vendredi 17 août 2018

''La princesse et le mensonge'' (extrait) Yoko Ogawa


 Lorsque j’allais à l’école, je feignais souvent d’être malade. Le plus souvent, c’était pour ne pas aller à l’école. Il m’arrivait aussi de faire semblant d’être malade après le déjeuner pour rentrer chez moi. J’éprouvais un sentiment spécial quand je traversais toute seule la cour, en entendant des élèves réciter la table de multiplication ou jouer de la flûte à bec. C’était comme si le bruit que faisait ma trousse dans mon sac à dos avait un sens important, ou comme si j’étais devenue un peu plus adulte.
 Parmi mes camarades, il y avait une fille qui disait des mensonges extravagants avec lesquels mes prétendues maladies ne supportaient pas la comparaison. L’un de ses mensonges les plus impressionnants, c’était :
« Mon cousin est ami des Beatles ».
 Ni de John ni de Paul mais ami des Beatles. C’est adorable. Elle disait qu’il les avait rencontrés lorsqu’il faisait ses études aux États-Unis.
« Mais les Beatles sont anglais », a dit une autre fille discrètement, sans avoir l’air de la critiquer.
« Euh, donc, il a rencontré les Beatles pendant leur tour aux États-Unis », nous a-t-elle expliqué tout de suite.
 Je pense que tout le monde se rendait compte qu’elle mentait. Mais personne ne l’accusait en public. Au contraire, on avait peur de faire remarquer les contradictions de ses histoires, et on prenait garde à ne pas chercher trop loin. Chacun gérait ses mensonges à sa façon. Et la fille elle-même, qu’elle le sache ou non, se comportait comme si de rien n’était.
 Je ne me rappelle plus à quelle occasion, mais un jour, elle m’a proposé d’aller voir sa véritable maison. Selon elle, le logement qu’elle habitait actuellement était provisoire, et la résidence occidentale de trois kilomètres carré qui se trouvait en banlieue était sa véritable maison.
 Nous avons marché longtemps et traversé une passerelle. Nous sommes passées à côté d’un sanctuaire. Bien qu'ayant quitté la circonscription scolaire, nous soyons arrivées à une ligne de chemin de fer, on ne voyait nulle part la maison qu’elle avait décrite. Elle gardait son sang-froid, mais je m’inquiétais de plus en plus en me demandant si elle serait obligée d’admettre son mensonge. Le crépuscule approchait. Faire semblant d’être dupée était beaucoup plus facile que d’avoir la cruauté de lui faire remarquer qu’elle mentait.  
 Pendant que nous longions les rails, un vacarme effrayant s’est fait entendre et nous nous sommes retournées. Écrasé par une voiture, un homme d’un certain âge était couché au milieu du chemin. En peu de temps, les badauds se sont rassemblés, mais nous avions trop peur pour nous approcher. J’ai vu, à travers la foule, une chaussure de cuir noir à moitié enlevée.
 Naturellement, nous avons rebroussé chemin.
« J’irai à ta vraie maison la prochaine fois », ai-je dit, et elle a hoché la tête.
 Je me demande comment elle aurait fait apparaître la maison occidentale de trois kilomètres carré si rien ne s’était produit. Ou l’accident de voiture faisait-il aussi partie de son scénario ?
 Je ne sais pas ce qu’elle est devenue plus tard. Si ce n’est pas pour tromper les gens, et c’est pour échapper à la réalité, j’espère que le mensonge lui sert à quelque chose.

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