Quelquefois, on m’a demandé si
j’apprenais le français pour parler avec des Français. Ma réponse était
toujours négative. Je mentirais si je disais que cela ne m’intéressait pas du
tout, mais je n’accordais pas d’importance aux échanges avec les Français. Quelles
que soient les nationalités, les gens me décevaient souvent et les êtres
humains ne sont que des êtres humains. En un mot, j’étais et je suis
misanthrope. Si je regardais un film, j'encourageais souvent les méchants
qui voulaient anéantir l’humanité entière. Si je regardais « Blanche neige »,
je tombais amoureux de la sorcière et non pas de la jeune fille innocente.
Cette question m’a rendu perplexe
parce que je me suis rendu compte que je ne savais pas pourquoi j’apprenais le
français. Avant tout, une langue est bel et bien un outil de communication. L’homo
sapiens a survécu grâce à ses cordes vocales développées, et l’homme de
Néandertal a disparu à cause de son incapacité à communiquer. Disparaîtrai-je
aussi comme eux ?
Lorsque j’y pense, la langue n’était
pas forcément un outil de communication pour moi. J’aimais noter dans mon
cahier de vocabulaire les mots qu’on n’utilisait guère dans la vie quotidienne,
le nom des maladies, les mots obsolètes ou les noms scientifiques des animaux
dans mon cahier de vocabulaire. C’était comme si je marchais sur la plage en
ramassant des coquillages d’une forme étrange. J’aimais également jouer avec les
mots. Si je changeais la place d’un adverbe ou d’un adjectif, une phrase
prenait un autre sens, comme si une image cachée surgissait d’un tableau. Je
découvrais qu’un texte avait une autre nuance si je supprimais ou changeais
certains mots. Je jouais aux échecs. J’avançais le mot ‘’daguerréotype’’ à C4.
Je reculais ‘’syphilis’’ à G3. Si je bougeais mes pièces, celles de mon
adversaire absent à jamais remuaient toutes seules. Un ‘’aéroplane’’ a été
déplacé à F7. ‘’ Une masse de ‘’ noctiluca scintillans’’ a fait chuter un
‘’dirigeable’’. J’aimais contempler le changement trépidant de ces images.
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