Plus tard, Hayao Miyazaki se souvient
de cette période difficile en ces termes : « Je me disais toujours ‘’Qu’on me
laisse réaliser un film ! Je veux vraiment en faire un !’', mais personne ne me
le demandait, de plus tous les projets que je proposais étaient refusés. Ça a
toujours été comme ça pendant trois ans. Je le vivais vraiment mal ».
Isao Takahata était le meilleur ami
de Hayao Miyazaki, avec qui il a créé de nombreuses animations. Pendant la
création de « Nausicaä », Miyazaki a eu l’idée de demander à Takahata d’en être
le producteur. Toshio Suzuki a rendu visite à Takahata pour lui parler de ce
projet.
Toutefois, Takahata a refusé sous prétexte
qu’il n’était pas fait pour être producteur. Suzuki a répété son offre à
plusieurs reprises pendant un mois, mais Takahata n’a jamais dit oui. Finalement,
il s'est résigné. Il a dit à Miyazaki : « On n’aura qu’à demander à quelqu’un
d’autre ».
Miyazaki restait silencieux. Au bout
d’un moment, il lui a dit : « Suzuki, allons prendre un verre ». À peine entrés dans un bar, Miyazaki
s’est mis à boire du saké, une coupe après l'autre, à la grande surprise de
Suzuki. Il ne l’avait jamais vu dans cet état.
En fin de compte, complètement ivre,
Miyazaki s’est mis à pleurer. « J’ai sacrifié toute ma jeunesse à Isao
Takahata. Mais lui, il ne fait rien pour moi……! ».Sans voix, Suzuki ne pouvait
qu’écouter.
Le soir même, dès qu’ils sont sortis
du bar, Suzuki est allé directement chez Takahata. Il lui a demandé de nouveau
: « Monsieur Takahata, acceptez d’être producteur, s’il vous plaît ». Comme Takahata
allait refuser comme toujours en disant : « Mais moi, je ne suis pas fait pour
être….. », Suzuki a perdu son sang froid.
« C’est Miyazaki qui vous le demande !
N’est-ce pas votre ami ? Vous ne faites rien pour lui quand il a besoin d’aide ?!
»
Intimidé par la violence de Suzuki,
Takaha a enfin dit : «……D’accord. J’accepte ». Ainsi, la réalisation de «
Nausicaa » a commencé en avril 1983. Plus tard, Suzuki dit dans une interview :
« C’est la seule fois de ma vie où j’ai élevé la voix en m'adressant à Monsieur
Takahata. J’imagine qu’il n’était pas habitué à ce qu’on lui fasse des
reproches. En tout cas, il a accepté d’être producteur de ''Nausicaä'' à cause de cet incident. »
Toutefois, il restait encore un tas
de problèmes.
Le dérèglement des dessins, par
exemple. L’animation est le fruit d’un travail collectif, si bien qu’il est
indispensable d’unifier le style des dessins. Normalement, ce travail ne prend
pas beaucoup de temps quand on travaille avec des collègues que l’on connait
bien. D’ailleurs, logiquement parlant, s’il y a moins de monde, il est encore
plus facile d’unifier le style des dessins.
L'équipe de la
production était composée des animateurs de ‘’Topcraft’’, de ‘’OH !
Production’’ et d’animateurs libres. Sur le générique, les intervallistes sont
au nombre de 19, mais on dit qu’il y en avait plus de 30 en réalité.
D’ailleurs, la plupart d’entre eux travaillaient pour la première fois avec
Miyazaki. Ils n’étaient pas habitués à la mise en page et au système de vérification
des dessins de ce cinéaste. Par conséquent, la réalisation du film a pris un
retard considérable. Miyazaki a essayé de régler ce problème en travaillant du
matin jusque tard dans la nuit. C’est la raison pour laquelle les dessins des
personnages sont moins stables dans « Nausicaä » que dans ses œuvres
postérieures. De plus, les dessins représentant des foules sont immobiles, ce
qui est impensable dans ses autres films.
À ce moment-là, un jeune homme est
venu d’Osaka pour un entretien d’embauche avec Topcraft. C’était Hideaki Anno, celui
qui deviendra le réalisateur de « Neon Genesis Evangelion » plus tard. Miyazaki
avait besoin d’animateurs talentueux, de plus, à ce moment-là, il n’y avait
personne pour dessiner les dieux-guerriers géants parce que c’était trop difficile.
Le jeune Anno a tout de suite été embauché.
Anno était très fort pour dessiner
les machines et les explosions. Cependant, il avait du mal à dessiner les
personnages. Au début, Miyazaki les lui confiait mais à un moment donné, il a
perdu patience car Anno n’y parvenait pas. « Ça suffit ! Je m'occupe de tout le
reste ! », a crié le cinéaste. Finalement, Anno s’est occupé des dessins des
machines, des explosions, des dieux-guerriers géants, et Miyazaki a dessiné les
personnages.
