J’ai fait des courses aujourd’hui car
il n’y avait rien dans le frigo. Plus exactement, il y avait de la moutarde et
un poireau. Mais qui peut se remplir le ventre d’un poireau à la moutarde ?
J’avais envie de manger quelque chose
de rafraichissant. J’ai acheté les ingrédients pour le rouleau de printemps
vietnamien. De retour chez moi, j’ai mouillé une galette de riz. Je l’ai mise
sur un essuie-tout pour absorber le trop d’eau. Quelques instants plus tard,
j’ai essayé de l'en détacher, mais elle était parfaitement collée dessus comme
une tumeur maligne qui adhère obstinément à un organe. Mon premier essai de rouleau
printemps vietnamien a ainsi échoué. J’ai sorti une autre galette de riz et je
l’ai mouillée. Cette fois, je n’ai pas fait la bêtise de l’essuyer. Je l’ai
laissée telle quelle sur une planche à découper. Ensuite, j’ai mis de la salade
et des crevettes et j’ai roulé la galette. Maintenant ça ressemblait
parfaitement à un rouleau de printemps vietnamien. Toutefois je ne savais pas
quelle sauce utiliser. J’ai enfin choisi une sauce teriyaki, la première qui
soit entrée dans mon champ de vision. Ça avait l’air bon. Je l’ai goûté.
Aussitôt j’ai constaté que le goût de la sauce était trop fort et effaçait quasiment
celui de la salade et des crevettes. Mais je n’ai eu aucune difficulté à
l’avaler. Ce n’était rien par rapport à mes autres essais culinaires. Une fois,
j’ai ajouté de la citrouille dans un bœuf bourguignon sans aucune raison. Ça avait le goût de terre. J'ai réalisé que j’avais
automatiquement ouvert la bouche, et que je crachais.
Je pense que je rentrerai au Japon en
juillet et y resterais un mois. Quand on est un fan d’animé français, cette
idée est séduisante, mais quand on est japonais, rentrer au Japon, ce n’est que
déprimant. Parfois il y a des gens qui me demandent si le Japon ne me manque
pas. Je réponds : C'est quoi le Japon ? Dans quelle partie d'Uranus se trouve le Japon ? Une
fois, on m’a demandé si je ne voulais pas revoir mes amis japonais. J’ai quelques
amis français, mais je n’ai aucun ami japonais. Tant mieux pour moi. Comme je
ne m’intéresse pas tellement à la gastronomie, la cuisine japonaise ne me rend
pas nostalgique. Résultat : j'ai pris plus de dix kilos depuis mon arrivée en
France. De surcroît, j’ai toujours l’impression que la société japonaise est
comme une armée. De nos jours, cette nation a l’air pacifiste, mais je
maintiens qu’il ne faudrait pas longtemps pour qu’elle redevienne militariste. Le
peuple japonais se laisse porter à droite ou à gauche, selon l'air du temps. Mais
moi, je suis quelqu’un qui tourne à gauche quand on me demande de tourner à
droite, et je tourne à droite quand on m’ordonne de tourner à gauche.
Mais il y a seulement deux choses qui
me manquent. D’abord, le Gunpla. Le Gunpla est l’abréviation de ‘’Gundam no
plastic model’’, soit ‘’la maquette plastique de Gundam’’. Je suis maniaque des
séries Gundam et ma collection de maquettes plastiques de Gundam est au Japon.
Mais je n’en parle pas pour l’instant, car je sais que personne ne s’y
intéresse en France.
La deuxième chose, c’est le bain. Je
n’ai pris que des douches depuis plus d’un an. En hiver, j’aimerais rester
longtemps dans l’eau chaude. En été aussi, j’aimerais rester longtemps dans l’eau
chaude. Il semble ce soit une envie que les Français ne comprennent pas, bien
que leurs lointains ancêtres, les Romains adoraient les bains publics. Quand je
suis arrivé en France, j’ai passé une nuit dans un hôtel à étoiles à Paris,
mais il n’y avait qu’une salle de douche. Le lendemain, j’ai pris le TGV pour
venir à Strasbourg, en rêvant de prendre un bain chaud. J’ai passé une nuit
dans un hôtel, mais là encore, il n'y avait pas de baignoire. Je ne sais
pas si c’est vrai, mais j’ai entendu parler que les Français ont honte d’être
tout nus devant autrui et c'est pour ça qu’ils n’aiment pas trop le bain
public. C’est étrange, parce que j’ai l’impression que les hommes français
veulent tout de suite se déshabiller devant les femmes…
Alors pourquoi rentrer cet été ? Parce
que mes parents me le demandent. En effet, il faut discuter avec eux de mon
orientation quand j’aurai obtenu mon diplôme. D'ailleurs, la seule chose que je
projette de faire cet été, c’est d’écrire une longue histoire en français, et
on peut le faire partout dans le monde si on a un ordinateur, ou sinon, un
cahier et un stylo. Dernièrement, juste avant de venir en France, mon
professeur français m’avait prêté un livre de Michel Houellebecq "La Carte
et le territoire" (à cette époque-là, je m’intéressais beaucoup à Michel
Houellebecq) pour que je puisse le lire dans l’avion. Il venait d’avoir une
fille à ce moment-là. Je sens comme si c’était il y a déjà cinquante ans. J’aimerais
lui rendre ce roman, s'il se souvient toujours de moi.
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