jeudi 23 novembre 2017

Wittgenstein

 Lorsque notre professeur nous parlait de l’esthétique de Thomas Bernard, je pensais à ce que j’allais manger au midi. Ces derniers jours, sans doute à cause du stress, j’avais toujours mal au ventre et je ne prenais que le dîner, mais aujourd’hui j’avais faim. Les nuages qui stagnaient dans le ciel de l’Alsace-Lorraine s’étaient complètement dissipés, grâce aux rayons éblouissants du soleil ; mon corps pouvait donc recommencer à produire de la vitamine D. Maintenant le professeur, Monsieur W disaient que Thomas Bernard avait subi l’influence de Ludwig Wittgenstein, et il a cité la célèbre phrase de ‘’Tractatus logico-philosophicus’’ : « sur ce dont on ne peut parler, il faut se taire. » Mon regard était toujours fixé sur les yeux de cet homme d’un âge mûr, apetissés à cause de l’effet des lentilles, tandis que j’énumérais tous les types de pains que je connaissais dans ma tête : La baguette, le croissant, le bretzel, le sandwich au jambon, le pain au chocolat, la tarte flambée… J’ai également pensé à la possibilité de prendre des desserts : un éclair, une tarte aux fraises, des macarons alsaciens... La France est coupable. Pourquoi y a-t-il de si nombreux types de pains que l’on ne peut même pas les compter tous ? Toutefois, je devais me contenter d’en choisir un ou deux. Devant cette problématique insoluble, mon visage devenait peut-être de plus en plus sévère. Alors que j’étais tout à fait silencieux, et ne bougeais point, Monsieur W. s'est tout à coup tourné vers moi et m’a dit : « Peut-être vous voudrez dire quelque chose ? » Tous les pains que j’imaginais dans ma tête sont tombés dans un gouffre. J’ai failli lui dire : « Oui, qu’est-ce que je vais prendre pour le déjeuner ? », mais comme je suis quelqu’un qui a besoin de temps pour répondre, je ne me taisais écarquillant les yeux comme Wittgenstein. Après un instant de silence, il a repris son cours et nous a dit que selon Thomas Bernard, aucun langage n’est capable de représenter la réalité telle qu’elle est. Je me suis demandé si, lorsque je dis par exemple « Monsieur W porte des lunettes » ou « Wittgenstein a un nez, une bouche, deux yeux et deux oreilles », ce n'est pas la réalité, mais je me suis tu pour ne pas déranger les autres. Ce que Monsieur W portait, c’étaient deux rondelles d’oignon et Wittgenstein était sans doute un monstre qui avait trois nez, cinq yeux, dix oreilles et mille bouches.
 J’ai entendu dire que ce philosophe autrichien s'est rétracté et, vers la fin de sa vie, a renié sa célèbre phrase : « Sur ce dont on ne peut parler, il faut se taire. ( ‘’Tractatus Logico-philosophicus’’ a été publié quand il avait trente-et-un ans et il n’a poursuivi quasiment pas d’activité philosophique pendant longtemps.) Quoi qu’il en soit, cette phrase me semble pratique. En décembre, j'aurai beaucoup de partiels. S’il y des questions auxquelles je ne sais pas répondre, j’écrirai avec conviction: « Sur ce dont on ne peut parler, il faut se taire. »

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