lundi 26 février 2018

''Sais-tu si « miaou » est une exclamation ou un adverbe ?''

 Les livres ennuyeux renfrognent le lecteur. D'autre part, certains livres sont capables de le faire pleurer. Et il y a aussi des livres qui font sourire les gens.

 C’est difficile de faire rire quelqu’un avec un simple texte. Par exemple, je trouve que les romans de Dostoïevski sont souvent drôles. Dans « Les frères Karamazov », j’ai ri en lisant le passage où Dmitri bat Fiodor à cause d'un malentendu. J’ai entendu dire que lorsque Kafka a lu à haute voix « La métamorphose », le public a ri. Quand on y pense, l’absurdité de certaines œuvres de Kafka ont effectivement quelque chose qui incite à rire.

 Personnellement j'aimerais compter aussi Natsume Sôseki parmi ces grands écrivains qui avaient un sens de l’humour raffiné.

 « Je suis un chat » de Natsume Sôseki est l'une des œuvres les plus amusantes de l'auteur. D’abord, le fait que l’histoire est racontée du point de vue d’un chat est singulier. Ce chat sauvage nom s’introduit dans la maison d’un professeur d’anglais Kushami dont le modèle est Sôseki lui-même et l'animal fait la réflexion suivante sur le métier de son maître.

« Tout chat que je sois, il m’arrive de penser : un professeur a vraiment une vie heureuse. Si je renaissais en homme, je voudrais n’être que professeur. Si on peut occuper un emploi en dormant autant, un chat aussi en est capable. Et malgré cela, d’après mon maître, il n’y a rien de plus pénible que ce métier de professeur, et chaque fois que ses amis viennent chez lui, il grogne sur une chose ou une autre ».

 Sôseki était maître du poème chinois classique et du haiku, mais les multiples références des écrivains occidentaux nous permettent de comprendre qu’il lisait beaucoup la littérature européenne. Le nom de Zola et de Sainte-Beuve apparaît dans un dialogue du professeur Kushami et de son épouse.

« - Et qu’y a-t-il de si terrible à quelques grognements d’écoliers ou de professeurs ? Sainte-Beuve, un des plus grands critiques que ce monde ait portés, faisait des cours très impopulaires à l’université de Paris, et quand il sortait il avait toujours un couteau dans sa manche pour se protéger des étudiants. D’autre part, quand Brunetière a attaqué Zola, toujours à l’université de Paris…… 
- Oui, oui, mais tu n’es pas professeur d’université. Tu ne fais qu’expliquer un livre de lecture anglais et tu n’as pas à te comparer à ces géants. On dirait un goujon qui veut nager avec une baleine. Cela ne peut que te rendre encore plus ridicule. 
- Tais-toi donc ! (…) »
 C’est vrai que lorsque Sôseki a créé la série de « Je suis un chat », il venait de débuter en tant qu’écrivain assez tardivement, à l'âge de trente-huit ans. Mais en tant qu’admirateur de Sôseki, je voudrais dire qu'il n’a rien à envier à Zola ou à Sainte-Beuve.
 Et du coup, à l'époque de Zola et de Sainte-Beuve, donner des cours ennuyeux risquait de pousser les étudiants à le poignarder. Sur ce point-là, je pense que certains professeurs de mon université ont de la chance car ils n'ont pas besoin de porter un couteau sur eux.

 Au milieu de l’histoire, une dame au gros nez apparaît et sa description hyperbolique, un peu méchante m'a fait rire.

