jeudi 16 novembre 2017

La guerre nommée lettres modernes

 La vie universitaire est comme la guerre. Je me lève tôt chaque matin, je vais en cours, je vais à la bibliothèque sans déjeuner, je vais à un autre cours, je me repose un peu, puis je rentre chez moi. Alors que je suis venu en France sous prétexte d’approfondir ma connaissance du français, je commence à en avoir assez de cette langue à laquelle je suis tant attaché. C’est notamment à cause du cours de lexicologie et de linguistique diachronique.

 La professeure du cours de lexicologie est une femme d’âge mûr robuste qui me rappelle une générale de l’armée. Elle est souriante et assez sympathique mais trop sévère. J’ai fait les exercices qu’elle nous a donnés, toutefois le résultat n’était pas correct. Elle m’a dit que je devais analyser et démontrer plus précisément. Maintenant je suis perdu. Je ne sais plus ce que je dois faire de plus. Le jour du partiel, je me perdrai encore plus. Ma note sera comme la ville de Dresden bombardée par les Alliés.
Le cours de linguistique diachronique est compliqué. Nous devons étudier l’évolution du français qui commence depuis le latin classique. Le grand problème de ce cours est la phonétique. Je n’arrive déjà pas à distinguer certaines phonèmes (o ouvert, o fermé, e ouvert, e fermé etc.) et c’est à ce moment-là que je me souviens que le français n’est pas ma langue maternelle.

 L’année dernière, je souffrais beaucoup. Je prenais à peine des notes. Mon exposé était aussi misérable que mon accent. Je devais lire beaucoup de livres sur une courte période. Les seuls cours dans lesquels je me sentais à l’aise étaient le latin, l’anglais et l’allemand.

 Lorsque j’ai reçu une note tellement mauvaise en dissertation qu’on a envie de détourner les yeux, je me suis dit pour la première fois que mon niveau de français n’était pas suffisant pour suivre cette formation. J’ai pensé à abandonner les lettres modernes et me réorienter vers le LEA japonais-anglais. J’ai eu donc un entretien avec le directeur de LEA, qui était un homme italien, ensuite avec le responsable du département de japonais, Monsieur Kuroda. Ils étaient tous les deux d’accord pour que je me réoriente vers cette filière. Dans le bureau du département de japonais qui se trouve au cinquième étage du Patio, Monsieur Kuroda m’avait dit en japonais : 
« Quand j’étais dans une autre université, il y avait un étudiant grec en LEA grec-anglais. Donc, je n’y trouve aucun problème. Mais ne penses-tu pas que c’est dommage (mottainai) de faire du japonais alors que tu es venu en France ?
- Je le pense. », ai-je répondu sans aucune hésitation.

 En réalité, je ne voulais pas étudier le japonais avec des étudiants français car simplement je ne suis pas fan de cette langue, ni de mon pays natal. Je n’ai jamais lu Naruto, j’ai abandonné One Piece, je n’ai jamais joué à Pokémon. J'aime les romans de Patrick Modiano, les films de François Truffaut et ''Les estampes'' de Claude Debussy. De plus, durant l'entretien avec une employée du Campus France que j'ai eu à l’ambassade de France au Japon, qui se trouve dans l'un des quartiers les plus luxueux de Tokyo, je lui avais dit que mon objectif était de perfectionner mon français.

 Au bout d'une demi-heure, j’ai remercié Monsieur Kuroda d’avoir eu un entretien avec moi. Je me suis incliné à la manière japonaise, et je suis sorti de la salle. Ce fut la dernière fois que je l'ai vu.

 Au final, j’ai réussi mon année avec une bonne note. Toutefois, j’éprouve plus de difficulté cette année. J’angoisse, je déprime, je me sens seul, triste et fatigué. Hier, on m’a demandé s’il n’y avait pas de belles filles à l’université. Je n’en sais rien, je regarde toujours le sol. Sur le sol, il y a des mégots, des feuilles jaunes mortes, du caca et parfois une monnaie d'un centime.

 La nuit, je rêve que certains professeurs (Monsieur X, Madame Y et Monsieur Z) m’étranglent en riant. J’espère que je survivrai à cette guerre nommée lettres modernes.

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