Dans
ma résidence, j’ai croisé un garçon japonais que je connaissais vaguement. Il
m’a aussitôt reconnu et m’a dit : « Ça va ? ». Je lui ai demandé s'il allait
bien. Nous avons parlé en français pendant un court moment. C’était en effet
étrange car nous aurions pu parler en japonais. Mais j’ai hésité à parler dans
cette langue, et c’était sans doute la même chose pour lui. Je me suis demandé
pourquoi, et je suis arrivé à la conclusion suivante.
En
japonais, il y a plusieurs niveaux de respect et la façon de parler varie selon
les interlocuteurs. On ne parle pas de même façon à un ami et à un professeur
ou à un inconnu. J’imagine que vous avez maintenant envie de me dire : « Mais
c’est la même chose en français ! ». En effet, en français il y a le
vouvoiement et le tutoiement ainsi que plusieurs niveaux de politesse. On ne
parle pas de même façon au Président et à une prostituée, à un membre de
l'Académie française et à un bébé. Mais c’est plus nuancé et bien plus
compliqué en japonais. Par exemple, j’ai remarqué à l’université que les jeunes
Français se tutoient facilement même s’ils ne connaissent pas. Au Japon, même
si l’âge est proche, si on ne connait pas suffisamment quelqu’un, on peut
difficilement le tutoyer. Alors, si le garçon et moi utilisions le japonais,
nous devions parler forcément de manière polie, ce qui est quand même
embarrassant. Par conséquent, nous avons inconsciemment choisi de parler en
français car c’est plus pratique. Je pense que cette particularité linguistique
influence fortement la psychologie des Japonais et qu’elle est à l’origine du stéréotype
selon lequel ils sont timides. Mais selon moi, la timidité est plutôt une
caractéristique individuelle. Je doute qu'il y ait un ''peuple'' timide. En
réalité, les Japonais ne sont pas timides, mais ils essaient de mesurer la distance
à respecter avec l’interlocuteur.
Il
y a beaucoup de discussions ridicules sur les expressions de politesse au
Japon. Par exemple, il y a deux expressions japonaises qui n’ont pas d’équivalent
en français et qui veulent dire la même chose : « Gokurô-sama desu » et «
Otsukare-sama desu ». C’est une sorte de salutation qu’on adresse à ses
collègues ou à ses supérieurs quand on les quitte en fin de journée. Les deux
signifient littéralement « Vous avez bien travaillé », ou quelque chose de ce
genre. Certains disent que la première s’emploie vis-à-vis d’un subalterne, et
que la deuxième au contraire, s’adresse à un supérieur. Mais d’autres disent
que c’est l’inverse, que la première s’emploie des subalternes aux supérieurs,
la deuxième est le contraire. Il y a aussi des gens qui disent que ces deux
emplois sont équivalents. Si vous avez lu « Stupeur et Tremblement » d’Amélie
Nothomb, vous aurez bien compris l’absurdité et le ridicule de la société
japonaise. Ce qui est raconté dans ce roman est plus ou moins exagéré, mais je
dois souligner que cette œuvre est basée sur l’expérience authentique de
l’auteur. Voilà, maintenant vous voyez pourquoi la productivité du Japon est
beaucoup plus basse que celle de la France, tandis que les habitants travaillent
comme des ‘’fourmis’’.
On
appelle la dépression du Japon qui dure depuis la fin des années quatre-vingt-dix,
les ''vingt ans perdus''. Ces vingt ans perdus deviendront par la suite trente
ans perdus, quarante ans perdus, et au final, ce qui sera perdu, c'est la
nation elle-même.
J’ai
beaucoup critiqué le Japon (comme d’habitude), alors que je n’en avais pas
l’intention quand je me suis mis à écrire cet article. Bon. En tous cas, je
vous remercie de l’avoir lu jusqu'à la fin. Otsukare-sama desu.
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