mercredi 25 avril 2018

Stupeur et tremblement 2


 J’aime beaucoup les filles aux cheveux longs et lisses ; par contre, je déteste avoir les cheveux longs. Les cheveux qui tombaient sur ma nuque m’irritaient et quand j’avais envie de lire un livre, mes mèches m’en empêchaient. De plus, c’est bientôt l’été et il fera chaud. J’ai donc décidé d’aller chez le coiffeur aujourd’hui.

 Vers onze heures, j’ai appelé le salon de coiffure où je vais toujours. La voix d’une femme entre deux âges m’a dit qu’elle était disponible à midi et demi. J’ai avalé le café que j’étais en train de boire et je me suis tout de suite préparé.

 Je suis arrivé chez le coiffeur, mais il n’y avait personne. En fait, il y avait quelqu’un, car j’entendais une conversation au fond. Je pouvais crier bonjour, mais je me suis borné à leur envoyer de la télépathie.

 La télépathie a marché. Quelques instants plus tard, le coiffeur qui s’occupe toujours de mes cheveux est sorti du fond. Il m’a salué et m’a dit que c’était lui avec qui j’avais parlé au téléphone tout à l’heure. J’ai pensé qu’il plaisantait.
« Mais non, c’était une dame ! ai-je dit.
- En fait, on me dit souvent que j’ai une voix féminine au téléphone », a-t-il dit.
Très étrange.

 J’ai remarqué que chez le coiffeur en France, quand on fait du shampooing, le client doit lever la tête. C’était la même chose chez un autre coiffeur que j’avais envie d’appeler plutôt décoiffeur. Au Japon, il y a deux types de salons de coiffure, celui pour hommes et celui pour femmes. Cette différence devient de plus en plus ambiguë depuis quelque temps, et les salons de coiffure deviennent progressivement unisexes, mais normalement, dans ceux pour hommes, le client baisse la tête pour le shampooing. Personnellement, je préfère baisser la tête car je suis sûr que le visage des êtres humains pendant le shampooing ressemble à celui d’un idiot. Si je ne veux pas avoir l’air idiot, je dois prendre une expression douloureuse, comme si je réfléchissais à une question métaphysique que personne au monde n’avait affrontée. Et alors le coiffeur me demande : « Ça va ? L’eau est trop chaude ? ».

« Comme d’habitude ? m’a demandé mon coiffeur.
Comme d’habitude », lui ai-je dit de la manière la plus hard-boiled possible.

 Je pense que c’est un bon coiffeur, puisqu'il sait bien ce que je souhaite et aussi qu’il n’essaie pas de bavarder avec moi pendant la coupe. Il est vrai que le nombre de salons de coiffures où je suis allé en France est limité, mais au Japon, parfois, ou très souvent, il y a des coiffeurs qui veulent causer avec leurs clients. Dans cette nation où le service clientèle est excédentaire, le bavardage inutile est censé plaire aux clients alors qu’en réalité, le plus souvent ce n’est pas le cas. Le supermarché japonais en est aussi un exemple : c’est-à-dire, le service superfétatoire censé être dans l’intérêt du client a le résultat inverse.

 Imaginez : le weekend, vous faites des courses au supermarché près de chez vous et à la caisse, une vendeuse vous dira :
« Bienvenue à notre supermarché. Voudrez-vous un sac plastique ? Des  baguettes ? Une cuiller ? Une fourchette ? Une paille ? Vous achetez une bière, pouvez-vous prouver que vous êtes majeur ? …Merci, c’est bon. Avez-vous la carte de notre magasin ? C’est gratuit et vous aurez beaucoup d’avantages. En ce moment, nous faisons telle ou telle promotion, si vous achetez tel ou tel article, vous aurez tel ou tel avantage. Vous avez fait un achat de 5,000 yens, vous pouvez tirer au sort. Félicitations ! vous avez gagné une grande figurine spéciale d’un animé quelconque. Voudrez-vous un sac plastique ? Une cuiller ? Une fourchette ? Une paille ? Je m’excuse d’avoir salué deux degrés trop bas. Je recommence. Cette fois, c’est une erreur de trois degrés. Je recommence jusqu’à ce que je puisse m’incliner à quatre-vingt dix degrés, sinon c’est impoli pour les clients… ». 
 Et vous ne sortirez plus jamais du supermarché.

 J’ai fait une digression.
 En tous cas, c’est ainsi que mon coiffeur m’a coupé les cheveux, comme d’habitude.
 J’ai pris une douche chez moi pour faire tomber les cheveux. Ils étaient secs en cinq minutes. Maintenant, je suis prêt pour l’arrivée de l’été.

 Je me suis rendu compte que chaque fois que j’écris quelque chose sur le Japon, je ne peux m’empêcher de ridiculiser ce pays. J’écrirais peut-être ‘’Stupeur et tremblement 2’’ si Amélie Nothomb m'y autorise. Ce sera une histoire dans laquelle Amélie-san aux yeux bleus revient au Japon pour se venger de ses anciens collègues de la compagnie Yumimoto en les massacrant un par un. Monsieur Omochi sera étouffé avec douze mochis (gâteaux de riz), Fubuki (qui veut dire littéralement ‘’tempête de neige’’) périra gelée au sommet du mont Fuji. Pour le sort de Monsieur Shiranaï (qui veut dire littéralement ‘’je ne sais pas’’), je ne sais pas.

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