Ça s’écrit ‘’Fuveau’’ mais je ne sais
toujours pas comment ça se prononce. En septembre 2003, invitée à participer à
un festival de littérature, je suis allée à Fuveau, un village de France.
Si je reçois une invitation comme
celle-là, j’accepte souvent sans bien réfléchir ni au thème ni au programme ni
aux autres invités parce que ça a l’air intéressant et que j’ai du temps libre.
De toute façon, même si j’ai envie d’examiner le contenu, je n’arrive pas à
lire la lettre d’invitation à cause de mon ignorance de la langue.
Avec ma traductrice Rose-Marie, j’ai
pris le TGV à Paris. À la gare d’Aix-en-Provence, un homme affable qui allait
parfaitement bien avec le soleil du Sud de la France, était venu nous chercher.
Il a mis nos valises dans le coffre de sa voiture, et nous a conduit jusqu’à
l’hôtel, en nous racontant l’histoire du village remontant jusqu’à la période
glaciaire, en indiquant du doigt des fleurs sur le chemin et en s’inquiétant
pour la météo du lendemain. Je pensais que c’était un employé de l’office du
tourisme, mais il s’est avéré que c’était en fait le maire du village, l’organisateur
en personne de ce festival, ce qui m’a étonnée. En même temps, j’étais rassurée
en me disant que c’était sans doute un festival détendu et peu cérémonieux si
le maire lui-même prenait le volant pour nous.
Fuveau se trouve à vingt ou trente
minutes en voiture d’Aix-en-Provence et de Marseille. C’est un petit village sur
une colline, comme le laisse deviner l’expression ‘’petit village’’. La rue
principale n’a que quelques dizaines de mètres. Il y a de charmantes maisons en
pierre dans un bois d’oliviers. Au loin, s’étend l’arête de la Sainte-Victoire
que Cézanne aimait.
Le festival a eu lieu dans une sorte
de salle de réunions au centre du village. Comme le thème principal était le «
Japon », elle était décorée de dessins de sumo, de kimonos et de bambous. Ils
n’étaient pas très raffinés et un peu étranges, mais j’y ai vu l’intention des
organisateurs d’accueillir chaleureusement les écrivains venus d’un pays
lointain. L’animatrice, dont les cheveux roux coupés court étaient adorables,
était l’épouse du maire.
Pendant les trois jours du festival,
nous, les écrivains japonais avons participé à des symposiums et avons fait une
séance d’autographes. Nous avons aussi visité l’école du village. Mais ce qui reste
gravé dans mon esprit, ce n’est pas ce que j’ai fait, mais ce que les villageois
ont fait pour nous.
Par exemple, pendant la séance
d’autographes qui a eu lieu dans le boulevard sous des tentes, des volontaires
qui s’occupaient de la vente des livres, de l’argent et même de la distribution
des boissons, sont restés près de chaque écrivain. La personne qui s’est occupée
de moi était une petite femme d’un certain âge, élégante et calme. Elle
semblait participer à ce festival tous les ans. L’air timide, elle m’a dit : «
Je suis fière d’aider les écrivains ». De plus, elle a pris mes romans traduits
en français sur la table et m’a dit « J’ai lu ceci, cela aussi ».
Non, je ne suis pas une romancière que
vous deviez être fière d’aider, aurais-je voulu dire, mais comme je ne
connaissais pas la langue, j’en étais réduite à répéter « Merci, merci ». Le
plaisir d’avoir une personne qui ne parle pas la même langue que moi comme ma
lectrice est immesurable. Cette volontaire m’a donné confiance en moi.
C’est une entreprise qui nous a prêté
des voitures pour faire les aller-retours entre l’hôtel et l’endroit où se tenait
le festival. Ce sont des jeunes gens qui apportaient les livres dans le hall.
Les interprètes étaient des étudiants qui avaient fait des études au Japon, ou des
étudiants japonais des universités proches du village. La bonne volonté
d’innombrables personnes réunies par amour de la littérature était ce qui
soutenait le festival de ce petit village.
Le déjeuner était encore plus intéressant. À
l’heure venue, les volontaires, les employés du maire, les écrivains, le maire
et son épouse prenaient des bus qui roulaient sur un sentier si étroit que des
branches d’olivier frottaient contre les vitrines, pour aller au bout du
village. Là-bas, il y avait une grande maison qui semblait appartenir à un
grand propriétaire terrien. Nous allions déjeuner dans son jardin.
Dès qu’on entrait dans le jardin, on
apercevait une fontaine. À la surface de l’eau vert foncé se reflétait l’ombre
du sommet de platanes. L’eau qui jaillissait du fond faisait des ronds. Des
feuilles mortes et des branches coulaient lentement. Si on regardait bien, on
voyait que de petits poissons nageaient dans la lumière tamisée.
La fontaine ressemblait à une
créature. C’était la première fois que je voyais une véritable fontaine. Un long
moment, je suis restée clouée là où elle baignait dans un rayon de lumière.
La propriétaire de la grande maison
avait des cheveux magnifiques, tout blancs. Je pense qu’elle prêtait sa villa
pour le festival chaque année.
Elle portait une veste classique en
tweed. Les cheveux blancs courbés vers l’intérieur, elle nous a accueillis une
canne à la main. J’étais désolée parce que j’étais habillée pour le voyage, un
T-shirt et un pantalon.
« Cette fontaine est magnifique », n’ai-je
pu m’empêcher de lui dire.
La dame a serré sa canne plus fort et
hoché la tête deux ou trois fois. Elle semblait habituée à ce que l'on lui
fasse des compliments sur la fontaine. Elle avait hoché la tête plusieurs fois
sans déranger un cheveu de sa coiffure.
« Récemment, un voleur de fontaines a
failli la dérober », a marmonné la dame.
« Eh, un voleur de fontaines ?
- Oui. Nous l’avons attrapé de
justesse ».
En fait, je comprenais que l'on ait
envie de voler une fontaine aussi belle, mais qu’est-ce qu'un voleur de
fontaines…….
À ce moment-là, on nous a dit que le
déjeuner était servi, et j’ai perdu l’occasion de demander la signification de
cette expression.
« Venez ».
En agitant des feuilles de platanes
sur la terre avec sa canne, la dame a marché devant nous.
Une lumière tamisée jouait sur la
nappe. Une abeille s’était posée sur le bord d’un verre et de ci, de là, on
entendait des rires. De ma place, je pouvais voir le dos courbé de la
propriétaire. Je pense qu’elle riait aussi.
À la fin du déjeuner, le cuisiner
d’un restaurant et son fils sont venus saluer les invités. Le garçon n’avait
encore qu’environ douze ans, mais comme il avait bien travaillé pour aider son
père, tout le monde a applaudi pour le remercier.Tous les participants ont
signé leur nom sur sa toque.
Plus tard se souviendra-t-il parfois
de ce déjeuner formidable de septembre, en regardant ces signatures en kanji ?
N’oubliera-t-il pas ces romanciers venus du Japon, un pays lointain, dans ce
petit village ?
À partir du paysage de Fuveau et des
mots de la dame ‘’voleur de fontaines’’, j’ai écrit « L’Enterrement de Brahman
». Je l’ai écrit avec l’intention de remercier les habitants du village. Je
suis heureuse d’être écrivain et de transformer en romans mes précieux
souvenirs.
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