Ils m’ont gentiment offert le déjeuner. J’ai mangé du saumon fumé, de la dinde rôtie, du gratin et de la buche de Noël. Tout était délicieux. J’ai particulièrement aimé le gratin. C’est en fait mon plat préféré.
 La télé diffusait « Benjamin Gates et le Livre des secrets ». J’ai commencé à le regarder sans raison particulière. Ce film était en fait plus intéressant que je ne l'espérais. L’héroïne était une mignonne femme blonde. Elle ressemblait à mon actrice préférée, Diane Kruger.
« Regarde, Aurore. Cette fille ressemble à Diane Kruger, ai-je dit.
- Mais c’est elle ! », m’a-t-elle dit.
C’était bel et bien Diane Kruger.
 Le film a fini vers seize heures. Sur l’écran, il était affiché : « Le prochain film : Forrest Gump ». J’ai cité la célèbre phrase de ce film : « la vie, c'est comme une boîte de chocolats : on ne sait jamais sur quoi on va tomber ». Mais Aurore m'a ignoré.
 Je n’avais pas le temps de regarder « Forrest Gump ». « Je ramène le gosse » a déclaré Aurore à ses parents. De toute façon, je l’avais déjà vu deux fois.
 J’ai remercié les grands-parents et les parents d’Aurore pour leur accueil chaleureux et le partage du moment familial. Aurore et moi sommes montés dans son Audi rouge.
 Cette fois, nous avons pris l’autoroute qui nous a ramenés directement à Strasbourg. Au début nous bavardions beaucoup, mais au fur et à mesure nous parlions de moins en moins. « Je n'ai pas pu dormir hier. J’ai fait les cent pas dans ma chambre », m'a-t-elle dit. Le ciel était d’un bleu teinté de rose. De temps en temps, des trains passaient. Les silhouettes de tours en treillis s'élevaient comme des vestiges des temps anciens. Une heure plus tard, l’Audi s’est arrêtée devant chez moi. J’ai dit au revoir à Aurore et la voiture est partie. J'ai marché vers la porte en pensant au faon empaillé, à la belle modiste et aux fantômes des soldats errant dans les forêts de France. 











jeudi 28 décembre 2017

Les marchés de Noël de Strasbourg












Obernai

 Le train s’est arrêté sans heurt, au milieu de nulle part. Quelques instants plus tard, une voix de femme a annoncé que le train s’était arrêté inopinément ; elle demandait de ne pas ouvrir les portes. J’ai attendu qu’il se redémarre en regardant par la fenêtre. Des champs s’étendaient à l’infini. Quelques maisons étaient parsemées, et le passager assis devant moi dormait, la tête inclinée contre la vitre. Quelques minutes plus tard, le train s’est ébranlé. Finalement, je suis arrivé à Obernai.
 Dans un coin de la gare d’Obernai, une femme châtain m’attendait devant une barrière blanche. Cela faisait longtemps qu'Aurore et moi ne nous étions pas vus. Nous avons échangé quelques mots et nous nous sommes mis à marcher.



 Obernai était plus grand que je ne le pensais. J’imaginais un petit village peu peuplé, mais c’était en réalité une ville pleine de monde et d’animation. Nous sommes entrés deux rangées d’arbres. Au bout de quelques minutes, nous avons rencontré des remparts.
« D’anciens remparts entourent la ville », m’a-t-elle expliqué.
 Une plaque clouée au mur relatait l'histoire de la ville.
 Nous sommes passé par l’entrée de cette muraille. J’ai vu les deux tours d’une église au loin. La rue qui nous conduisait au marché de Noël grouillait de tout type d'habitants de la ville : des petits enfants aux vieillards. Il y avait aussi beaucoup de jeunes. Des chants de Noël étaient diffusés aux alentours.




 Nous avons regardé des stands. Aurore m’a indiqué un stand de petites maisons alsaciennes parce que je lui avais dit que j'avais envie d'avoir une maquette de cathédrale. Quelques vieilles dames contemplaient des maisons à colombage miniatures.
 Nous avons quitté ce stand d'objet artisanaux. Aurore m’a offert un vin blanc chaud. C’était la première fois que je buvais du vin chaud blanc. Le vin était de la couleur d’ambre, dedans il y avait de la chair d’un quelconque fruit ou légume. Gingembre, je pense, mais je n’en suis pas sûr. Il était sucré et je n’y sentais pas trop d’alcool alors qu'Aurore m’avait dit qu’elle avait été ivre avec un seul verre de vin chaud un autre jour. Le vin me réchauffait, mais il n’était pas assez fort pour me faire rêver.
 Dans une ruelle, j’ai vu quelques personnes sortir par une porte blanche. Il y avait une exposition présentant la tradition alsacienne. Nous sommes entrés. À l’intérieur, une multitude de jouets d’enfants faits de branches d’arbres, de feuilles et de glands s’étendaient sur des tables. Nous avons ensuite découvert beaucoup de maquettes de trains. Un homme d’âge mûr se tenait derrière examinant quelques locomotives. Aurore m’a dit que son père était aussi un grand collectionneur de maquettes de trains. À côté, il y avait deux mannequins, un d'homme et un de femme représentant le costume alsacien traditionnel. L’homme portait un gilet rouge et un pantalon noir. La femme, une longue jupe noire et un ruban immense ressemblant aux ailes d’un papillon.




