vendredi 26 mai 2017

''Peu avant une averse véhémente’' Haruki Murakami

Ce n’est pas une invention mais une histoire authentique
À ce moment-là, j’habitais à Kokubunji.
Un jour, j’ai pris le train pour acheter du pain chez Saint-Germain, devant la station Musashi-koganei.
Si j’explique pourquoi j’habitais à Kokubunji, pourquoi j’ai dû prendre le train et me rendre à Musashi-Koganei juste pour acheter du pain (pourtant ces deux stations sont côte à côte), cette histoire sera si longue que je ne pourrai pas tout raconter.
Par exemple, maintenant dans une pièce de ma maison à Boston, je suis en T-shirt de Banana Republic, je bois une grande tasse de café, je suis en train d’écrire ce manuscrit en écoutant ‘’Bob Dylan Greatest Hits Vol.2’’ que j’ai acheté il y a quelques jours chez Tower Record, mais si je devais expliquer depuis le début comment j’en suis arrivé là, porté comme une feuille par un vent capricieux emporte, je pourrais en faire un livre.
Sans exagération, je pourrai réellement en écrire un.
Un chapitre pour Banana Republic, un autre chapitre pour Bob Dylan, et ainsi de suite.
Toutefois, je ne pense pas qu’il y ait quelqu’un qui souhaite lire un tel livre.
C’est la raison pour laquelle je n’expliquerai rien de tout ceci.

D’ailleurs, le nombre de mots de ce manuscrit est limité.
Je vous prie donc de m’imaginer prenant le train, seul pour acheter du pain à Musashi-Koganei.
J’avais une vingtaine d’année, mes cheveux étaient plus longs.
Je portais un stadium jacket (que je garde encore) que j’avais acheté dans un magasin (existe-il encore ?) qui s’appelait Backdrop à Shibuya.
Je n’avais jamais écrit de roman.
J’étais marié, j’avais trois chats.
Je me méfiais de la démocratie parlementaire, je n’avais jamais voté.
J’avais regardé trois fois ‘’Wood Stock’’.
Le train de la ligne chuô était de couleur de brique (ma mémoire est-elle exacte ?), c’était l’automne.
Même si j’étais endetté, même si la victoire des Giants était définitive, l’automne était beau.

Cependant, lorsque je passais un portique de la station Musashi-koganei, je me suis rendu compte que j’avais perdu mon ticket de train.
J’ai fouillé partout mais je ne l’ai pas trouvé.
Comme s’il avait disparu dans une autre dimension.
‘’Comment pourrait-on perdre son ticket entre deux gares seulement ?’’ Ainsi, vous devez être stupéfaits ... ou pas (je perds souvent mes tickets de train).
Mais l’employé de la station Musashi-koganei n’a pas du tout cru que je venais de Kokubunji.
‘’En fait, Monsieur, tous ceux qui ont perdu leur ticket prétendent être montés à la gare précédente. Franchement, j’en ai marre.’’ m’a dit cet employé d’un air vraiment dégoûté comme si quelqu’un lui servait du journal haché pour son dîner.
Toutefois je venais vraiment de Kokubunji.

Vingt ans se sont écoulés depuis cet indicent, j’ai vécu une variété d'expériences déplaisantes.
Je n’ai même pas pu dormir quelques nuits car j’étais trop blessé.
Mais j’ai oublié la plupart de ces choses.
Et j'en oublierais encore bien d'autres.
Car elles ne seront rien par rapport au fait que personne n'ait cru à la perte de mon ticket à la station Musashi-koganei, ce beau matin d’automne.

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