Deux chats
vivent dans ma résidence. L’un est gris et gros. Un jour, une fille que je ne
connais pas m’a dit qu’il s’appelle ‘’Patience’’ et qu’il est vieux. On devine
effectivement qu’il a longtemps vécu. Son regard est philosophique, il marche
lentement d’un pas assuré. Il connait bien le monde où il vit. Plus rien ne
l’étonne. En revanche, il est bien difficile de communiquer avec ce chat obèse
que j’appelle secrètement Totoro. Il roule et entrouvre les yeux d’un air
content lorsque je caresse son ventre flasque et sa gorge, toutefois il ne
manifeste pas d’intérêt sur moi. L’autre est petit. Pendant l’été, comme je
n’ai pas d’ami humain, j’ai joué avec lui tous les jours. Je ne connais pas son
nom. Je l’appelle simplement ‘’neko’’, ce qui veut dire ‘’chat’’ en japonais.
(À propos, l’auteur de ‘’Je suis un chat’’, Sôseki Natsume appelait aussi son
chat ‘’neko’’. Son chat n’avait donc pas de nom. Est-ce pour cela que ce roman
commence par l’introduction célèbre « Je suis un chat. Je n’ai pas de nom » ?)
J’ai entendu dire que c’est une femelle, mais je ne sais pas. Son oreille
gauche est difforme. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé. Il aura été
maltraité par quelqu’un comme Johnny Walker dans ‘’Kafka sur le rivage’’, ou
bien il aura été attaqué par d’autres animaux lorsqu’il était plus jeune. Il
boîte également, de plus, il est très craintif. C’est certain que quelque chose
de pas très agréable lui est arrivé. Contrairement au gros chat gris, qui est
en quelque sorte indifférent, le petit chat est sensible et difficile. Mais une
fois apprivoisé, c’est ce petit chat qui est le plus câlin et affectueux.
Maintenant, lorsqu’il m’aperçoit, il se met sur mes genoux et lèche ma main, et
frotte sa tête contre moi.
Quand j’ai
le temps, j’observe ces deux chats. Je sais que ces deux chats ne sont pas
amis. Par exemple, avant-hier, le matin quand je me dirigeais vers l’arrêt de
bus, j’ai vu le petit chat assis sur le chemin. Quelques instants, plus tard,
le gros chat est venu vers lui et le petit s’est très vite enfui. Hier, tandis
que je caressais le petit chat dormant sur mes genoux, le gros chat est apparu
soudainement. Il s’est approché de nous et a miaulé. J’imagine qu’il a dit «
Hé, qu’est-ce que vous faites là ? ». Et il s’est frotté contre moi puis s’est
assis à côté de nous. Le petit chat regardait son occiput. J’ai aussi d’autres
exemples mais en bref, j’ai conclu que ces deux chats ne sont pas ennemis mais
qu’ils ne sont pas amis non plus. Leur relation est beaucoup plus subtile. On a
l’impression que les chats sont nonchalants, qu’ils mangent quand ils veulent
et qu’ils dorment quand ils veulent mais en réalité, la société des chats a
aussi ses règles et elle est compliquée.
J’ai dit que
l’oreille gauche du petit est difforme. Mais je suis sûr qu’elle fonctionne
bien car elle réagit toujours à un bruit de pas, ou de voiture.
Aujourd’hui,
j’ai participé au café-débats de ma résidence. Parce qu’avant mon voisin
m’avait dit que c’était bien. D’ailleurs, j’ai pensé que ce serait une bonne
occasion de pratiquer le français. Cette fois le thème était ‘’la dépression’’.
Et il se trouve que je suis l’incarnation même de la dépression. Si vous
demandez à quelque passant dans la rue la définition de la dépression, il vous
répondra forcément : « C’est Tatsuya. C’est clair. Il est la meilleure
dépression au monde. Je le prends toujours quand je suis malade. » J’ai arrêté
de réviser mon latin et j’y suis allé. Finalement, je regrette de devoir dire
que j’ai perdu trois heures. Les participants étaient tous sympathiques mais
j’ai appris que je ne suis vraiment pas fait pour le débat. Déjà, je n’arrive
pas parler avec une seule personne, alors comment pourrais-je parler en public
? De plus, quelques cons qui ne comprenaient pas exactement le sujet
divaguaient. Finalement, l’un des conseils pour surmonter la dépression était
‘’parler à des amis’’. Certains ne savent donc pas qu’il y a des gens qui n’ont
aucun ami au monde. Mon existence était ignorée. D'ailleurs, même si je leur
parle de ma dépression, c'est sûr qu'ils me diront tous la même chose : « Sors
! Sois actif ! Je suis là pour toi ! » Une fois j'ai parlé de ma dépression à
une amie, elle m'a dit ''J'en ai marre de ta dépression. Ne m’en parle
plus." Alors que je me sentais plutôt bien aujourd’hui, ce débat m’a
déprimé. J’ai chuté aux enfers. Je ne pense pas que j’y vienne une deuxième
fois. De toute façon, le sujet de la semaine prochaine ‘’La statue de la femme
dans la société’’ ne m’intéresse pas du tout. J’imagine que des féministes y
participeront tout sourire.
Cependant,
j’ai remarqué que l’animateur qui n’animait pas vraiment venait sans doute de
la même planète que moi. J’ai eu envie d’hocher la tête mille fois jusqu’à ce
qu’elle tombe lorsqu’il a dit que la dépression n’était pas forcément un
sentiment de tristesse, que c’était plutôt un sentiment de vide, qu’il n’avait
pas d’ami et qu’il trouvait que ne parler à personne était quelque chose de
normal pour lui. Son regard semblait quelque peu triste et son expression était
un peu figée. Ai-je aussi ce regard ? Dites-moi, pourrais-je sourire comme tout
le monde ?
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