jeudi 1 février 2018

Près des caisses automatiques, Leclerc, Rivetoile

 Peu avant de descendre du bus, j’ai entendu quelqu’un me dire « Anata wa… ». J’ai tourné la tête dans la direction de cette voix. Un homme d’un certain âge avec une barbe de plusieurs jours, portant un bonnet et un blouson qu’on hésiterait à qualifier de propre, était assis à ma gauche. « Nihonjin desuka », a-t-il continué. Ses yeux étaient fixés sur moi. Je lui ai donc répondu « Hai ». Il a souri. Le bus s’est arrêté et je suis descendu. Je me demande comment il a su que j’étais japonais et pourquoi il savait au moins dire cette phrase dans ma langue maternelle. Il n’y avait rien qui indiquait ma nationalité sauf mon porte-bonheur en forme de chrysanthème et un vieux porte-clef sale en forme de Doraemon qui sont attachés à mon sac. Toutefois il était peu probable qu’il les ait vus. Ils sont petits et attachés au côté gauche de mon sac à dos. Vu qu’il savait dire quelques mots en japonais, il savait sans doute à quoi ressemblent les Japonais.

 Personnellement, je crois pouvoir différencier les Japonais des Chinois et des Coréens. Les Chinois ont souvent une tête ronde et un petit nez, tandis que les Japonais, notamment les hommes, ont une tête longue et un nez plus grand. Distinguer les Japonais et les Coréens me semblent plus difficile. Quand j’ai pris le Korean Air, j’ai remarqué qu’ils ressemblaient aux Japonais. Une hôtesse m’a parlé en coréen et c’était marrant. Si je fais une généralité, j’ai l’impression que les Coréens ont les yeux en amande et qu'ils aiment teindre leurs cheveux de plusieurs couleurs excentriques. Mais après tout, ce n'est qu'une vague impression.

 Après les cours, je suis allé à Rivetoile pour me rendre à Leclerc. Ces derniers temps, j’avais une folle envie de manger des croquettes. J’y pensais tout le temps. La friture d’une couleur dorée. Dès qu’elle se brise dans la bouche, la saveur douce de la pomme de terre mélangée au fromage se répand. Puis je me suis souvenu que je n’avais pas mangé de croquette depuis des années. J’ai demandé à Aurore si elle faisait des croquettes. Elle m’a dit que je pouvais en acheter au supermarché. Je n’en ai jamais vu, ai-je protesté. Au rayon de nourriture pour chats et chiens, m’a-t-elle dit. Je l'ai ignorée. Ensuite j’ai posé la même question à Ophélie. Elle m’a dit que je pouvais en acheter au supermarché. Où ?  ai-je dis. Près des caisses automatiques du Leclerc, au Rivetoile, m’a-t-elle dit. Selon ses informations, les croquettes étaient dans des sachets.
 Peut-être que les croquettes du supermarché sont moins bonnes que celles des restaurants. Mais cela m’importait peu. J’avais besoin de croquettes tout de suite, comme un voyageur du désert convoite de l’eau. J'imaginais sans cesse la sensation que l'on ressent en enfonçant les dents dans la pâte croustillante.

 Le Leclerc du centre-commercial était beaucoup plus grand que le supermarché où je vais toujours. Comme c'était la première fois que j'y allais, je me suis un peu perdu. Je suis passé près des caisses automatiques. J’ai vu des sachets roses sur lesquels il était écrit « PROMOTION BEIGNETS ». En passant la boucherie et la poissonnerie, je suis arrivé aux rayons des boissons. Et au final, je suis retourné à l’entrée. Je n’avais vu de croquettes nulle part. J’ai fait deux ou trois fois le tour du supermarché, sans plus de résultat. J’ai renoncé. Il était clair que j’avais manqué l’occasion de manger des croquettes. À ce moment-là, Marie-Antoinette m'a dit dans ma tête : « Si vous n’avez pas de croquette, que vous fassiez vous-même ». J’ai relevé la tête. Heureusement il y avait des pommes de terre chez moi. J’ai acheté un paquet de chapelure et des clémentines. Quand je suis sorti, un gardien m’a demandé de lui montrer mon ticket de caisse et l’intérieur de mon sac.

 Dès que je suis arrivé chez moi, j’ai fait bouillir des pommes de terre dans l’eau. Je les ai ensuite écrasées avec une cuillère et j’en ai fait quatre ou cinq parts. Aussitôt que l’huile dans la casserole a été chaude, je les ai mises dedans. Quelques minutes plus tard, je les ai sorties. Au moment où j’en ai pris une avec les baguettes (je n’ai que des baguettes et une cuillère), elle s’est désagrégée comme le cadavre d’un noyé qu’on retrouve après plusieurs mois. J’ai contemplé le résultat sur l’assiette. Ça ne ressemblait pas à des croquettes. Ça ressemblait à de la pomme de terre écrasée pleine d’huile. Ma chambre exiguë empestait le brûlé. J’ai porté de la pomme de terre écrasée pleine d’huile à ma bouche. J’ai réussi à l’avaler. Je n’ai même pas eu besoin de mâcher pour constater que c’était bel et bien de la pomme de terre écrasée pleine d’huile et rien de plus.

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