mardi 10 octobre 2017

''Cachez-vous la Lune ?'' Ryûichirô Aoki

À six heures du soir, quelqu’un a frappé à ma porte.
Je l’ai ignoré parce que j’ai peur de sortir.
Toctoc.
Je l’ai ignoré.
Toctoc.
Je l’ai ignoré.

……Dans le monde partout, le ciel sourit.
Ce visiteur qui a jugé que frapper la porte n’avait aucun effet s’est mis à repasser une musique sur une radiocassette.
Une chanson gaie parvenait à travers la porte de fer.
« Lève-toi, oh yeah, oh yeah »
….C’était ‘’Viva Rock’’ d’ORANGE RANGE.
D’ailleurs, il semblait qu’il avait enregistré le sample d'Itunes avec un micro. Le morceau revenait au début toutes les 30 secondes.
Le son aussi était terrible.

« Partout dans le monde, le ciel sourit.
Lève-toi, oh yeah, oh yeah.
Partout dans le monde, le ciel sourit.
Lève-toi, oh yeah, oh yeah. »

Je ne savais pas qui c’était, mais de toute manière, ce type était embêtant.

De plus, j’ai un mauvais souvenir avec cette chanson.
Quand j’étais écolier, avant les cours du matin, on était obligés de chanter une chanson.
Tous mes camarades avaient écrit le titre de leur chanson préférée sur une feuille de papier, et on chantait celle qui avait obtenu le plus de voix.
Ce jour-là, on a chanté ce ‘’Viva Rock’’.
À propos, j’avais écrit sur ma feuille :
« NinNin ! Moi, je suis un génie et le premier ninja du monde ! J’ai fait trop de divisions ; il y a quelques jours, aux toilettes, même mon caca était divisé. »
Plus tard, le maître m'a appelé : il a entassé plusieurs pneus et il m’a mis dans le trou qui était exactement à ma taille.
Il y a mis le feu et je suis une fois mort en criant : « Nao Ogawa, elle ne vieillit vraiment pas !»
En écoutant cette chanson, le dépit ressenti alors remontait en moi.

J’ai finalement ouvert la porte.
« Casse-toi, connasse ! Tu veux que je te tue !? Je te fais écouter pendant deux heures l’histoire d’une femme qui a commencé le gospel juste parce qu’elle a grossi, hein ?! »
Celle qui se tenait debout était une vieille dame étrangement petite.
Elle tenait un bouton rouge à la main.
« Q, qui es-tu ! Vieille bique ! Je n'hésiterais pas à donner un coup de pied au cul d’une vieille ! Tu veux que je mette de l’algue salée dans chaque ride de ton front !? Le sel tombera dans tes yeux et tu souffriras ! »
Nullement impressionnée, la vieille dame a dit en me tendant le bouton rouge :
 « Que préférez-vous faire de la Lune ce soir ?
- ….Quoi ?
- Aujourd’hui, c’est à vous de décider. Que préférez-vous faire de la Lune ce soir ? »
L’air sérieux, j’ai murmuré d’une voix de fausset : « Pouvez-vous m’expliquer ? »
« Ce bouton permet de contrôler la Lune de ce soir. Si vous appuyez dessus, la Lune apparaîtra dans ce ciel. Si vous n’appuyez pas, la Lune se cachera derrière les nuages et sera invisible. »
À ce moment-là, j’ai appuyé sur le bouton sans aucune hésitation.
Et j’ai murmuré :
« J’ai renoncé à affirmer.
- Hum, négation ne signifie pas forcément non-existence. La négation permet au contraire de progresser.
Celui qui veut cette Lune, celui qui la trouve belle, celui qui en rit : Il faut de tout pour faire un monde.
Celui qui abomine cette Lune, celui qui la trouve affreuse, celui qu’elle fait pleurer : Il faut de tout pour faire un monde. 

- Si la vie est une accumulation inévitable de choix, réfléchir au point d'en perdre le souffle signifie-t-il la mort ?
- Tout à l’heure, vous avez fait un choix libre. Vous avez accéléré l’élan de votre esprit.
- Ai-je progressé ou ai-je pris la fuite ?
- Les deux.
- Mais ma vieille, c’est aussi une fuite. Tu effaces volontairement tous les choix possibles.
- C’est aussi un choix.
- C’est donc une fuite. On dirait un cercle vicieux. Tu as créé en toi un système qui témoigne de tout, si bien que tu nas aucune limite dans lacte de ‘’choisir’’.  
- C’est aussi un choix.
- Tu es soumise à ton propre système.
- C’est aussi un choix.
- Réfléchir ou non, aussi ?
- Tout est choix.
- Alors, cette spirale n’a pas de sens. Si tout est la somme de nos choix, votre bouton n’a aucun sens. Dites donc, que cette Lune soit belle ou pas, est-ce aussi votre choix ? Bien sûr que non. Tu es folle. »
À ce moment-là, une Lune éphémère est apparue dans le ciel.
La vielle dame l’a indiquée du doigt, puis elle a dit d’un ton tranchant :
« C’est une belle Lune. »
Elle s’est tue, puis elle est partie.

Je suis retourné dans ma chambre. Couché sur le sol, j’ai regardé la pleine Lune par l’interstice des rideaux.
« Tout le monde regarde-t-il cette Lune……?
Cette belle Lune de ce soir, c’est moi qui l’ai fait se lever.
Tout le monde la regarde-t-il…..? Tout le monde la trouve-il belle……? »
Je me suis dit que les autres la regardaient aussi, peut-être.

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