vendredi 3 novembre 2017

''La fille aux allumettes''



 J’ai rencontré la petite chatte devant l’un des bâtiments de ma résidence. Elle était figée dans un geste étrange. Un patte arrière levée, elle me regardait. Sans doute qu’elle était en train de se toiletter quand je suis passé, et que cela l'a interrompue. Je vois souvent cette petite chatte faire sa toilette, mais je n’ai presque jamais vu le gros chat se lécher. Elle fait attention à son pelage parce que c’est une femelle et l’autre s’en moque parce que c’est un mâle ?

 Nous nous sommes regardés pendant un certain moment. Au bout de quelques instants, elle s’est approchée de moi et a légèrement levé la tête. J’ai caressé sa tête, elle s’est frottée contre mes jambes. Dès que je me suis assis par terre, elle a sauté sur mes genoux. Devant le bâtiment où se trouve l’accueil, deux hommes d’âge mûr fumaient des cigarettes en discutant de quelque chose. Le ciel était gris comme dans les films de Tarkovski. Les nuages épais nous privaient du soleil. La petite chatte a roulé plusieurs fois sur mes genoux. Elle semblait plus agitée que d’habitude. Je ne sais pas si c’était à cause du mauvais temps ou de mon humeur mélancolique.

 J’ai sorti ‘’Le rideau’’ de Milan Kundera d’une poche de mon manteau. Je l’ai ouvert au hasard et je me suis mis à lire haute voix.
 « ‘’La Pologne n’a pas encore péri’’ est le premier vers pathétique de leur hymne national et, il y a quelques cinquante ans, Witold Gombrowicz, dans une lettre à Czeslaw Milosz, a écrit une phrase qui n’aurait pu venir à l’esprit d’aucun Espagnol : ‘’Si, dans cent ans, notre langue existe encore…’’ »
 Pendant que je lisais, une femme de ménage est passé, portant un chignon, avec l’air aussi mélancolique que le ciel. Ensuite, le gros chat est venu vers nous. Il nous a jeté un coup d’œil puis s’est éloigné d’un pas nonchalant.


 Chez moi, j’ai vu ‘’La fille aux allumettes’’ d’Aki Kaurismaki en buvant une demi-bouteille de vin blanc.

 Pendant que je le regardais, je me suis rendu compte qu’il n’y avait de sous-titre anglais ni français. Je ne comprenais rien en finlandais, mais cela ne m’a posé aucun problème, puisqu’il n’y avait que très peu de dialogues. Même dans les scènes où des personnages discutaient entre eux, je pouvais facilement imaginer ce qu’ils disaient. Il me semblait même que sans sous-titre, je pouvais comprendre mieux tout ce qui se passait.

 C'est ce qu'est un vrai film. Au début, le cinéma était muet. Ensuite l'ère de Talkie est arrivé. Dès lors, beaucoup de réalisateurs mais aussi de spectateurs oublient petit à petit le langage cinématographique. Le cinéma est une langue en voie de disparition. 

 Chaque scène était belle comme une peinture de Vermeer. J'ai remarqué qu’il y a une sorte de ‘’fétiche’’ envers les mouvements minutieux. La main d’une fille qui examine une boîte d’allumettes, l’harmonie que créent des assiettes et une carafe d’eau, la lumière de la ville nocturne…

 L’héroïne n’est en effet pas très belle. Son nez semble un peu trop long pour qu'on puisse la qualifier de "belle", et le contour de son menton est flou, ses épaules étroites. Mais Kati Outinen est l’une de mes actrices préférées. Elle a un certain charme, chacun de ses gestes a une beauté subtile. J’aime notamment la scène où elle lit un roman d’amour dans le bus, puis elle sourit humblement juste un instant.


 Je me demande si la scène où elle pleure au cinéma est un hommage à ‘’Vivre sa vie’’ de Jean-Luc Godard. Elle m'a rappelé Anna Karina versant des larmes dans l'obscurité devant ‘’La passion de Jeanne d’Arc’’.


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