vendredi 9 février 2018

Nobody ever had a dream 'round here

 Lorsque je me suis réveillé, il était déjà neuf heures. Le cours du matin avait déjà commencé. Je l’avais raté carrément. Je me suis renfoui sous ma couverture et je me suis demandé pourquoi mon portable n’avait pas sonné. Il avait peut-être sonné mais je l’avais arrêté machinalement. Qui sait ? Heureusement la prof met son cours sur Moodle, mais c’était déjà la deuxième fois que je l’avais manqué. J’ai facilement pu l’imaginer disant devant tout le monde : « Ah, Tatsuya n’est pas là. Son réveil n’a pas sonné ». La semaine prochaine, je devrai me lever à six heures quoi qu’il arrive. Même si une immense météorite tombe sur la terre, même si ma résidence prend feu, même si Diane Kruger m'invite au café, et même si un éléphant et un tigre célèbrent leur mariage au beau milieu de la rue, je devrai aller au cours.

 Aujourd’hui, j’ai rencontré un Français que j’ai connu sur une application de langues. Il est aussi étudiant de mon université. Je ne rencontre presque jamais les filles d’Internet parce que ça m’angoisse et que la plupart des Françaises qui apprennent le japonais sont des otakus débiles (leurs parents doivent pleurer tous les jours). Mais comme je m’ennuie horriblement à l’université (je dors à la bibliothèque U2-U3, je suis quelqu’un que je ne connais pas dans la rue, je me cache derrière un rideau, je donne des surnoms aux gens qui passent etc.), j’ai pensé que ça serait une bonne idée de rencntrer quelqu’un.

 Il m’a envoyé un message sur Line pour me dire qu’il m’attendait à la cafétéria du Patio. Je savais que c’était un grand garçon barbu mais il y avait trop de monde et je n’ai pas pu le trouver. J’ai vidé ma tête et je suis devenu un pingouin. Quelques minutes plus tard, un homme grand et barbu est venu vers moi. Il avait le visage du garçon avec qui je parlais sur l’application de langues. Il était beaucoup plus grand que moi, et il avait amené un de ses amis qui, lui, était de ma taille. En marchant dehors, j’ai regardé de temps en temps son profil du coin de l’œil. Il ressemblait au premier Français avec qui j’ai parlé. À ce moment-là, mon français était beaucoup plus maladroit qu’aujourd’hui et je traduisais de l’anglais au français. Le garçon qui marchait à côté de moi maintenant avait la peau basanée. Le premier Français que j’ai connu était un noir, qui était loin aussi, beaucoup plus grand que moi. Ces deux hommes ont la même barbe, portent des lunettes semblables et ont des yeux ronds. D’ailleurs, il s’est avéré qu’ils aiment tous les deux la moto et, contrairement à moi qui suis introverti, qu'ils sont sociables et ont beaucoup d’amis.

 Je n’ai pas d’ami proche depuis le lycée. Mais le garçon avec qui je m’entendais bien au collège était, lui aussi, extraverti, populaire auprès des filles, et avait beaucoup d’amis. En bref, le contraire de moi qui suis introverti, et dont le temps total que j'ai dû passer à parler avec des filles dans ma vie ne doit pas dépasser trente minutes. Je restais tout le temps tout seul. J’ai l’impression que je me sens plus à l’aise avec quelqu’un qui ne me ressemble pas. Dans une interview, Yukio Mishima disait un peu la même chose. L’interviewer lui a demandé pourquoi il détestait Dazai. Mishima a répondu qu’il le détestait parce qu’il sentait que Dazai et lui avaient quelque chose en commun, et que cela l'effrayait.

 À la cafétéria de Pangloss que je n’avais vraiment pas l’habitude de venir, le garçon et son ami ont adressé la parole à un Japonais qui écrivait quelque chose à la table. J’avais un peu oublié à quoi les Japonais ressemblaient, et à première vue, j’ai cru qu’il était français parce qu’il avait la peau blanche, des yeux marron et un long nez. Et lui a cru que j’étais un Français asiatique, car je ne disais pas un seul mot de japonais. Nous avons bavardé un long moment tous les trois. Après avoir quitté Pangloss, j’ai demandé au garçon barbu pourquoi il y avait toujours beaucoup d’Asiatiques à Pangloss et ce que ce Japonais faisait à l’Université. « Ils apprennent le français », m’a-t-il dit. « Je ne savais pas que l’on enseignait le français sur le campus, j’aimerais aussi assister aux cours ! », ai-je dit. « Tu parles déjà », a-t-il dit. Mais mon français est susceptible de s’améliorer surtout à l’oral.
Nous avons parlé du beau temps et de la pluie à Subway. J’ai exprimé mon avis personnel sur « Outrage » et j'ai imité Takeshi Kitano ("Je vais te tuer, connard ! Bang ! Bang !''). Quelques heures plus tard, nous sommes retournés sur le campus car j’avais un cours de latin. Je leur ai dit qu’ils pouvaient aussi venir au cours de latin. Ils ont refusé poliment. L’ami du garçon barbu est parti le premier en direction de la station de tram. « Tu as une sœur, n'est-ce pas ? lui ai-je demandé en marchant sur le campus. 
- Pourquoi ?
- Intuition, ai-je dit.
- En fait, j'ai trois sœurs », m'a-t-il dit devant l'Atrium, quand nous allions nous séparer. Parfois, je suis très perspicace.

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