Lorsque j’allais à l’école, je
feignais souvent d’être malade. Le plus souvent, c’était pour ne pas aller à
l’école. Il m’arrivait aussi de faire semblant d’être malade après le déjeuner
pour rentrer chez moi. J’éprouvais un sentiment spécial quand je traversais
toute seule la cour, en entendant des élèves réciter la table de multiplication
ou jouer de la flûte à bec. C’était comme si le bruit que faisait ma trousse
dans mon sac à dos avait un sens important, ou comme si j’étais devenue un peu
plus adulte.
Parmi mes camarades, il y avait une
fille qui disait des mensonges extravagants avec lesquels mes prétendues
maladies ne supportaient pas la comparaison. L’un de ses mensonges les plus
impressionnants, c’était :
« Mon cousin est ami des Beatles ».
Ni de John ni de Paul mais ami des
Beatles. C’est adorable. Elle disait qu’il les avait rencontrés lorsqu’il
faisait ses études aux États-Unis.
« Mais les Beatles sont anglais », a
dit une autre fille discrètement, sans avoir l’air de la critiquer.
« Euh, donc, il a rencontré les
Beatles pendant leur tour aux États-Unis », nous a-t-elle expliqué tout de
suite.
Je pense que tout le monde se rendait
compte qu’elle mentait. Mais personne ne l’accusait en public. Au contraire, on
avait peur de faire remarquer les contradictions de ses histoires, et on prenait
garde à ne pas chercher trop loin. Chacun gérait ses mensonges à sa façon. Et
la fille elle-même, qu’elle le sache ou non, se comportait comme si de rien
n’était.
Je ne me rappelle plus à quelle
occasion, mais un jour, elle m’a proposé d’aller voir sa véritable maison.
Selon elle, le logement qu’elle habitait actuellement était provisoire, et la
résidence occidentale de trois kilomètres carré qui se trouvait en banlieue était
sa véritable maison.
Nous avons marché longtemps et
traversé une passerelle. Nous sommes passées à côté d’un sanctuaire. Bien
qu'ayant quitté la circonscription scolaire, nous soyons arrivées à une ligne
de chemin de fer, on ne voyait nulle part la maison qu’elle avait décrite. Elle
gardait son sang-froid, mais je m’inquiétais de plus en plus en me demandant si
elle serait obligée d’admettre son mensonge. Le crépuscule approchait. Faire
semblant d’être dupée était beaucoup plus facile que d’avoir la cruauté de lui
faire remarquer qu’elle mentait.
Pendant que nous longions les rails,
un vacarme effrayant s’est fait entendre et nous nous sommes retournées. Écrasé
par une voiture, un homme d’un certain âge était couché au milieu du chemin. En
peu de temps, les badauds se sont rassemblés, mais nous avions trop peur pour
nous approcher. J’ai vu, à travers la foule, une chaussure de cuir noir à moitié
enlevée.
Naturellement, nous avons rebroussé
chemin.
« J’irai à ta vraie maison la
prochaine fois », ai-je dit, et elle a hoché la tête.
Je me demande comment elle aurait fait
apparaître la maison occidentale de trois kilomètres carré si rien ne s’était
produit. Ou l’accident de voiture faisait-il aussi partie de son scénario ?
Je ne sais pas ce qu’elle est devenue
plus tard. Si ce n’est pas pour tromper les gens, et c’est pour échapper à la
réalité, j’espère que le mensonge lui sert à quelque chose.
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