lundi 30 avril 2018

Le rétrospectif


 C’est le dernier jour des vacances de printemps. Elles n’ont duré qu’une semaine. Ça m’a semblé à la fois long et court. Pendant ces courtes vacances, je suis tombé malade, j’ai regardé plusieurs films, j’ai traduit une nouvelle entière, j’ai écrit une histoire (mais je ne l’ai pas finie). En dehors de cela, j’ai joué avec des chats et ma peluche. J’ai aussi commencé à lire « Les Démons » de Dostoïevski comme j’avais écrit, mais j’en suis encore à la moitié (c’est un long roman qui compte à peu près huit cents pages).

 Je tiens un journal depuis que je suis arrivé en France. L’objectif de mon journal était d’améliorer mon niveau de français et d’enregistrer mes journées en France. Je n’avais pas l’habitude de tenir un journal au Japon, car la vie dans ce pays n’avait rien d’intéressant pour moi. Mais au début, je ne publiais mon journal nulle part et j’étais son seul lecteur. De plus, j’écrivais uniquement quand j’en avais envie. Je ne savais pas comment enchaîner les phrases. J’ai donc commencé par imiter le style de mes quelques écrivains français préférés. Mais heureusement je manquais trop de capacité linguistique et littéraire pour les imiter. Mon écriture maladroite ne ressemblait pas à la leur. Le seul point commun, c’était qu’il y avait des paragraphes et que chaque phrase était marquée par un point.

 Aujourd’hui, j’ai relu un peu mon journal, mais je n’ai pas l’impression d’avoir écrit.
 Par exemple, il est écrit que l’auteur du journal a dispersé des kit-kat dans le couloir en janvier 2017. Je cite :
« Dans le couloir, j'étais heureux d'avoir un paquet de Kit-Kat. J'aime le chocolat, j'aime les Kit-Kat. Contrairement à la guerre, le chocolat rend les gens heureux. Mais en même temps, je me doute qu'il y a des gens qui préfèrent la guerre aux chocolats. Je l'ai ouvert pour en ingurgiter mais à cause de l'élan, j'ai répandu le contenu sur le plancher. Mon bonheur s'est dissipé en un clin d’œil. Je suis redevenu très vite malheureux à cause de ces putains de Kit-Kat. J'ai dû les ramasser en subissant les regards hostiles des gens. J'ai me suis senti comme si j'étais une prostituée qui ramassait de l'argent que son client lui avait jeté sur le sol. Cependant une fille à lunettes s'est approchée de moi et elle m'a aidé à les ramasser. J'ai essayé de lui dire ''merci beaucoup'' mais comme j'avais du snickers visqueux dans ma bouche, je n'arrivais pas à prononcer correctement. J'ai maudit la viscosité du snickers (…) »
 Un autre jour, l’auteur semble avoir rencontré sa partenaire d’exposé.
« Après ce cours, j'ai fixé un rendez-vous avec ma partenaire de l'exposé. Elle est italienne. Mais on ne le devine pas facilement parce que lorsqu'elle parle français son accent est presque imperceptible. C'est impressionnant car tous les autres Italiens que j'ai rencontrés avaient un accent italien qui chantait, sautillait, boulait en français. L'Italienne est dix centimètres plus grande que moi. Elle est souriante et gaie. Je suis morose et dépressif. Elle doit avoir beaucoup d'amis, le weekend elle doit aller voir son copain. Je n'ai aucun ami, le weekend je ne veux voir personne. Sa gaieté m'a rendu encore plus dépressif. J'étais désolé pour elle que je sois son partenaire. J'étais aussi désolé de ne pas connaître un seul mot chinois. »
 À vrai dire, je me suis désinscrit de ce cours par la suite. Je n’ai donc plus revu cette fille italienne dix centimètres de plus grande que moi. Mais je me souviens encore que le fond de l’écran de son ordinateur était ‘’Les Amants’’ de René Magritte.

 Le 17 avril l’année dernière, il est écrit que j’ai trouvé un doigt dans la cour de l’université, mais évidemment il s’agit d’un « faux journal ». Honnêtement, je ne me souviens plus pourquoi j’ai écrit cette histoire. J'étais peut-être un peu fou. 
 « Dans la cour de l'université, j'ai trouvé un doigt. J'ai d'abord cru qu'il s'agissait d'un ver blanc. Il avait l'air souple et immobile. Je m'en suis approché et je me suis accroupi pour le contempler de près. Ce ver blanc était légèrement courbé. Il n'avait ni œil ni bouche. Je l'ai pris dans ma main et c'est à ce moment-là que je me suis rendu compte que ce n'en était pas un. Ce n'était pas un ver. C'était un doigt. (…) J'ai fait une affiche et j'en ai collé des copies partout dans l'université. Le texte de l'affiche était comme suit ; 
RECHERCHE PROPRIÉTAIRE D'UN DOIGT 
taille ; 7 centimètres 
poids ; 1,5 grammes 
couleur ; blanc 
lieu de la découverte ; le buisson »
 Cela m’étonne que l’auteur de ce journal ait pu réussir son année. Je trouve ce texte assez monotone et saccadé. Comment a-t-il réussi sa dissertation ? Mais je me sens toujours frustré de ne pas pouvoir écrire comme je le voudrais. Quelques années plus tard, lorsque je relirai l'article que je suis en train de rédiger, j’aurai peut-être la même impression qu'aujourd'hui. 

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