Je n’ai rien fait aujourd’hui. Je suis allé à l’U-express
de la rue Boecklin avant midi. J’ai acheté des snacks et une bouteille de deux
litres d’Orangina. À la caisse automatique, la machine ne lisait pas le
code-barre de mes produits. Je suis resté debout pendant un certain moment. Je
l'ai transpercée du regard. Elle répétait à l’infini : « Passez vos articles
devant le lecteur. »
J’ai regardé derrière moi. Un homme chauve rangeait des articles sur
l’étagère. J’ai fixé un regard intense, presque amoureux sur sa tête. Au bout
de quelques minutes, il s’est aperçu de ma présence. J'ai hoché la tête dans sa
direction et il est venu tout de suite vers moi. De près, il était très grand.
J’ai dû lever la tête pour le regarder. Si j'avais vécu au Moyen Age, je l’aurais
pris pour un extraterrestre. Après avoir comparé ma tête et la machine, il m’a
dit que c’était parce que je mettais les articles à un mauvais endroit. Je l’ai
brièvement remercié. Il m’a dit « De rien. » et il est retourné ranger des
produits.
Chez moi, j’ai vu ‘’The Godfather’’. Je l’avais déjà
vu il y a longtemps, mais sans doute je suis maudit. Je n’arrive pas à retenir
l’histoire des films de Francis Coppola. J’ai entendu dire qu’un fantôme
apparaissait dans la scène du mariage, au début. Je l’ai cherché, mais je ne
l'ai trouvé nulle part. Le film était excellent. Le changement subtil de
Michael, interprété par Al Pachino est impressionnant. Comme la gradation d’une
ombre qui s’assombrit, on comprend que Michael se transforme petit à petit en
un véritable mafieux. Ma scène préférée est celle où explose la voiture dans
laquelle se trouve Apollonia.
À vrai dire, les films de Coppola ne m’ont jamais
fasciné malgré son grand talent et leur qualité. Un jour, mon père m’a dit la
même chose. Alors, cette indifférence envers Coppola doit être héréditaire
comme mes cheveux blancs. Les films de Coppola sont pour moi comme une belle
femme irréprochable qui attire tous les hommes, sauf moi. Je suis toujours
attiré par les filles singulières mais il n'y en a pas beaucoup.
J’ai donc vu un film bizarre ce soir, ‘’La vie de
bohème’’ d’Aki Kaurismaki. Dans ce film, il y a trois protagonistes. Marcel, un
écrivain raté, pauvre et expulsé de son appartement. Il écrit une pièce en
vingt actes mais son éditeur refuse de la publier parce qu’elle est trop
longue. Une œuvre très longue et le prénom Marcel rappellent évidemment Proust.
Le deuxième, Schaunard est un soi-disant compositeur, et il remplace Marcel
dans son appartement. On ne sait pas vraiment ce qu’il fait dans la vie, mais
il n’a pas l’air de se soucier de l’argent. Il plaît aux femmes. Se peut-il que
ce soit un maquereau ? Le dernier est un peintre albanais, Rodolfo. C’est un
personnage typique d’Aki Kaurismaki : taciturne, mystérieux, mais chaleureux.
Dans les films de Kaurismaki, il y a toujours une
scène d’interprétation musicale. Dans ‘’L’homme sans passé’’, le protagoniste
va au concert privé d’un groupe local. Dans ‘’Le Havre’’ Little Bob chante à
pleine voix et dans ‘’La vie d’un bohème’’, il y a une courte scène du concert
d’un groupe de rock inconnu.
Ce film semble avoir un lien avec ‘’Le Havre’’ parce
que l’acteur qui joue le rôle de Marcel est le même que le gentil Monsieur qui
aide un garçon africain, et il s’appelle aussi Marcel. (Cet acteur, André Wilms
est originaire de Strasbourg !) Là, aussi, le thème de l’étranger est aussi présent.
‘’Le Havre’’ est l’histoire d’un garçon africain qui voudrait traverser la
Manche pour émigrer en Angleterre. La police le poursuit, mais un Français âgé
le cache. Il y aussi un Vietnamien, Chang qui explique qu’il a tout fait pour
obtenir un visa pour la France. Dans ‘’La vie de bohème’’, il y a déjà deux
étrangers, l’Albanais Rodolfo et l’Irlandais Schaunard. Rodolfo parle le
français avec fort accent. Un jour, il se retrouve sans papiers, sommé de
quitter le territoire français. Dans ‘’Le Havre’’, Jean-Pierre Léaud joue le
rôle d’un homme qui dénonce le garçon africain à l’inspecteur. Il ne paraît que
pendant quelques secondes. Dans ‘’La vie de bohème’’, il joue le rôle d’un
collectionneur qui achète les tableaux de Rodolfo. Et dans ces deux films,
l’histoire se passe en France à Paris, dans l'un, au Havre dans l'autre.
À la fin du film, une chanson mélancolique s'élève,
accompagnée à la guitare. Au début, j’ai cru qu’il s’agissait d’une chanson
finlandaise. Au bout de quelques secondes, je me suis rendu compte que je comprenais les paroles alors que je n'avais jamais appris le finlandais. Cette chanson était en fait japonaise. Je savais que Kaurismaki est un grand admirateur
d’Ozu, mais comme je ne m'attendais pas à entendre une chanson en japonais dans
son film, j’ai été très étonné.
Seul un souvenir traverse un pays enneigé…
Ce souvenir vient d’un pays lointain…
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