 Sortis de ce bâtiment, nous avons déjeuné dans un restaurant. Il y avait beaucoup de monde, notamment des familles habitant sans doute à Obernai, partageaient un moment convivial. J’ai pris un gratin de Munster. Elle m’a dit que Munster était le nom d’un village.
 Le gratin était délicieux. La saveur du fromage lui donnait une profondeur, comme la spirale d'un long escalier en colimaçon. Je lui ai parlé de livres que j’étais en train de lire, « L’avortement » de Richard Brautigan et « Le monde selon Garp » de John Irving.
« Tu voudrais faire un tour de la ville ? », m’a-t-elle dit.
 J’ai fait oui de la tête.

 Nous nous sommes éloignés du marché de Noël. L’atmosphère joyeuse et le cantique de Noël devenaient de plus en plus lointains. J’ai vu des vieilles maisons faisant partie des remparts. Chacune avait un jardin d’un vert magnifique. J’ai pensé que ce devait être charmant de vivre dans de telles maisons historiques.  






 Nous sommes entrés dans l’église à deux tours que j'avais vue en entrant dans le centre-ville. Il y avait à l’intérieur plusieurs enfants emmitouflés de manteaux épais. La lumière de l'hiver entrait doucement à travers les vitraux magnifiques. J’ai vu pour la première fois de véritables confessionnaux comme je n’en avais vu jusque là que dans des vieux films. J’ai monté les marches d'un confessionnal ; une ouverture grillagée, minuscule, sépare l'espace bien clos qu'occupe le prêtre de l'autre entrée qu'emprunte le fidèle. Je me suis demandé ce que j’allais confesser, mais il n’y avait personne dedans.
 J’ai admiré également les crèches qui étaient exposées. J'ai dit à Aurore que mon école maternelle était catholique, que quand j’étais petit, j’avais représenté la naissance de Jésus Christ avec mes camarades, que je connaissais donc tous ces personnages. D’ailleurs, je devais faire la prière devant la statue de Marie chaque matin. Dans une église sombre, l'expression attendrie de Marie paraissait triste et elle me faisait un peu peur.







 J’ai remarqué qu’il y avait beaucoup de pentes à Obernai. De plus, une grande colline ressemblant à une petite montagne dominait la ville. Une immense croix blanche s’élevait à son sommet. L’atmosphère de la ville m’a rappelé Otaru où vivaient mes grands-parents aujourd'hui décédés. Ils habitaient sur une colline un peu isolée du centre-ville. Après qu’ils ont quitté ce bas monde, personne ne voulait vivre dans cette maison solitaire. On a dû la démolir avec les souvenirs de mes grands-parents.

 Aurore m’a accompagné jusqu’à la gare d’Obernai. Le bleu de la nuit allait commencer à ensevelir la ville entière. Les lumières douces des illuminations se sont allumées une à une. Le panneau lumineux indiquait que mon TER allait arriver dans quelques minutes. J’ai dit au revoir à Aurore sur le quai B et j'ai agité la main. Je ne sais pas si elle est partie tout de suite ou si elle a attendu que le TER parte. L’extérieur était maintenant totalement obscur. Je ne pouvais plus voir les champs qui s’étendaient à l’infini.

dimanche 24 décembre 2017

''Vaux mieux faire bouillir des pâtes !'' Haruki Murakami



 J’ai obtenu mon permis de conduire lorsque j’habitais en Italie et j’ai passé ma période en tant que débutant à Rome. J’imagine que ceux qui ont déjà visité Rome le comprennent – Je ne crains presque rien, parce que Rome est la ville qui offre aux chauffeurs le frisson, l’exaltation et le mal de tête, et aussi une grande joie tordue plus que n’importe quelle autre ville du monde. Je ne mens pas. Si vous en doutez, je vous conseille de visiter Rome, d’y emprunter une voiture et de conduire vous-même.

