Un
ami s’est inquiété car je suis isolé à l’université et il m’a invité à une
réunion avec des Japonais. Comme je n’avais parlé à personne sauf avec les caissiers
du supermarché en 2016 (‘’Bonjour’’, ‘’Au revoir’’), mon vœu pour cette année
est de communiquer avec des êtres humains. De plus, mon psychiatre m’avait
également conseillé de discuter avec des gens (Je viens chez toi car je
n’arrive pas à faire ça !).
Je pensais à rester à côté de mon ami. C'est
l’une des rares personnes de l’université avec qui j’ai parlé, mais lui, il a
beaucoup d’amis et il est très sociable, si bien qu’il s’occupait d’autres
personnes et que je me suis retrouvé entre deux Japonaises inconnues. Je n’aime
pas être entre deux personnes car si elles enfonçaient des
couteaux dans mon ventre des deux côtés, je succomberais certainement. De plus
en plus angoissé, je ne pouvais plus penser clairement. J’avais mal à l’estomac
et ma vue se brouillait. Au bout d’un moment, l’une des Japonaises assise à
côté de moi m’a adressé la parole. Elle avait une voix extrêmement aiguë comme
un personnage d’animé. J’ai répondu quelque chose. La conversation n’a duré que
trois secondes. Une atmosphère embarrassée s’est installée entre nous et
quelques instants plus tard, elle s’est mise à parler avec sa voisine
française. J’avais la nausée. J’ai eu envie de rentrer chez moi et de regarder
la nouvelle série de Gundam. À ce moment-là, j’ai décidé de me réfugier dans la
rêverie, et de tenir jusqu’à ce que cet enfer prenne fin.
Lorsque
je panique ou que je n’arrive pas à gérer mes émotions, je m’enfuis dans le
palais que je construis dans mon esprit. Suite à plusieurs agrandissements, il
devient de plus en plus labyrinthique et difforme. Un vieillard, une petite fille et un pingouin y vivent ensemble.
Plusieurs
minutes plus tard, j’ai entendu quelqu’un m’appeler. Je suis sorti de mon
palais et j’ai levé la tête. Mon ami me demandait si j’allais bien. Je lui ai
répondu que j’allais bien mais j’avais peut-être l’air malade. Il m’a
dit de venir à côté de lui.
J’ai
ainsi quitté les deux Japonaises. Cette fois, je me suis mis à côté de mon ami
et d’une autre Japonaise. J’étais immobile car je n’avais pas réussi à gérer
mes émotions. C’est comme un ordinateur. Quand il y a trop de procédures, CPU
craque et l’écran se fige. Parfois, les émotions qui n'ont pas été gérées se
transforment en larmes. Quelques minutes plus tard, la Japonaise a peut-être eu
pitié de la misérable bête à figure humaine que j’étais, et m’a posé une
question :
«
Qu’est-ce que tu fais le week-end ? »
À
mon grand soulagement, c’était une question à laquelle je pouvais répondre
facilement.
«
Je m’enferme dans ma chambre et je dors toute la journée ! », ai-je répondu sans
hésitation.
Elle
me regardait d’un air intrigué mêlé de mépris. Puis, elle m’a posé une autre
question :
«
Alors pourquoi tu es venu en France ? »
Le
palais dans mon esprit s’est effondré d’un coup.
Pendant
ce temps, des Japonais qui maîtrisaient le français moins que moi parlaient
joyeusement avec des Français. J’ai compris petit à petit que je perdais ma
place qui n’avait sans doute jamais existé. J’ai eu l’impression que le sol sur
lequel je me tenais s’effondrait sur mes pieds.
Maintenant
je n’avais plus personne avec qui parler. Cela m’a rappelé que j’étais ‘’défectueux’’
mais en même temps j’étais soulagé car au moins je ne décevais plus personne. Je suis allé m'asseoir sur une chaise dans un coin, et je me suis mis à lire la suite de ‘’1Q84’’. J’ai
relu plusieurs fois le passage où l’homme au crâne rasé parle de Carl Jung.
Dans le livre, on dit qu’il a construit tout seul une maison simple et
mystérieuse en accumulant des pierres. Après l’avoir achevée, il a gravé sur un
mur « Qu’il fasse froid ou non, Dieu est ici ». J’ai répété cette phrase dans
ma tête. Je ne comprends pas ce qu’elle veut dire, mais elle a en effet ‘’une
sonorité intrigante’’ comme dit l’homme au crâne rasé.
Ce soir, je ne peux m’empêcher de penser qu’il
me manque vraiment quelque chose que les autres possèdent de naissance. Si
j’allais chez le psychiatre la prochaine fois, je lui demanderais si, pour moi,
essayer de communiquer avec les autres n’est pas comme si une personne sans
bras tentait de jouer du piano.
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