dimanche 1 avril 2018

''Une soirée au restaurant'' Haruki Murakami


 Un soir spécial, je suis allé dîner dans un restaurant de luxe qui se trouvait à Aoyama avec une femme spéciale. En bref, mon épouse et moi avons fêté notre anniversaire de mariage. C’est tout. C’est ennuyeux. Ce n’est pas ennuyeux. Bon.

 C’était un restaurant tranquille. Chaque table était raisonnablement éloignée des autres, il y avait une épaisse carte des vins et un vrai sommelier, une nappe toute blanche et une bougie. Il n’y avait pas de musique. Un calme confortable et notre conversation remplaçaient la musique d’ambiance. On servait une cuisine du nord de l’Italie, des escalopes panées raffinées pour nous. Maintenant j’espère que vous avez bien saisi la situation. En bref, c’est le genre de restaurant chic plutôt cher où ne peut pas aller fréquemment.

 Lorsque nous nous sommes installés à table, il y avait un jeune couple non loin de nous. C’était encore tôt ; ce couple et nous étions les seuls clients. L’homme frisait sans doute la trentaine ; la femme avait une vingtaine d'années. Ils étaient tous les deux beaux et habillés de manière sophistiquée. C’était un couple élégant.

 Nous avons commandé un vin et choisi le menu. En attendant que l’on nous serve, la conversation de nos voisins me parvenait naturellement, et j’ai compris qu’ils étaient sur le point d’entrer dans une relation intime. Le contenu de leur conversation était ordinaire, mais le ton de leur voix permettait de comprendre ce qui se passait. Je suis quand même écrivain, si bien que je peux plus ou moins lire ce qui se passe dans la tête des hommes et des femmes. L’homme se demandait s’il allait inviter la femme et elle était prête à y répondre. Si tout allait bien, il se pouvait qu’ils passent la nuit ensemble. Une brume blanche de phéromone semblait s’élever au milieu de leur table. Sur la nôtre, il n’y avait pas beaucoup de phéromone car cela faisait déjà trente ans que nous étions mariés. Mais le couple qui avait l’air heureux n’était pas mal à regarder.

 Cependant cette belle ambiance lourde de promesse s’est littéralement pulvérisée lorsqu’on nous a servi le primo piatto. Cet homme a dégluti ses pâtes avec un bruit terrible. C’était vraiment un bruit imposant, comme celui de la porte des enfers qui s'ouvre et se referme au changement de saison. Ce bruit m’a glacé, ainsi que mon épouse, les serveurs et le sommelier. Évidemment, la jeune femme en face de l’homme était également glacée. Tout le monde a retenu son souffle et perdu la parole. Seul cet homme continuait à avaler ses pâtes à grand bruit, l’air très heureux.

 Quel destin attendait ce couple ? Je me le demande encore de temps en temps.

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