vendredi 10 novembre 2017

Le portable

 ‘’Mon téléphone portable est à l'agonie. Il a eu un problème au port de rechargement. Comme une vieille dame démente qui ne reconnaît pas son fils, mon iphone 5c n'a pas reconnu son chargeur. Si bien que la batterie s'est épuisée peu à peu, elle s'est finalement complètement vidée. L'écran s'est éteint comme s'il disait au revoir à tout le monde. Depuis lors, il n'émet plus aucun bruit, il ne bouge plus. Est-il mort ? On pourrait, en effet, le considérer mort mais je dirais plutôt qu'il est en état de léthargie. Parce que si on répare son chargeur, il ressuscitera comme Jésus Christ. ‘’

 C’est mon journal qui date du 18 Janvier de cette année. 
L’iphone que j’ai acheté après ce portable ne tenait plus sa batterie ces derniers jours. Si bien que j’ai pensé à la faire réparer. En même temps, je me suis souvenu de mon ancien portable, que j’avais oublié dans un tiroir de ma chambre. Je l’ai ouvert. Sous une pile de papier, il dormait paisiblement.

 Je savais qu’il n’était pas compétemment mort que juste sa batterie et son connecteur avaient des problèmes. J’ai donc décidé de faire réparer ces deux iphones en même temps.

 Sur le site d’une entreprise de réparation de portables, j’ai pris rendez-vous à 10h45. Après le cours de ce matin, j’ai tout de suite pris le tram à destination de ‘’Gare centrale’’. Au moment de descendre à Broglie, j’ai vu un homme qui me semblait familier. Il portait un manteau noir et des lunettes. Il avait un sourire doux sur le visage, ses cheveux clairs qui paraissaient souples étaient coupés courts. C’était le professeur du cours du matin, Monsieur Di Meo. Il m’a reconnu aussi et nous avons souhaité à chacun une bonne journée. Il marchait dans la direction opposée à la mienne, vers le poste émetteur de France Bleu Alsace, tandis que je marchais vers l’Église protestante du temple neuf. J’ai regardé son dos quelques instants en me demandant où il allait. 

 J’ai pu trouver facilement l’immeuble dans lequel se trouvait l’entreprise que j’avais contactée. Plusieurs sociétés se partagent un couloir propre et bien éclairé. Cela semblait être plutôt un bureau qu’une entreprise. La porte était fermée. J’ai sonné deux fois, mais personne ne m’a répondu. À ce moment-là, il était 10h et demi. Effectivement, j’étais arrivé un peu trop tôt. J’ai décidé d’attendre devant.

 Le temps s’écoulait, toutefois la situation ne changeait pas. La lampe du bureau paraissait éteinte et aucun bruit ne venait de cette pièce. J’ai commencé à m’inquiéter. Au bout de quelques minutes, une femme d’âge mûr qui distribuait quelque chose comme un magazine à chaque entreprise est passée devant moi. Je lui ai demandé si elle savait s’il y avait quelqu’un dans ce bureau. Elle m’a dit simplement : « Si on ne vous répond pas, c’est qu’il n’est pas là. Il va venir. »

  A 10h45, il n'y avait toujours personne. J’ai attendu encore quinze minutes. Finalement, j’ai appelé le numéro de cette entreprise. Après plusieurs appels, il y a eu un message automatique. Très déçu, j’ai raccroché tout de suite.

 Je lui ai ensuite envoyé un SMS. Cette fois, quelqu’un m’a répondu vite. On me disait que la personne qui devait m’accueillir était malade et qu’un remplaçant arriverait à midi. J’ai pu à titre exceptionnel reprendre rendez-vous pour 13h. J’étais énervé honnêtement, mais j’ai décidé de l’oublier puisque cette personne s’excusait. D’ailleurs, je me suis habitué à attendre, et à être oublié.


 Je suis donc revenu vers 13h. J’ai pressé le bouton de la sonnerie. Cette fois-ci, un jeune homme aux cheveux châtains, avec une moustache et une barbe taillées de la même couleur m’a accueilli. La pièce était propre comme celle d’un hôtel étoilé. Il n’y avait pas un grain de poussière sur le sol. À gauche se trouvait un divan blanc très confortable. Devant, il y avait une table sur laquelle étaient mis des magazines du genre que je ne lis jamais, et un i-pad. 

 Je lui ai expliqué l’état de mes iphones. Il les a emportés dans la pièce voisine, et les a examinés. Il m’a dit qu’il pourrait les réparer en maximum quinze minutes. J’ai attendu en lisant un livre de poche que j’avais mis dans une poche de mon manteau.

 Il m’était impossible de regarder l’intérieur de la pièce voisine. Cependant, la porte était ouverte. Divers bruits m'en parvenaient, comme si on tapait sur quelque chose, ou qu'on retirait des composants. J’aurais aimé assister au démontage et à la réparation des iphones, mais il souhaitait sans doute travailler tout seul, alors je l'ai laissé tranquille. 

 En attendant, j’ai eu une sensation étrange. Pour la première fois, un étranger touchait mes portables remplis de mes messages, de mes photos, de la musique que j'aime. Il m'avait demandé les codes de déverrouillages. Quelqu'un d'inconnu, quelqu'un que je venais de rencontrer entrait dans mon monde intime. C'est comme si un portable représentait la vie et la personnalité elles-mêmes de son propriétaire, me suis-je dit. Les bruits qu’il faisait dans l'autre pièce me mettaient mal à l'aise.

 Plusieurs minutes plus tard, il a rapporté les portables réparés et m’a dit qu’il a changé leurs batteries, et aussi le connecteur pour l’un d’entre eux. J’ai déverrouillé l’iphone que j’avais oublié depuis longtemps. L’écran de verrouillage était la couverture de "Le chat noir" de Lautrec. Je me suis souvenu que je lisais des romans de Patrick Modiano à cette époque-là. Dans la mémoire, j'ai trouvé des photos que je croyais ne jamais revoir. Lorsque j’ai revu quelques messages idiots avec mes amis perdus, des souvenirs qui me semblaient si loin ont reflué dans mon cœur.

 En marchant vers la place de la République, je me suis enfin rendu compte que j’étais venu dans cet endroit si lointain, tout en sachant que, en réalité, je n'avais nulle part où aller.

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