Lorsque je me suis réveillé, il était
déjà neuf heures. Le cours du matin avait déjà commencé. Je l’avais raté
carrément. Je me suis renfoui sous ma couverture et je me suis demandé pourquoi
mon portable n’avait pas sonné. Il avait peut-être sonné mais je l’avais arrêté
machinalement. Qui sait ? Heureusement la prof met son cours sur Moodle,
mais c’était déjà la deuxième fois que je l’avais manqué. J’ai facilement pu
l’imaginer disant devant tout le monde : « Ah, Tatsuya n’est pas là. Son réveil
n’a pas sonné ». La semaine prochaine, je devrai me lever à six heures quoi
qu’il arrive. Même si une immense météorite tombe sur la terre, même si ma
résidence prend feu, même si Diane Kruger m'invite au café, et même si un
éléphant et un tigre célèbrent leur mariage au beau milieu de la rue, je devrai
aller au cours.
Aujourd’hui, j’ai rencontré un Français
que j’ai connu sur une application de langues. Il est aussi étudiant de mon
université. Je ne rencontre presque jamais les filles d’Internet parce que ça
m’angoisse et que la plupart des Françaises qui apprennent le japonais sont des
otakus débiles (leurs parents doivent pleurer tous les jours). Mais comme je
m’ennuie horriblement à l’université (je dors à la bibliothèque U2-U3, je suis
quelqu’un que je ne connais pas dans la rue, je me cache derrière un rideau, je
donne des surnoms aux gens qui passent etc.), j’ai pensé que ça serait une
bonne idée de rencntrer quelqu’un.
Il m’a envoyé un message sur Line pour
me dire qu’il m’attendait à la cafétéria du Patio. Je savais que c’était un
grand garçon barbu mais il y avait trop de monde et je n’ai pas pu le trouver.
J’ai vidé ma tête et je suis devenu un pingouin. Quelques minutes plus tard, un
homme grand et barbu est venu vers moi. Il avait le visage du garçon avec qui
je parlais sur l’application de langues. Il était beaucoup plus grand que moi,
et il avait amené un de ses amis qui, lui, était de ma taille. En marchant
dehors, j’ai regardé de temps en temps son profil du coin de l’œil. Il
ressemblait au premier Français avec qui j’ai parlé. À ce moment-là, mon
français était beaucoup plus maladroit qu’aujourd’hui et je traduisais de
l’anglais au français. Le garçon qui marchait à côté de moi maintenant avait la
peau basanée. Le premier Français que j’ai connu était un noir, qui était loin aussi,
beaucoup plus grand que moi. Ces deux hommes ont la même barbe, portent des
lunettes semblables et ont des yeux ronds. D’ailleurs, il s’est avéré qu’ils
aiment tous les deux la moto et, contrairement à moi qui suis introverti,
qu'ils sont sociables et ont beaucoup d’amis.
Je n’ai pas d’ami proche depuis le
lycée. Mais le garçon avec qui je m’entendais bien au collège était, lui aussi,
extraverti, populaire auprès des filles, et avait beaucoup d’amis. En bref, le contraire de moi qui suis
introverti, et dont le temps total que j'ai dû passer à parler avec des filles
dans ma vie ne doit pas dépasser trente minutes. Je restais tout le temps tout
seul. J’ai l’impression que je me sens plus à l’aise avec quelqu’un qui ne me
ressemble pas. Dans une interview, Yukio Mishima disait un peu la même chose.
L’interviewer lui a demandé pourquoi il détestait Dazai. Mishima a répondu
qu’il le détestait parce qu’il sentait que Dazai et lui avaient quelque chose
en commun, et que cela l'effrayait.
À la cafétéria de Pangloss que je n’avais
vraiment pas l’habitude de venir, le garçon et son ami ont adressé la parole à
un Japonais qui écrivait quelque chose à la table. J’avais un peu oublié à quoi
les Japonais ressemblaient, et à première vue, j’ai cru qu’il était français parce
qu’il avait la peau blanche, des yeux marron et un long nez. Et lui a cru que
j’étais un Français asiatique, car je ne disais pas un seul mot de japonais. Nous
avons bavardé un long moment tous les trois. Après avoir quitté Pangloss, j’ai
demandé au garçon barbu pourquoi il y avait toujours beaucoup d’Asiatiques à
Pangloss et ce que ce Japonais faisait à l’Université. « Ils apprennent le
français », m’a-t-il dit. « Je ne savais pas que l’on enseignait le
français sur le campus, j’aimerais aussi assister aux cours ! », ai-je
dit. « Tu parles déjà », a-t-il dit. Mais mon français est
susceptible de s’améliorer surtout à l’oral.
Nous avons parlé du beau temps et de
la pluie à Subway. J’ai exprimé mon avis personnel sur « Outrage » et j'ai
imité Takeshi Kitano ("Je vais te tuer, connard ! Bang ! Bang !'').
Quelques heures plus tard, nous sommes retournés sur le campus car j’avais un
cours de latin. Je leur ai dit qu’ils pouvaient aussi venir au cours de latin.
Ils ont refusé poliment. L’ami du garçon barbu est parti le premier en
direction de la station de tram. « Tu as une sœur, n'est-ce pas ? lui ai-je demandé en marchant sur le campus.
- Pourquoi ?
- Intuition, ai-je dit.
- En fait, j'ai trois sœurs »,
m'a-t-il dit devant l'Atrium, quand nous allions nous séparer. Parfois, je suis
très perspicace.
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