jeudi 12 avril 2018

L'histoire secrète de Hayao Miyazazki avant la fondation du studio Ghibli (fin)



 Plus tard, Hayao Miyazaki se souvient de cette période difficile en ces termes : « Je me disais toujours ‘’Qu’on me laisse réaliser un film ! Je veux vraiment en faire un !’', mais personne ne me le demandait, de plus tous les projets que je proposais étaient refusés. Ça a toujours été comme ça pendant trois ans. Je le vivais vraiment mal ».

 Isao Takahata était le meilleur ami de Hayao Miyazaki, avec qui il a créé de nombreuses animations. Pendant la création de « Nausicaä », Miyazaki a eu l’idée de demander à Takahata d’en être le producteur. Toshio Suzuki a rendu visite à Takahata pour lui parler de ce projet.

 Toutefois, Takahata a refusé sous prétexte qu’il n’était pas fait pour être producteur. Suzuki a répété son offre à plusieurs reprises pendant un mois, mais Takahata n’a jamais dit oui. Finalement, il s'est résigné. Il a dit à Miyazaki : « On n’aura qu’à demander à quelqu’un d’autre ».

 Miyazaki restait silencieux. Au bout d’un moment, il lui a dit : « Suzuki, allons prendre un verre ». À peine entrés dans un bar, Miyazaki s’est mis à boire du saké, une coupe après l'autre, à la grande surprise de Suzuki. Il ne l’avait jamais vu dans cet état.
En fin de compte, complètement ivre, Miyazaki s’est mis à pleurer. « J’ai sacrifié toute ma jeunesse à Isao Takahata. Mais lui, il ne fait rien pour moi……! ».Sans voix, Suzuki ne pouvait qu’écouter.

 Le soir même, dès qu’ils sont sortis du bar, Suzuki est allé directement chez Takahata. Il lui a demandé de nouveau : « Monsieur Takahata, acceptez d’être producteur, s’il vous plaît ». Comme Takahata allait refuser comme toujours en disant : « Mais moi, je ne suis pas fait pour être….. », Suzuki a perdu son sang froid.
« C’est Miyazaki qui vous le demande ! N’est-ce pas votre ami ? Vous ne faites rien pour lui quand il a besoin d’aide ?! »
 Intimidé par la violence de Suzuki, Takaha a enfin dit : «……D’accord. J’accepte ». Ainsi, la réalisation de « Nausicaa » a commencé en avril 1983. Plus tard, Suzuki dit dans une interview : « C’est la seule fois de ma vie où j’ai élevé la voix en m'adressant à Monsieur Takahata. J’imagine qu’il n’était pas habitué à ce qu’on lui fasse des reproches. En tout cas, il a accepté d’être producteur de ''Nausicaä'' à cause de cet incident. »


 Toutefois, il restait encore un tas de problèmes.
 Le dérèglement des dessins, par exemple. L’animation est le fruit d’un travail collectif, si bien qu’il est indispensable d’unifier le style des dessins. Normalement, ce travail ne prend pas beaucoup de temps quand on travaille avec des collègues que l’on connait bien. D’ailleurs, logiquement parlant, s’il y a moins de monde, il est encore plus facile d’unifier le style des dessins.

 L'équipe de la production était composée des animateurs de ‘’Topcraft’’, de ‘’OH ! Production’’ et d’animateurs libres. Sur le générique, les intervallistes sont au nombre de 19, mais on dit qu’il y en avait plus de 30 en réalité. D’ailleurs, la plupart d’entre eux travaillaient pour la première fois avec Miyazaki. Ils n’étaient pas habitués à la mise en page et au système de vérification des dessins de ce cinéaste. Par conséquent, la réalisation du film a pris un retard considérable. Miyazaki a essayé de régler ce problème en travaillant du matin jusque tard dans la nuit. C’est la raison pour laquelle les dessins des personnages sont moins stables dans « Nausicaä » que dans ses œuvres postérieures. De plus, les dessins représentant des foules sont immobiles, ce qui est impensable dans ses autres films.

 À ce moment-là, un jeune homme est venu d’Osaka pour un entretien d’embauche avec Topcraft. C’était Hideaki Anno, celui qui deviendra le réalisateur de « Neon Genesis Evangelion » plus tard. Miyazaki avait besoin d’animateurs talentueux, de plus, à ce moment-là, il n’y avait personne pour dessiner les dieux-guerriers géants parce que c’était trop difficile. Le jeune Anno a tout de suite été embauché.

