Aujourd’hui, je suis allé
chez le psychiatre. Après le cours de littérature romaine, j’avais un peu de
temps. Au premier étage du Patio, j’ai tué le temps en regardant les gens qui
montaient et descendaient l’escalier. C’était amusant d'observer les couleurs
des manteaux et des cheveux. En augmentant et diminuant, le courant des gens ne
cessait de d’écouler.
Je me souvenais que la semaine dernière, en cours
d’anglais une fille avait fait son exposé sur l’hospitalisation sous contrainte
en psychiatrie. Elle avait les cheveux bruns, longs et ondulés. Elle a toujours
l’air malheureux. Lorsque je l’ai vue pour la première fois, ses yeux étaient
rouges et que ses lèvres étaient si serrées que j’ai cru qu’elles saigneraient.
Elle semblait être sur le point d’éclater en sanglots. La semaine suivante,
elle avait la même tête. Et une semaine plus tard, elle avait toujours la même
tête. Et c’est à ce moment-là que j’ai compris que c’était sa tête habituelle.
C'est donc
l'air chagrin qu'elle nous a demandé notre avis sur l’hospitalisation sous
contrainte des handicapés mentaux. Tout le monde se taisait. À ce moment-là,
Willy a parlé de « Vol au-dessus d'un nid de coucou », comme pour briser ce silence
lourd. Je connaissais ce film, mais que je ne le verrai sans doute plus jamais.
Et j’ai revu le sourire grimaçant de Jack Nicholson.
En marchant vers le Camus, je me suis demandé si je n’allais
pas être lobotomisé. Je suis juste un peu dépressif et asocial et c’est la
raison pour laquelle j’ai pris rendez-vous chez le psychiatre. Je ne suis pas
si fou que je doive être lobotomisé, me suis-je dit. Mais il est vrai que les
fous croient souvent qu’ils ne sont pas fous comme Leonard Dicaprio dans
‘’Shutter Island’’. En me disant de ne pas boire de thé même si on me servait,
j’ai ouvert la porte.
Une
réceptionniste m’a dit d’attendre devant le secrétariat. Je me suis donc assis
sur une chaise. Dans la salle, une femme travaillait à une table et elle chuchotait avec une autre jeune femme debout
devant elle. À l’entrée du secrétariat, une femme d’âge mûr était debout. Elle
aussi disait quelque chose à quelqu’un qui était à l’intérieur. Au bout de
quelques minutes, cette femme est partie. Je n’étais pas appelé, mais je me
suis levé et j’ai regardé à l’intérieur pour leur faire mettre la pression. Du
fond de la salle, une femme qui avait l’air gentille m’a dit que je pouvais
entrer.
D'abord, je me
suis demandé si c’était le psychiatre, mais c’était une secrétaire. Elle
souriait toujours. Je lui ai donné la copie de mon attestation de santé, (c'était
la première fois que la MGEL servait à quelque chose !) et je lui ai montré ma
carte d’étudiant. Quand j’ai eu rempli le formulaire qu’elle m’avait donné,
elle m’a demandé de la suivre.
Nous avons monté l’escalier en colimaçon. Elle a
frappé à la porte de l’une des salles. Quelques instants plus tard, elle est
revenue, puis m’a dit d’attendre là que l’on m’appelle.
Assis sur une
chaise bleue en plastique, j’ai attendu en lisant ‘’La ritournelle de la
faim’’, cependant, je ne me suis pas arrivé à me concentrer sur ce que je
lisais. J’ai abandonné la lecture, et j’ai arrêté de penser.
Quelques minutes plus tard, un jeune homme grand et
imberbe, qui avait l’air inquiet est sorti de la salle que la secrétaire était
entrée. Ensuite, une femme aux cheveux blancs tombant sur les épaules, est
apparue et appelé mon nom.
Dans un coin de la salle, une jeune fille était
assise. Le psychiatre, une femme, m’a demandé si cette jeune fille pouvait
assister à ma consultation. C’était sans doute une étudiante en psychologie. Sa
présence ne me dérangeait pas. J’ai répondu par l’affirmative.
