Je
suis allé à l’Alliance française de Sapporo pour rendre un livre à mon ancien
professeur. J’ai déjà parlé de cette histoire, mais avant de partir pour la
France, il m’a donné « La Carte et le territoire » de Michel Houellebecq. Le
livre était déjà usé, un peu jauni, ou il était peut-être de cette couleur
depuis le début. Il m’a dit qu’il était usé parce qu’il l’avait lu dans l’avion
pour venir au Japon. Cette fois, le livre allait en France avec moi. Mais une
question a surgi en moi. Comment pourrais-je le lui rendre ? Je lui ai posé
cette question. Il m’a dit qu’il s’en fichait et que je pourrais le rendre
quand je voudrais. « Si tu veux vraiment me le rendre, envoie-moi un mail. Je
te donne l’adresse de ma famille en France », m’a-t-il dit. C’était il y a deux
ans, un jour d’été frais à Sapporo.
Dès
que j’ai eu fini ce long roman, j’ai pensé le rendre à sa famille. Mais je ne
lui ai pas envoyé de mail parce que j’avais la flemme. Je ne sais pas pourquoi,
mais je n’arrive pas souvent à écrire ou à répondre à un mail. Je sais que la
rédaction d’un mail ne me prendra pas beaucoup de temps. Ça va se terminer en
trente minutes au maximum. Mais je trouve mille excuses pour ne pas répondre. «
Il n’y a plus de café. Il faut faire des courses », « J’ai un livre à rendre à
la bibliothèque », « Je pense que j’ai mal à la tête aujourd’hui », « J’ai
sommeil », « Je dois nettoyer ma chambre », « J’ai un devoir à faire » etc.
Pendant que je traîne ainsi, le temps passe, et je perds définitivement l’occasion
de répondre. C’est pourquoi j’ai gardé ce livre pendant deux ans sur mon
étagère.
L’Alliance
française se trouve au premier étage d’un immeuble ordinaire, où il y a les
bureaux de plusieurs entreprises. La porte de l’ascenseur s’est ouverte, et dès
que j’en suis sorti, la femme de la réception, la même personne qu’il y a deux
ans, m’a aussitôt reconnu et m’a dit : « Ah…Êtes-vous rentré pendant les
vacances d’été ? ». J’étais étonné car je croyais qu’elle m’avait déjà oublié.
Il y a beaucoup d’élèves à cette école. De plus, je suis physiquement banal. Je
pense qu’il y a 100 000 000 personnes qui me ressemblent au Japon. En
Asie, il y en a 100 000 000 000 000 000 000 000
et on pourrait même créer un village uniquement avec les gens qui me
ressemblent. Étonnement, elle se souvenait aussi de mon nom.
«
X (mon prof) est là ? lui ai-je demandé.
-
Il n’est pas là maintenant, mais je pense qu’il reviendra dans une heure. Si
vous le voulez, vous pouvez vous reposer là-bas… », m’a-t-elle dit.
Je
me suis assis sur un fauteuil devant la bibliothèque. La plupart des livres
sont en français. Il y a aussi des livres en japonais, mais ce sont des livres
traduits du français. En promenant mes yeux sur les rayons, cela m'a rappelé
l'époque où je faisais des exercices pour le DALF C1 avec mon prof. C’est aussi
là que j’ai découvert Le Clézio et Modiano. Il y avait aussi un livre d’Agota
Kristof. À un moment donné, j’ai découvert « La Possibilité d’une île » de
Michel Houellebecq, le livre que je lisais chez moi. Je l’ai pris et je me suis
mis à lire la suite.
Mon
prof est arrivé au bout d’une heure. Il n’avait ni grossi ni perdu ses cheveux.
En un mot, il semblait exactement le même qu’avant.
«
Bonjour, ça fait longtemps.... Je suis venu te rendre ton livre », ai-je dit en
lui donnant « La Carte et le territoire ». Je croyais qu’il l’avait sans doute
oublié, mais il s’en souvenait. Nous avons parlé de notre situation et de nos
quelques souvenirs.
«
La France te manque ?
-
Mes amis et ma famille oui, a-t-il dit.
-
Et la nourriture ?
-
Non ? Je mange la même chose que tout le monde.
-
Des sushis ?
-
Les Japonais ne mangent pas de sushis tous les jours. C’est un cliché. »,
a-t-il dit en riant.
Les
professeurs de l’Alliance française étaient aussi les mêmes qu’avant, sauf une
enseignante qui l’avait quittée.
«
Je croyais que tu avais oublié le livre, a-t-il dit, au moment de nous dire au
revoir.
-
Non, mais….
-
‘’J’avais la flemme’’ ?
-
Exactement ! Je croyais que tu m’avais oublié car tu dois avoir beaucoup d’élèves.
-
Il n’y a pas beaucoup de monde qui passe le C1.
- Je
pense passer le C2 cette année ».
L’heure
de son cours approchait. Nous nous sommes souhaité une bonne chance et je suis
monté dans l’ascenseur.
Le
soir, j’ai regardé « Mission Impossible : Rogue Nation » à la télé. Comme
d’habitude, Tom Cruise a vécu beaucoup de mésaventures. Il s’est fait torturer
: il est tombé de sa moto ; il s’est noyé et son cœur s’est arrêté, mais
finalement le méchant a été attrapé et tout le monde était heureux.
Demain,
je rentre en France.
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