 Anno était très fort pour dessiner les machines et les explosions. Cependant, il avait du mal à dessiner les personnages. Au début, Miyazaki les lui confiait mais à un moment donné, il a perdu patience car Anno n’y parvenait pas. « Ça suffit ! Je m'occupe de tout le reste ! », a crié le cinéaste. Finalement, Anno s’est occupé des dessins des machines, des explosions, des dieux-guerriers géants, et Miyazaki a dessiné les personnages.

 Lorsque la production de « Nausicaä » approchait de la fin, un autre problème a surgi. La bande dessinée de « Nausicaä » était inachevée, de sorte que Miyazaki lui-même ne savait pas comment elle se terminait.

 À cause d’un emploi du temps trop chargé, la production du film avait commencé sans que la fin ait été décidée.
 Miyazaki avait provisoirement dessiné un storyboard dans lequel Nausicaa se tenait devant les Omus qui se jetaient sur elle, en y ajoutant le mot "Fin". Toshio Suzuki et Isao Takahata n’étaient pas trop enthousiastes. Ils ont imaginé deux ou trois fins possibles. Selon le plan A, les Omus se jetaient sur Nausicaä et elle mourait. Selon le plan B, les Omus se jetaient sur Nausicaä, mais elle ressuscitait.
« Suzuki, lequel préférez-vous ?
- Je préfère qu’elle ressuscite.
- Alors on va proposer le plan B à Miyazaki »

 Ils le lui ont proposé. Contrairement à ce à quoi ils s’attendaient, Miyazaki l’a accepté tout de suite. Suzuki s’est demandé in petto : « Est-ce bon de décider la fin si facilement ? Alors que c’est important… ». En tous cas, c’est ainsi que la fin de « Nausicaä », ce que Miyazaki regrettera plus tard, a été décidée.

 La production était toujours en retard. Miyazaki perdait patience. En décembre, tous les membres ont travaillé sans aucun congé. Ils ont travaillé même le 31 décembre. Ils n’ont eu congé que le premier janvier. Miyazaki lui-même a fait de nombreux dessins et des plans de mise en page tous les jours, de 9 heures jusqu’à 3 heures du matin.

 Miyazaki avait aussi ses limites. « On n'aura pas fini pour la sortie du film ! », a-t-il pensé. Il a demandé à Suzuki et à Takahata de trouver une solution. Le respect des délais était la responsabilité du producteur. Miyazaki espérait de tout cœur que Takahata lui proposerait une solution. Mais son attente a été déçue. Takahata a conclu, à la surprise générale : « On n’y peut rien ».
 Miyazaki, Suzuki, les animateurs, tout le monde a été étonné de ce propos. En fait, Takahata était ainsi. Plus tard, quand il a réalisé « Le Tombeau des lucioles » , il a donné la priorité à la qualité de l’œuvre, et la sortie du film a été remise. C’était donc ce qu’il voulait dire par « Je ne suis pas fait pour être producteur ».

 Mais, à l’opposé, Miyazaki essayait, dans la mesure du possible, de respecter les délais.
 Il a continué à travailler sans dormir. Il a supprimé des scènes compliquées à dessiner y compris « la bataille des dieux-guerriers géants et des Omus » qui figurait sur son storyboard.

 La production des dessins s’est enfin terminée vers la mi-février. Cependant, il fallait ensuite les colorer. Non seulement les coloristes, mais aussi les intervallistes et les animateurs ont participé à la colorisation en travaillant 24 heures par jour. La femme qui s’occupait de la finition n’a pas pu rentrer chez elle pendant trois jours. Elle s’est concentrée sur son travail sans même se changer.

 Finalement, même l’épouse de Takahata et des rédacteurs du magazine ‘’Animage’’ ont été appelés en renfort. Normalement, il faut au moins trois mois pour la sonorisation, mais ils ont dû la finir en une semaine. Grâce à ces efforts incroyables, le film a été achevé et il est sorti à la date prévue, le 11 mars 1984.

 « Nausicaä de la vallée du vent » qui a été créé ainsi a eu énormément de succès. Mais Miyazaki ne semblait pas satisfait du résultat. Il a donné à ce film ‘’65 (sur 100)’’. Il dit : « J’ai ignoré toutes les étapes ordinaires de la réalisation d’un film, mais je n’ai pas pu saisir le thème. Même si on m’avait accordé six mois supplémentaires, je n’aurais pas atteint 68/100. »

 À la suite du succès de « Nausicaa », la maison d’édition Tokuma-Shoten a décidé d’investir dans l’animation. L’année suivante, le 15 juin 1985, le jour où la réalisation du « Château dans le ciel » a commencé, Topcraft a mis fin à ses seize ans d’histoire pour devenir « Le Studio Ghibli », sous la direction de Hayao Miyazaki et d’Isao Takahata.

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