Lorsque la production de « Nausicaä »
approchait de la fin, un autre problème a surgi. La bande dessinée de « Nausicaä
» était inachevée, de sorte que Miyazaki lui-même ne savait pas comment elle se
terminait.
À cause d’un emploi du temps trop chargé,
la production du film avait commencé sans que la fin ait été décidée.
Miyazaki avait provisoirement dessiné
un storyboard dans lequel Nausicaa se tenait devant les Omus qui se jetaient sur
elle, en y ajoutant le mot "Fin". Toshio Suzuki et Isao Takahata n’étaient
pas trop enthousiastes. Ils ont imaginé deux ou trois fins possibles. Selon le
plan A, les Omus se jetaient sur Nausicaä et elle mourait. Selon le plan B, les
Omus se jetaient sur Nausicaä, mais elle ressuscitait.
« Suzuki, lequel préférez-vous ?
- Je préfère qu’elle ressuscite.
- Alors on va proposer le plan B à
Miyazaki »
Ils le lui ont proposé. Contrairement
à ce à quoi ils s’attendaient, Miyazaki l’a accepté tout de suite. Suzuki s’est
demandé in petto : « Est-ce bon de décider la fin si facilement ? Alors que
c’est important… ». En tous cas, c’est ainsi que la fin de « Nausicaä »,
ce que Miyazaki regrettera plus tard, a été décidée.
La production était toujours en
retard. Miyazaki perdait patience. En décembre, tous les membres ont travaillé
sans aucun congé. Ils ont travaillé même le 31 décembre. Ils n’ont eu congé que
le premier janvier. Miyazaki lui-même a fait de nombreux dessins et des plans
de mise en page tous les jours, de 9 heures jusqu’à 3 heures du matin.
Miyazaki avait aussi ses
limites. « On n'aura pas fini pour la sortie du film ! », a-t-il pensé. Il a
demandé à Suzuki et à Takahata de trouver une solution. Le respect des délais
était la responsabilité du producteur. Miyazaki espérait de tout cœur que Takahata
lui proposerait une solution. Mais son attente a été déçue. Takahata a conclu,
à la surprise générale : « On n’y peut rien ».
Miyazaki,
Suzuki, les animateurs, tout le monde a été étonné de ce propos. En fait, Takahata
était ainsi. Plus tard, quand il a réalisé « Le Tombeau des lucioles » , il a
donné la priorité à la qualité de l’œuvre, et la sortie du film a été remise. C’était
donc ce qu’il voulait dire par « Je ne suis pas fait pour être producteur ».
Mais, à l’opposé, Miyazaki essayait,
dans la mesure du possible, de respecter les délais.
Il a continué à travailler sans
dormir. Il a supprimé des scènes compliquées à dessiner y compris « la
bataille des dieux-guerriers géants et des Omus » qui figurait sur son
storyboard.
La production des dessins s’est enfin
terminée vers la mi-février. Cependant, il fallait ensuite les colorer. Non
seulement les coloristes, mais aussi les intervallistes et les animateurs ont
participé à la colorisation en travaillant 24 heures par jour. La femme qui
s’occupait de la finition n’a pas pu rentrer chez elle pendant trois jours.
Elle s’est concentrée sur son travail sans même se changer.
Finalement, même l’épouse de Takahata
et des rédacteurs du magazine ‘’Animage’’ ont été appelés en renfort. Normalement,
il faut au moins trois mois pour la sonorisation, mais ils ont dû la finir en
une semaine. Grâce à ces efforts incroyables, le film a été achevé et il est
sorti à la date prévue, le 11 mars 1984.
« Nausicaä de la vallée du vent » qui
a été créé ainsi a eu énormément de succès. Mais Miyazaki ne semblait pas
satisfait du résultat. Il a donné à ce film ‘’65 (sur 100)’’. Il dit : « J’ai
ignoré toutes les étapes ordinaires de la réalisation d’un film, mais je n’ai
pas pu saisir le thème. Même si on m’avait accordé six mois supplémentaires, je
n’aurais pas atteint 68/100. »
À la suite du succès de « Nausicaa »,
la maison d’édition Tokuma-Shoten a décidé d’investir dans l’animation. L’année
suivante, le 15 juin 1985, le jour où la réalisation du « Château dans le
ciel » a commencé, Topcraft a mis fin à ses seize ans d’histoire pour
devenir « Le Studio Ghibli », sous la direction de Hayao Miyazaki et
d’Isao Takahata.
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