La particularité des chauffeurs italiens, c’est qu’ils ouvrent tout de suite la fenêtre et qu’ils crient quand ils ont la moindre complainte. En même temps, ils agitent largement le bras. Ils font ça en conduisant, j’avais donc un peu peur quand j’assistais à une telle scène. Une de mes connaissances italiennes a vu une vieille dame qui conduisait maladroitement et lorsqu’elle l’a dépassée, elle a ouvert la fenêtre de sa Fiat Uno (Pour cela, il fallait tourner rapidement le volant), et elle lui a crié dessus, « Signora ! Conduire, c’est pas pour toi ! Vaux mieux faire bouillir des pâtes chez toi ! » C’est aussi la particularité des chauffeurs italiens d’être indulgents envers les chauffeurs maladroits.

 Cependant, je ne pouvais m’empêcher d’avoir de la compassion pour cette dame. Il se pouvait qu’elle fût obligée de conduire pour vivre. Et chez elle, en faisant bouillir des pâtes dans la cuisine, elle a peut-être dit à son fis en pleurnichant : « Moi, aujourd’hui en conduisant dans la ville, un homme inconnu m’a crié ‘’Signora ! Conduire, c’est pas pour toi ! Vaux mieux faire bouillir des pâtes chez toi !’’ » C’est triste. Si c’était au Japon, ce serait « Vaux mieux faire bouillir du radis blanc chez toi ! ».

C’est en fait mystérieux : les pâtes italiennes sont très bonnes. Les gens me diront sans doute que c’est normal, mais je dis ça parce que les pâtes des pays voisins de l’Italie étaient toutes mauvaises. On franchit juste la frontière, et les pâtes deviennent tout à coup incroyablement insipides. La frontière, c’est quelque chose d’étrange. Et à chaque fois que je rentrais en Italie, je me rendais compte de nouveau : « Oh, les pâtes sont vraiment bonnes en Italie ». J’ai l’impression que la base de notre vie est faite de ce genre de petites découvertes.

 Les pâtes des restaurants italiens de Tokyo ont aussi un niveau élevé. Je suis quand même impressionné qu’ils cuisinent aussi bien alors que c’est un plat étranger. Toutefois, cette sensation de ‘’se rendre compte de nouveau’’ quand je refranchissais la frontière et que je mangeais des pâtes dans un restaurant local y est introuvable. Finalement, la cuisine est toujours accompagnée d'une ‘’une atmosphère’’. C’est ce que je pense sincèrement.

vendredi 22 décembre 2017

« Je vous souhaite un bon Noël et une bonne fin d'année ! »

 Aujourd’hui, j’ai visité le département de langue japonaise avec un ami. Il m’a présenté au professeur de japonais, Monsieur B. Mais j’étais très tendu et je n’ai pas beaucoup parlé. Je pensais à la figurine de Rey Ayanami qui était posée sur l’étagère. Monsieur B était quelqu’un qui avait un esprit vif. Je lui ai demandé si je pouvais assister à son cours de traduction littéraire.  Il m’a dit qu’il n’y avait aucun problème et que parfois il y a quelques étudiants japonais d’autres filières qui viennent à son cours. Il m’a ensuite présenté quelques cours de traduction littéraire du niveau le plus élevé et m’a donné les adresses e-mail des enseignants. Depuis que je suis arrivé à l’Université de Strasbourg, j’étais tout à fait passif. Tout ce que je faisais c'était dessiner le portrait de quelques professeurs ou dormir à la bibliothèque. Mais je me suis rendu compte que j’avais plus de liberté que je ne le pensais et que je pouvais chercher ce que je voulais faire. Par la suite, il m’a également proposé de mettre un message sur les groupes de LLCE ou LEA de japonais sur Facebook. J’aimerais bien en effet parler français et je pense aussi qu’avec des Français qui maîtrisent plus ou moins le japonais, ce sera plus facile, mais je ne le ferai pas pour l’instant, parce que l’idée de recevoir 200 demandes d’amis de la part d’otakus m’effraie. À vrai dire, je suis aussi un peu otaku. J’aime « Evangelion », « The Mobile Suit Gundam » et « Ghost in the shell » mais pas « Naruto », « Pokémon », « L’attaque des titans », malheureusement.
 J’ai aussi appris qu’il y aurait un colloque sur Haruki Murakami à la BNU en mars.