Elle m’a
demandé quels étaient les problèmes qui m’avaient incité à venir ici.
« Je suis parfois dépressif et asocial. J’ai d’autres
problèmes, hm… comme l’hyperacousie. Je n’arrive pas à me concentrer quand il y
a du bruit autour de moi. Il m’est même impossible de lire un livre à la
bibliothèque. Les phrases m’échappent et… Et donc, je ne vais à la bibliothèque
pour que dormir, ai-je dit en faisant attention à ne pas faire de faute de
grammaire.
- Qu’est-ce que vous faites quand vous devez vous
concentrer ? m’a-t-elle dit.
- J’écoute ‘’Les variations Goldberg’’ de Bach. Un
jour, j’ai découvert que je me concentre mieux quand j’écoute ‘’Les variations
Goldberg’’ de Bach. Je pense que c’est parce que sa musique est plus….
- Structuré ?
- Oui, structuré J’aime également Beethoven, Bartok et
Schoenberg. En revanche, Chopin et Wagner ne m’intéressent pas.
- Vous êtes musicien ? m’a-t-elle demandé.
- Loin de là », ai-je dit.
Elle a
soulilgné que ce sont tous des compositeurs dont la musique est structurée.
« Bartok aussi
? ai-je demandé.
- Bartok aussi. », m’a-t-elle dit.
Je n’ai aucune
culture musicale. Je ne sais jouer d’aucun instrument. Lorsque j’ai dû jouer de
la flûte à l’école primaire, c’était déjà catastrophique. Dans le chœur au
collège, je feignais de chanter en ouvrant régulièrement la bouche. Mais ceux
qui n’ont aucun talent de jouer ne sont pas forcément de mauvais auditeurs. J’ai
deux oreilles qui fonctionnent bien, et je suis attiré par Bartok parce que ses
morceaux évoquent pour moi beaucoup d’images comme celles qu'un rêve aurait
laissées dans mon cœur.
Elle m’a ensuite demandé si je me sentais bien à
Strasbourg. Je suis en effet solitaire et je n’ai que peu de connaissances,
mais il était évident que je me sens attaché à cette ville. (De toute façon, je
pense que je serai solitaire où que j’aille) J’ai essayé d’éclaircir l’origine
de ce sentiment, mais je bégayais. Alors le psychiatre m’a aidé en disant : «
Parce que la ville de Strasbourg est aussi structurée ? ». C'est alors que les
mots sont sortis tout seuls. Je lui ai dit que je suis originaire du nord du
Japon, et j’ai suggéré qu’il y a peut-être une atmosphère commune entre les
pays du nord, en dehors de la culture : la tranquillité, l’émotion que fait
naître un paysage enneigé, le caractère des habitants etc.
Je ne sais pas
si cette consultation était fructueuse ou pas. Lorsque j’étais au lycée, je
consultais également un psychiatre. Je prenais des anti-dépresseurs et des
somnifères, mais j’avais l’impression que cela ne servait à rien. D’ailleurs,
je savais moi-même que j’étais juste plus sensible que les autres, et que je
n’étais pas malade. Je n’attendais donc pas grand-chose de cette consultation,
mais je pense qu'elle m'a fait découvrir quelque chose.
En chemin du
retour, en longeant l’Ill, la tête baissée, je me suis demandé de nouveau
pourquoi je suis attiré par l’Alsace-Lorraine, une région qui n’avait aucun
lien avec moi. Et je me suis rappelé que j’avais également dit au psychiatre
que je ne parle et n’écris qu’en français. Lorsque j’essaie d’écrire quelque
chose en japonais, les mots disparaissent. En même temps, lorsque j’écris en
français, je sens la présence de cette deuxième langue qui existe comme le lit
d’une rivière. La langue officielle de l’Alsace-Lorraine est évidemment le français,
mais c’est une région qui a aussi une autre langue et une autre histoire
derrière elle. C’est du moins ce que que je pense avoir en commun avec cette
région.
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