mercredi 4 avril 2018

Torpeur et vomissement


 Dans ma résidence, j’ai croisé un garçon japonais que je connaissais vaguement. Il m’a aussitôt reconnu et m’a dit : « Ça va ? ». Je lui ai demandé s'il allait bien. Nous avons parlé en français pendant un court moment. C’était en effet étrange car nous aurions pu parler en japonais. Mais j’ai hésité à parler dans cette langue, et c’était sans doute la même chose pour lui. Je me suis demandé pourquoi, et je suis arrivé à la conclusion suivante.

 En japonais, il y a plusieurs niveaux de respect et la façon de parler varie selon les interlocuteurs. On ne parle pas de même façon à un ami et à un professeur ou à un inconnu. J’imagine que vous avez maintenant envie de me dire : « Mais c’est la même chose en français ! ». En effet, en français il y a le vouvoiement et le tutoiement ainsi que plusieurs niveaux de politesse. On ne parle pas de même façon au Président et à une prostituée, à un membre de l'Académie française et à un bébé. Mais c’est plus nuancé et bien plus compliqué en japonais. Par exemple, j’ai remarqué à l’université que les jeunes Français se tutoient facilement même s’ils ne connaissent pas. Au Japon, même si l’âge est proche, si on ne connait pas suffisamment quelqu’un, on peut difficilement le tutoyer. Alors, si le garçon et moi utilisions le japonais, nous devions parler forcément de manière polie, ce qui est quand même embarrassant. Par conséquent, nous avons inconsciemment choisi de parler en français car c’est plus pratique. Je pense que cette particularité linguistique influence fortement la psychologie des Japonais et qu’elle est à l’origine du stéréotype selon lequel ils sont timides. Mais selon moi, la timidité est plutôt une caractéristique individuelle. Je doute qu'il y ait un ''peuple'' timide. En réalité, les Japonais ne sont pas timides, mais ils essaient de mesurer la distance à respecter avec l’interlocuteur.

 Il y a beaucoup de discussions ridicules sur les expressions de politesse au Japon. Par exemple, il y a deux expressions japonaises qui n’ont pas d’équivalent en français et qui veulent dire la même chose : « Gokurô-sama desu » et « Otsukare-sama desu ». C’est une sorte de salutation qu’on adresse à ses collègues ou à ses supérieurs quand on les quitte en fin de journée. Les deux signifient littéralement « Vous avez bien travaillé », ou quelque chose de ce genre. Certains disent que la première s’emploie vis-à-vis d’un subalterne, et que la deuxième au contraire, s’adresse à un supérieur. Mais d’autres disent que c’est l’inverse, que la première s’emploie des subalternes aux supérieurs, la deuxième est le contraire. Il y a aussi des gens qui disent que ces deux emplois sont équivalents. Si vous avez lu « Stupeur et Tremblement » d’Amélie Nothomb, vous aurez bien compris l’absurdité et le ridicule de la société japonaise. Ce qui est raconté dans ce roman est plus ou moins exagéré, mais je dois souligner que cette œuvre est basée sur l’expérience authentique de l’auteur. Voilà, maintenant vous voyez pourquoi la productivité du Japon est beaucoup plus basse que celle de la France, tandis que les habitants travaillent comme des ‘’fourmis’’.

 On appelle la dépression du Japon qui dure depuis la fin des années quatre-vingt-dix, les ''vingt ans perdus''. Ces vingt ans perdus deviendront par la suite trente ans perdus, quarante ans perdus, et au final, ce qui sera perdu, c'est la nation elle-même.

 J’ai beaucoup critiqué le Japon (comme d’habitude), alors que je n’en avais pas l’intention quand je me suis mis à écrire cet article. Bon. En tous cas, je vous remercie de l’avoir lu jusqu'à la fin. Otsukare-sama desu.

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