« On dirait qu’elle a volé le nez de quelqu’un et se l’est planté sur la figure. Il est très impressionnant, comme si on avait placé les grosses lanternes de pierre du temple Yasukuni dans un jardinet de dix mètres carrés, et ne semble pas se trouver à l’aise sur le visage. C’est un nez en bec d’aigle, qui a commencé un jour à s’élancer très haut, puis, pensant qu’il dépassait la mesure, s’est ravisé, a perdu son énergie première dans sa course puis est venu plonger vers les lèvres qu’il regarde maintenant de très près. C’est un tel phénomène qu’il serait plus exact de considérer que lorsque cette femme dit quelque chose, ce n’est pas sa bouche qui parle, mais bien plutôt son nez qui ouvre la bouche. Par respect pour ce grandiose monument, je décide d’appeler cette femme Hanako, Mme Nez. »

 C’est une description incroyable. Qui pourrait dépeindre un nez d'une telle manière à la fois si humoristique et poétique ?

 Ainsi, ça se voit que Sôseki était quelqu’un qui avait le sens de l’humour. Cependant, il avait beaucoup de problèmes en réalité. Certains spécialistes disent qu’il souffrait d’une forte dépression. D’autres disent qu’il était victime de trouble bipolaire. D’autres se demandent s’il n’était pas légèrement schizophrène d'après les anecdotes suivantes :
 « Quand il vivait à Londres, il a donné une pièce de monnaie à un mendiant dehors. Après être rentré chez lui, il a vu qu’il y avait la même monnaie sur le bord de la fenêtre des toilettes. Il a cru que la propriétaire de l’appartement l'a mise là pour le harceler. »
« Au Japon, quand il s’installait devant un brasero avec sa famille, il a remarqué qu’il y avait de la monnaie sur le bord. Il s’est souvenu de ce dernier incident et il a battu sa fille de trois ans au cours d’une crise. » 
 Cet épisode était réalisé dans la série « Natsume Sôseki no tsuma (L’épouse de Natsume Sôseki)’’ »

« Il croyait que l’étudiant qui vivait devant chez lui était un détective qui le surveillait »
« Avant le petit déjeuner, il se penchait à la fenêtre de son bureau et criait fort à ce malheureux étudiant : ‘’Ohé ! Monsieur détective ! À quelle heure tu vas à l’école ?’’, ‘’Monsieur détective, dis à quelle heure tu vas sortir !’’ »
« Il a écrit sur une table : ''Les gens autour de moi sont tous fous.’’ »
  Mais en réalité, le fou était Sôseki lui-même. Le fou est fou parce qu'il ne sait pas qu'il est fou.
« Il a cru que l’âme d’une femme qu’il avait vue seule une fois dans sa jeunesse s’était réincarné en une actrice. » 
 Cette anecdote est romantique. Elle me rappelle « Dix Nuits de Rêves » de l'auteur.

 Je suis désolé pour Monsieur Natsume, mais ces épisodes m'ont fait un peu rire. Comme il est mort il y a plus de cent ans, c’est difficile de déterminer quelle était sa maladie. Je ne suis pas spécialiste, mais c’est vrai que ces délires de persécutions semblent typiquement ceux d’un schizophrène. D’autre part, avoir des délires ne veut pas dire forcément être schizophrène, puisqu’il y a quand même d’autres artistes qui manifestaient des symptômes semblables et qui n’étaient probablement pas schizophrènes. Jean-Jacques Rousseau et Ludwig Van Beethoven, par exemple. J’ai l’impression qu’au niveau de la personnalité, Beethoven et Sôseki avaient quelque chose en commun. Ils souffraient tous les deux d’ulcère de l’estomac chronique. Ils étaient très colériques et avaient des troubles mentaux. (On dit aussi qu'ils avaient tous les deux des traces de varioles qui sont invisibles sur leurs portraits). Ça me paraît difficile de comparer la musique et la littérature, mais ne trouvez-vous pas par exemple, qu’il y a quelque chose de proche entre les derniers quatuors à cordes de Beethoven et « L’oreiller d’herbe » de Sôseki ?

 On sait que Sôseki avait écouté Chopin et Dvořák de son vivant, toutefois on ne sait pas s'il connaissait Beethoven. Avait-il eu l'occasion d'aller à ses concert lors de son séjour à Londres ? J'espère qu'il l'avait écouté et que son art lui avait plu.

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