mardi 21 novembre 2017

Camus

  Aujourd’hui, je suis allé chez le psychiatre. Après le cours de littérature romaine, j’avais un peu de temps. Au premier étage du Patio, j’ai tué le temps en regardant les gens qui montaient et descendaient l’escalier. C’était amusant d'observer les couleurs des manteaux et des cheveux. En augmentant et diminuant, le courant des gens ne cessait de d’écouler.  

 Je me souvenais que la semaine dernière, en cours d’anglais une fille avait fait son exposé sur l’hospitalisation sous contrainte en psychiatrie. Elle avait les cheveux bruns, longs et ondulés. Elle a toujours l’air malheureux. Lorsque je l’ai vue pour la première fois, ses yeux étaient rouges et que ses lèvres étaient si serrées que j’ai cru qu’elles saigneraient. Elle semblait être sur le point d’éclater en sanglots. La semaine suivante, elle avait la même tête. Et une semaine plus tard, elle avait toujours la même tête. Et c’est à ce moment-là que j’ai compris que c’était sa tête habituelle.
 C'est donc l'air chagrin qu'elle nous a demandé notre avis sur l’hospitalisation sous contrainte des handicapés mentaux. Tout le monde se taisait. À ce moment-là, Willy a parlé de « Vol au-dessus d'un nid de coucou », comme pour briser ce silence lourd. Je connaissais ce film, mais que je ne le verrai sans doute plus jamais. Et j’ai revu le sourire grimaçant de Jack Nicholson.

 En marchant vers le Camus, je me suis demandé si je n’allais pas être lobotomisé. Je suis juste un peu dépressif et asocial et c’est la raison pour laquelle j’ai pris rendez-vous chez le psychiatre. Je ne suis pas si fou que je doive être lobotomisé, me suis-je dit. Mais il est vrai que les fous croient souvent qu’ils ne sont pas fous comme Leonard Dicaprio dans ‘’Shutter Island’’. En me disant de ne pas boire de thé même si on me servait, j’ai ouvert la porte.

 Une réceptionniste m’a dit d’attendre devant le secrétariat. Je me suis donc assis sur une chaise. Dans la salle, une femme travaillait à une table et elle chuchotait avec une autre jeune femme debout devant elle. À l’entrée du secrétariat, une femme d’âge mûr était debout. Elle aussi disait quelque chose à quelqu’un qui était à l’intérieur. Au bout de quelques minutes, cette femme est partie. Je n’étais pas appelé, mais je me suis levé et j’ai regardé à l’intérieur pour leur faire mettre la pression. Du fond de la salle, une femme qui avait l’air gentille m’a dit que je pouvais entrer.
 D'abord, je me suis demandé si c’était le psychiatre, mais c’était une secrétaire. Elle souriait toujours. Je lui ai donné la copie de mon attestation de santé, (c'était la première fois que la MGEL servait à quelque chose !) et je lui ai montré ma carte d’étudiant. Quand j’ai eu rempli le formulaire qu’elle m’avait donné, elle m’a demandé de la suivre.
Nous avons monté l’escalier en colimaçon. Elle a frappé à la porte de l’une des salles. Quelques instants plus tard, elle est revenue, puis m’a dit d’attendre là que l’on m’appelle.
 Assis sur une chaise bleue en plastique, j’ai attendu en lisant ‘’La ritournelle de la faim’’, cependant, je ne me suis pas arrivé à me concentrer sur ce que je lisais. J’ai abandonné la lecture, et j’ai arrêté de penser.
Quelques minutes plus tard, un jeune homme grand et imberbe, qui avait l’air inquiet est sorti de la salle que la secrétaire était entrée. Ensuite, une femme aux cheveux blancs tombant sur les épaules, est apparue et appelé mon nom.
Dans un coin de la salle, une jeune fille était assise. Le psychiatre, une femme, m’a demandé si cette jeune fille pouvait assister à ma consultation. C’était sans doute une étudiante en psychologie. Sa présence ne me dérangeait pas. J’ai répondu par l’affirmative.
 Elle m’a demandé quels étaient les problèmes qui m’avaient incité à venir ici.
« Je suis parfois dépressif et asocial. J’ai d’autres problèmes, hm… comme l’hyperacousie. Je n’arrive pas à me concentrer quand il y a du bruit autour de moi. Il m’est même impossible de lire un livre à la bibliothèque. Les phrases m’échappent et… Et donc, je ne vais à la bibliothèque pour que dormir, ai-je dit en faisant attention à ne pas faire de faute de grammaire.
- Qu’est-ce que vous faites quand vous devez vous concentrer ? m’a-t-elle dit.
- J’écoute ‘’Les variations Goldberg’’ de Bach. Un jour, j’ai découvert que je me concentre mieux quand j’écoute ‘’Les variations Goldberg’’ de Bach. Je pense que c’est parce que sa musique est plus….
- Structuré ?
- Oui, structuré J’aime également Beethoven, Bartok et Schoenberg. En revanche, Chopin et Wagner ne m’intéressent pas.
- Vous êtes musicien ? m’a-t-elle demandé.
- Loin de là », ai-je dit.
 Elle a soulilgné que ce sont tous des compositeurs dont la musique est structurée.
 « Bartok aussi ? ai-je demandé.
- Bartok aussi. », m’a-t-elle dit.

