Avait-il plu hier ?
L'herbe était légèrement mouillée, j'ai senti le parfum de
la pluie.
Au lieu de prendre le tram, j'ai préféré marcher.
Depuis longtemps je ne répétais que faire des allers-retours
entre ma résidence et la fac.
C'était agréable de sentir l'air et de découvrir un nouveau
paysage en sentant la gravité de la terre.
En longeant le rail, j'ai croisé un couple asiatique
(coréen, je dirais), puis un autre couple qui faisait du jogging.
Je suis étonné parce que le couple coréen était très petit
mais que le couple français était très grand comme dans un tableau dont la
perspective serait ratée.
J'ai marché jusqu'au lycée Kléber et je me suis assis sur un banc en attendant le tram.
Une petite fille tenant une peluche en forme de panda, a
soudainement pris un mégot qui était tombé par terre et elle l'a mis contre la
bouche du panda.
La mère faisait la grimace en regardant la scène.
Je ne sais pas si elle lui a dit quelque chose à ce
moment-là car j'écoutais six petits préludes de Bach.
Au moins, le panda et moi, nous nous taisions.
J'ai secrètement compati avec ce pauvre panda.
Dans le tram, deux vieilles femmes chinoises se sont assises devant moi, et j'ai commencé à regretter d'être sorti parce qu'elles bavardaient trop fort et elles sentaient une odeur étrange qui ressemblait à de l'essence.
L'une tenait à la main un pantalon noir et l'autre a fait une remarque à ce propos, et elles ont éclaté de rire.
Je ne comprenais pas ce que ce pantalon avait de drôle.
Glenn Gould continuait son interprétation de Bach mais ma
concentration était dérangée.
Le pire, c'est que l'une a touché ma jambe, j'ai donc enlevé
mes écouteurs.
Elle m'a demandé quelque chose en français mais je ne
comprenais pas vraiment.
L'autre a dit "conseil de l'Europe" et j'ai
compris qu'elles voulaient aller au conseil de l'Europe.
Je leur ai dit qu'c'était à l'opposé et qu'il fallait
changer du tram mais apparemment elles n'ont pas compris car elles ne sont pas
descendues.
Je suis descendu à République et je me suis mis à marcher.
En marchant, j'ai écouté l'intégralité de Rubber Soul, de
"Drive my car" jusqu'à "if I needed someone".
Un garçon m'a arrêté et il m'a demandé si je pouvais lui
prêter mon portable.
Honnêtement il avait l'air gentil, ses yeux étaient
innocents, son sourire était symétrique.
Mais j'ai refusé parce que je n'ai confiance en personne.
Au moment où je l'ai vu me dire en gardant son sourire
impeccable "c'est pas grave" et partir, j'ai compris que mon cœur
était vicié d'une manière inéluctable.
John Lennon chantait de moi "he's a real nowhere man.
Sitting in his nowhere land. Making all his nowhere plans for nobody".
J'ai éclaté en sanglots.
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