 Après avoir quitté le département de japonais, nous avons fait des courses à Simply. J’ai l’habitude de lire les avis des clients à chaque fois que je fais des courses là-bas, mais je n’arrive pas souvent à déchiffrer l’écriture des Français. Hier, je les ai lus avec une vieille dame que je ne connaissais pas. Elle ne m'a rien dit et moi non plus. Mais aujourd'hui j'étais avec un Français. Grâce à lui, j’ai enfin pu savoir qu’il était écrit « le prix des coquilles Saint-Jacques était faussé ! ». La plupart des avis sur le Simply de l’Esplanade étaient critiques. Mais à la fin du cahier, quelqu’un avait écrit « Je vous souhaite un bon Noël et une bonne fin d'année ! »

La Cave


 Je ne veux pas penser à l’épreuve en quatre heures de ce matin. De toute façon, c’est fini. C’était une dissertation sur ‘’Le peuple d’en bas’’ de Jack London et ‘’La cave’’ de Thomas Bernhard. Je m’intéressais depuis longtemps à Jack London et j’ai lu pour la première fois son livre durant ce cours. Comme on le devine tout de suite par le titre, ce n’est pas un livre joyeux. Il est déprimant, mais grâce à l’écriture ironique de Jack London, il n’est pas aussi lourd que l’on ne le pense. Il y a en fait un livre similaire de Georges Orwell qui s’intitule ‘’ Dans la dèche à Paris et à Londres’’. Ce sont tous les deux des reportages sur les gens qui mènent une vie misérable dans un quartier pauvre. J’ai appris dans ce cours que c’est ‘’Le peuple d’en bas’’ qui a paru le plus tôt. Donc, Orwell a été influencé par cette aventure de London.

 Je ne connaissais pas Thomas Bernhard. J’ai remarqué que son style était singulier. Il y a beaucoup de répétitions et il n’y a pratiquement pas de description. J’ai demandé à Pauline si elle le connaissait, parce que c’est une fille passionnée par la culture allemande (*Bernhard est autrichien).

« Bien sûr ! C’est un grand écrivain ! », m’a-t-elle dit.

 Il semble qu’elle ait aussi étudié son ouvrage à l’université.

 Dans mon cours, notre professeur nous avait dit : « Thomas Bernhard déteste l’Autriche comme la plupart des écrivains autrichiens… ». Mon image de l’Autriche, cest d’abord Mozart, le menton long des Habsbourgs et le zoo de Schönbrunn à cause d’un roman d’Irving. J’ai l’impression que l’Autriche est un pays développé et propre. J’ai donc demandé à Pauline si beaucoup d’écrivains autrichiens détestaient leur pays. Elle m’a répondu que c’était vrai, parce que la politique autrichienne était extrême. Je ne sais pas à quel point elle est extrême, mais je me suis demandé si ça avait un rapport avec le fait que Hitler est né en Autriche.

 Selon la page japonaise de Wikipédia consacrée à Thomas Bernhard, ses ouvrages sont particulièrement estimés à l’étranger, mais il a de temps en temps subi des critiques en Autriche, car il condamnait souvent sa patrie dans ses livres. L'article sur Wikipédia dit que certains critiques l’ont appelé « Nest Schmutzer (Celui qui salit son nid) ».

 Je ne m’identifie évidemment pas à un si grand écrivain, mais je crois comprendre un peu son sentiment parce que, moi aussi, je déteste le Japon. Je n’ai rien contre la culture japonaise, j’ai quand même beaucoup d’artistes, de romanciers, de cinéastes japonais que j’adore. Mais je hais la politique et la société japonaises. Il y a tant de raisons pour lesquelles je déteste ce pays que j'ai souvent envie d'éviter de l'appeler mon pays.

 Par exemple, il y a beaucoup de harcèlement au travail et à l’école au Japon. Il y a quelques années, une jeune Japonaise de 24 ans s’est pendue la veille de noël. Cette affaire a pris l'ampleur d'un grand scandale et l’entreprise pour laquelle elle travaillait a été mise en cause. Le président de la société s’est excusé devant le public et a juré qu’il ferait son mieux pour améliorer les conditions du travail sauf que je savais que rien ne changerait dans ce pays où règne uniquement ‘’l’ambiance’’. Le pire, c’est que c’était la plus grosse agence publicitaire de l’Empire nippon.

 Autrement, le gouvernement japonais fait l’esclavage en exploitant des étrangers, notamment ceux qui viennent d’autres pays asiatiques. Il prétend qu’il s’agit de stages pour apprendre la technologie nippone aux étrangers. En réalité, ils sont encore plus exploités que les Japonais. Ils travaillent toute la journée, ils ont une paye de misère. Avant j’ai regardé un documentaire sur ce sujet : dans une petite pièce sale, plusieurs Chinois ou Vietnamiens vivaient ensemble et qu’ils disaient qu’ils avaient été trompés. Je pense que ce genre de choses va laisser des rancunes qui vont perdurer, comme le massacre de Nankin ou le problème des ‘’femmes-conforts’’, que les descendants aveugles de l’Empereur Jinmu prétendent n'avoir jamais existé.

 Finalement, ce que j'aimerais vraiment dire, c'est qu'une société dans laquelle dont  les enfants se suicident a tort à cent pour cent, quelle que soit la raison.