samedi 25 novembre 2017

Auprès de moi toujours





Avant le cours d’anglais, je suis allé à la BNU pour rendre « Setting Free the Bears ». Dans le hall du premier étage, à côté des portiques, il y avait une petite exposition de journaux alsaciens. D’anciens numéros de ‘’Dernières Nouvelles d’Alsace’’ étaient affichés par ordre chronologique. Des titres comme « La France pleure le général De Gaule » « Ce matin, Armstrong a marché sur la lune » « Strasbourg accueille le nouveau parlement européen » ont attiré mon attention. Malheureusement, seule la copie des couvertures était affichée, si bien que l’on ne pouvait pas lire le contenu des articles. Toutefois, ces images et ces titres suffisaient à évoquer pour moi les époques qu’a connues cette ville. Il y avait certainement un moment où les Strasbourgeois ont déploré la mort du général De Gaulle, où ils se sont enthousiasmés pour la réussite de la mission Apollo 11, où le parlement européen qui me semble lourd aujourd’hui a été jeune et moderne. Ces papiers jaunis me disaient que l’époque que je vis maintenant sera aussi une partie de l’histoire, voire même qu’elle est en train d’en faire partie à cet instant même. J’ai essayé d’imaginer le monde de trente ans plus tard. Les gens n’utiliseront peut-être plus de smartphone. Lira-t-on encore ‘’Les frères Karamazov’’ ? Y aura-t-il quelqu’un pour se souvenir de moi ?

 J’ai passé le portique et j’ai rendu mon livre à une bibliothécaire. Elle a passé le code du livre au lecteur, puis m’a dit « C’est bon ». La parfaite bibliothécaire. S’il y avait un concours des meilleurs bibliothécaires au monde, elle en serait sans doute la championne. Le concours des meilleures bibliothécaires est organisé par un millionnaire amoureux inconditionnel des bibliothécaires. Et la gagnante doit être une femme typiquement bibliothécaire. C’est-à-dire, elle doit porter des lunettes à montures noires, avoir des nattes. Elle ne doit être ni trop belle ni trop moche. Elle doit être un peu maussade et taciturne. L’organisateur examine rigoureusement la manière de parler et de lever les yeux des candidates. Et finalement, la gagnante recevra tous les livres qu’elle voudra, même ceux qui sont épuisés depuis cinq cents ans.

 En pensant cela, j’ai monté l’escalier en colimaçon. Je sais parfaitement quel genre de livres se trouvent sur quelle étagère. À gauche, il y a le coin de littérature asiatique (chinoise, japonaise, coréenne…) et un peu au fond, on peut découvrir la littérature russe. À l’opposée, se trouve la littérature française. Devant, il y a la littérature américaine où je vais toujours.

 Après quelques instants de tâtonnement, j’ai enfin trouvé les livres de John Irving. J’ai finalement choisi « Le monde selon Garp ». J’ai aussi emprunté « Dans l’abîme du temps » de Lovecraft et la version originelle de « The Cat’s Cradle » pour améliorer mon anglais.

 J’ai déjà vu le film de « Le monde selon Garp » il y a longtemps. (Le metteur en scène de ce film a aussi réalisé « Slaugterhouse 5 » de Vonneghut, que je trouve toutefois un peu ennuyeux.) Tout ce que je peux me rappeler, c’est que le thème était ‘’When I was sixty four’’ des Beatles et que Robin Williams qui s’est suicidé il y a quelques années avait joué le rôle de Garp.


 Pendant le cours d’anglais, une fille a fait un exposé sur l’intelligence artificielle. Ma voisine écrivait follement des hiragana sur son cahier comme d’habitude. J’ai pensé lui dire que c’était un cours d’anglais, mais je ne lui ai finalement rien dit. Lorsqu’un exposé m’ennuie, si la fille est mignonne, je contemple son visage. Si elle ne l’est pas, je regarde des arbres. Aujourd’hui, j’ai regardé des arbres.

 Ensuite, une autre fille grande et potelée a présenté son exposé. Nous nous disons toujours bonjour, mais rien de plus. Elle parle un joli anglais, d'ailleurs, étonnement, elle n’a pas beaucoup d’accent. Aurait-elle vécu dans un pays anglophone ? Elle nous a fait écouter « Heal The World » de Michael Jackson, sauf que je n’aime pas du tout Michael Jackson.

 Et finalement, mon tour est venu. J’ai présenté mon exposé sur l’écrivain britannique Kazuo Ishiguro en commençant par parler de Patrick Modiano et Haruki Murakami. J’ai exprimé mon avis personnel en anglais « Il semble que l’académie de Stockholm soit perverse. Plus les gens souhaitent que Haruki Murakami soit choisi, plus l’académie le lui refuse. Si donc, si ses fans cessent de penser qu’il sera le lauréat, le prix Nobel de littérature lui sera sans doute décerné ». Je trouvais cela plutôt drôle, mais personne n’a ri. Toutefois quand j’ai dit « Oui, je sais que le nom Kazuo Ishiguro ne sonne pas anglais. Les noms anglais sont comme ‘’John Lennon’’, ‘’James Bond’’, ‘’Charles Dickens’’. ‘’Kazuo Ishiguro’’ sonne plutôt comme ‘’Haruki Murakami’’ ou mon nom… », le public a ri alors que je n’avais aucune intention de le faire rire.

« A-t-il publié son premier ouvrage en 1982 ? m’a demandé notre professeur en fronçant les sourcils.
- Oui ? ai-je répondu.
- Mais il était où ?
- Quand il l’a écrit ? Il vit toujours au Royaume-Uni, à Londres, si c'est que vous voulez dire...
- À quelle université ?
- D’après ce que j’ai trouvé sur Internet, il était en master de l’atelier de création à l’Université d’East-Anglia. »

 Je ne comprenais pas l’intention de ses questions. Et alors, à ce moment-là, il m’a dit : « J’y étais aussi, à cette époque-là…»

 Cet homme âgé aux cheveux blancs assis devant moi, était à l'université avec Kazuo Ishiguro ! Parfois, la vie nous offre de curieuses coïncidences, comme un cadeau tombé du ciel.

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