 Je n’ai aucune culture musicale. Je ne sais jouer d’aucun instrument. Lorsque j’ai dû jouer de la flûte à l’école primaire, c’était déjà catastrophique. Dans le chœur au collège, je feignais de chanter en ouvrant régulièrement la bouche. Mais ceux qui n’ont aucun talent de jouer ne sont pas forcément de mauvais auditeurs. J’ai deux oreilles qui fonctionnent bien, et je suis attiré par Bartok parce que ses morceaux évoquent pour moi beaucoup d’images comme celles qu'un rêve aurait laissées dans mon cœur.
 Elle m’a ensuite demandé si je me sentais bien à Strasbourg. Je suis en effet solitaire et je n’ai que peu de connaissances, mais il était évident que je me sens attaché à cette ville. (De toute façon, je pense que je serai solitaire où que j’aille) J’ai essayé d’éclaircir l’origine de ce sentiment, mais je bégayais. Alors le psychiatre m’a aidé en disant : « Parce que la ville de Strasbourg est aussi structurée ? ». C'est alors que les mots sont sortis tout seuls. Je lui ai dit que je suis originaire du nord du Japon, et j’ai suggéré qu’il y a peut-être une atmosphère commune entre les pays du nord, en dehors de la culture : la tranquillité, l’émotion que fait naître un paysage enneigé, le caractère des habitants etc.
 Je ne sais pas si cette consultation était fructueuse ou pas. Lorsque j’étais au lycée, je consultais également un psychiatre. Je prenais des anti-dépresseurs et des somnifères, mais j’avais l’impression que cela ne servait à rien. D’ailleurs, je savais moi-même que j’étais juste plus sensible que les autres, et que je n’étais pas malade. Je n’attendais donc pas grand-chose de cette consultation, mais je pense qu'elle m'a fait découvrir quelque chose.

 En chemin du retour, en longeant l’Ill, la tête baissée, je me suis demandé de nouveau pourquoi je suis attiré par l’Alsace-Lorraine, une région qui n’avait aucun lien avec moi. Et je me suis rappelé que j’avais également dit au psychiatre que je ne parle et n’écris qu’en français. Lorsque j’essaie d’écrire quelque chose en japonais, les mots disparaissent. En même temps, lorsque j’écris en français, je sens la présence de cette deuxième langue qui existe comme le lit d’une rivière. La langue officielle de l’Alsace-Lorraine est évidemment le français, mais c’est une région qui a aussi une autre langue et une autre histoire derrière elle. C’est du moins ce que que je pense avoir en commun avec cette région.

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