vendredi 10 août 2018

" Galettes de riz enfouies dans le sol'' Sachiko Kishimoto


 Quand j’étais écolière, je prenais des leçons de piano une fois par semaine. Chez mon professeur, il y avait beaucoup de « Weekly Shônen Magazine » et je les dévorais en attendant mon tour. Ce magazine publiait « Ashita no Joe » ainsi que d’autres mangas.
 « Joe » reçoit un coup de poing de « Riki-ishi ». C’est un « uppercut ». Puis, de la bouche de Joe, quelque chose de blanc ensanglanté, ressemblant à une fève, jaillit vers le plafond qui brille au-dessus du ring. Joe tombe. Une belle femme aux cheveux longs et un homme aux yeux saillants crient : « Joooe ! ».
 Pendant longtemps, je croyais que cette sorte de fève ensanglantée était un rein. Je ne savais pas trop où les reins se trouvaient et à quoi ils servaient, mais je devinais que c’était un organe important. Je m’inquiétais secrètement pour Joe en me demandant s’il n’était pas risqué de cracher une chose aussi importante à chaque match.
 À une autre époque, je croyais que des gens étaient enfouis sous terre, au-dessous des rails, et qu’ils mâchaient des galettes de riz. C’était surtout quand un train passait sur un pont en fer et sur un rail à l’embranchement avant le terminus que tous ces gens en sous-sol mâchaient des galettes de riz, avec un bruit sec qui me mettait l’eau à la bouche.
 Il y eut aussi une période pendant laquelle je croyais que le japonais devenait de l’anglais si on le lisait à l’envers. J’ai pratiqué l’anglais en lisant à l’envers tous les mots japonais que je trouvais.
 Pour une raison obscure, à ce moment-là, ma mère répondait « Oui » à toutes mes questions.
« Est-ce un rein ? », lui ai-je demandé. « Oui », a répondu ma mère. « Est-ce le bruit que font les gens au-dessous des rails ? », ai-je demandé. « Oui », a répondu ma mère. « As-tu compris mon anglais ? », ai-je demandé. « Oui », a-t-elle dit.
 Je ne sais pas pourquoi. Elle en avait peut-être assez de mes questions ridicules.
 À une autre époque, je croyais que la mer était une créature.
 Un jour, je pensais à la mer et j’ai eu un doute. Pourquoi la mer a-t-elle des vagues ? Même si on mettait de l’eau dans un récipient, le liquide ne bougerait pas ainsi. Dans un verre ou une piscine, cette loi ne change pas. Alors, que sont ces vagues ? Elles s’avancent, puis elles se retirent. Elles s’avancent, puis elles se retirent. On dirait une respiration. Attends, une respiration ? Si ça se trouve, la mer est vivante ? En effet, l’horizon arrondi de la mer ressemble au dos d’un animal. De plus, la mer sent un peu le poisson.
« La mer est une créature ?
- Oui ».
 À ce moment-là, ma grand-mère était chez moi par hasard. Elle a aussi approuvé ma théorie en disant « Bien sûr que oui ! ».
 Plus tard, il s’est révélé qu’elle avait confondu « Umi (mer) » et « Uni (oursin) » et le malentendu selon lequel la mer est une créature a été rapidement dissipé. Depuis cet événement, je posais de moins en moins ce genre de questions et ma mère a commencé à me répondre sérieusement.
 Mais j’ai l’impression que le monde qui n’a existé qu’un court moment, où la mer était une créature au dos arrondi, qu’un rein sortait de la bouche de Joe à chaque match et des gens qui mangeaient des galettes de riz se cachaient au-dessous des rails, était encore plus confortable que le monde actuel.

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