mercredi 15 novembre 2017

Dans le royaume de l'irréel


 Si j’étais un professeur de littérature, j’aimerais choisir comme le sujet de mon cours ‘’ The Story of the Vivian Girls, in What is known as the Realms of the Unreal, of the Glandeco-Angelinnian War Storm, Caused by the Child Slave Rebellion’’ de l’auteur américain, Henry Darger.

 J’ai entendu dire que ce livre qui compte 15 143 pages et le roman le plus long au monde, mais je ne sais pas si c’est vrai. J’ai l’impression qu’il y a d’autres livres plus longs que celui-ci, car le monde est vaste.

 Ce livre est illustré de multiples dessins de Darger lui-même. Il était donc aussi peintre. Toutefois, tout au long de sa vie, il n’a jamais été reconnu comme un artiste. Les gens le reconnaissaient comme un pauvre homme de ménage un peu arriéré. Personne ne savait qu’il écrivait et dessinait cette histoire, et lui non plus, il n’avait aucune intention de la montrer à personne. Même s’il avait eu envie de la montrer, cela aurait été difficile, parce qu’il n’avait aucun ami.

 Celui qui a découvert ses œuvres était le propriétaire de son appartement. Juste avant le décès de son locataire, il est entré dans sa chambre, puis a découvert une immense quantité d’illustrations et un énorme manuscrit. Si ce propriétaire avait été quelqu’un qui n’avait aucune compréhension artistique, toutes ses œuvres auraient été perdues. On peut dire la même chose pour Kafka. Franz Kafka qui savait qu’il mourrait bientôt, avait confié à un de ses amis Max Brod, la tâche de brûler tous ses manuscrits. Max Brod n’a pas tenu sa promesse, ce n’est pas parce qu’il ne l’aimait pas, mais que Kafka était son ami. Si cet écrivain tchèque avait demandé de brûler ses manuscrits à quelqu’un d’autre, on n’aurait peut-être pas pu lire tous ses autres romans à part ‘’La métamorphose’’, qui est le seul livre à avoir été publié de son vivant.

 Les protagonistes de ‘’Dans le royaume de l’irréel’’ sont des filles appelées ‘’vivian girls’’. Étrangement, elles ont toutes un pénis. On ne sait pas la véritable raison pour laquelle elles en ont. Certains disent que Darger a été puceau toute sa vie et qu’il ne savait pas que les filles n’en avaient pas. D’autres disent que l’androgynie était son penchant sexuel.

 Darger a passé son enfance dans une institution pour enfants handicapés. Il n’a donc jamais reçu d’éducation artistique. Alors comment réalisait-il ses œuvres ? Plus tard, des chercheurs ont mis en lumière qu’il utilisait des magazines, des catalogues de vêtements pour enfants et copiait des photos pour faire ses illustrations. Ses œuvres sont donc une sorte de collage, mais son monde est trop grandiose pour le mettre dans une catégorie. Une certaine maladresse que n’aurait pas un peintre professionnel crée une harmonie inquiétante dans ses œuvres.

 Je ne suis pas un artiste, mais lorsque je lis sa biographie, je ne peux m'empêcher d'éprouver une certaine sympathie pour lui. Je n'ai pour amis que des chats, je ne fais que des allers-retours entre chez moi et l'université, je parle souvent à l'ourson Talleyrand (il connaît beaucoup de choses que je ne connais pas). La seule différence, c'est que je sais que les femmes n'ont pas de pénis. 

 En 1973, Henri Darger est mort d’un cancer de l’estomac. Juste avant sa mort, un habitant du même appartement lui a rendu visite à l’hôpital. Il lui a dit qu’on avait trouvé ses créations dans sa chambre. À ce moment-là, Darger s’est temporairement réveillé de son sommeil profond, et lui a faiblement dit « Too late now. (C’est trop tard maintenant) ».

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