Ce jour-là aussi, avec Shôko,
je suis allée dans un terrain vague.
Comme
nos appartements étaient voisins, nous rentrions toujours ensemble. Le terrain
inoccupé se trouvait sur le chemin que nous empruntions pour rentrer de l’école.
Il couvrait la surface d’une petite maison. La haie nous cachait depuis la rue
et c’était comme si nous étions dans une pièce.
Je
ne sais pas de quel arbre il s’agissait. En arrachant de la haie des feuilles
épaisses et luisantes d’un vert sombre, nous parlions de livres.
Je
pense qu’il y a encore dans le monde beaucoup de livres qui ne sont pas écrits,
ai-je dit. Mais non, quels que soient les livres, il n’y en a pas un seul qui
n’est pas écrit, m’a répliqué Shôko. Elle est venue d’Okayama quand j’étais en
troisième année d’école primaire. Peu après, elle a reçu un certificat de
mérite de son ancienne école. La préfecture lui a décerné un prix parce que son
journal d’observation de volubilis était excellent, ou c’était peut-être le
pays qui le lui a donné.
Alors,
ai-je dit d’un air un peu intimidé, et j’ai regardé autour de moi. À mes pieds,
il y avait un bâton. Alors, un bâton ? Il y a des livres qui ont pour héros un
bâton ? Sans me répondre tout de suite, Shôko a arraché une feuille. Son visage
était bronzé. Sa peau d’une couleur dorée était l’image idéale des enfants de
l’époque. Shôko était forte en sport et en musique.
-
Oui, a-t-elle dit. J’en ai vu un il y a quelques jours. Dans la librairie près
de la gare Keidô.
-
Eh, vraiment ? Comment ça s’appelle ? C’est un livre pour enfants ?
-
Non, pour adultes. Ça s’appelle « Les Bâtons jumeaux ».
-
Eh ! Ça parle de quoi ? Tu l’as lu ?
-
Oui, je l’ai lu jusqu’au bout. C’était un livre mince. Et ça commence comme ça
: Autrefois, il y avait un bâton. Ce bâton était une fille et elle s’appelait
Bôko. Bôko avait un frère jumeau qui s’appelait Bô-o. Ils étaient liés en forme
de ‘’H’’. Ils s’entendaient très bien et quand ils allaient quelque part, ils
étaient toujours ensemble.
Et
Shôko s’est tue de nouveau. J’ai cru entendre son cerveau tourner de toutes ses
forces. Une libellule s’est posée sur son cartable à bretelles jeté par terre.
-
Mais un jour, Bô-o est mort.
-
Eh, il est mort ?
-
Oui, a dit Shôko. J’ai tourné la page. Un seul mot ‘’mort’’. J’ai de nouveau
tourné la page. Cette fois, le mot ‘’mort’’ écrit en petit et en gros, remplissait
la page entière. Mortmortmortmortmortmort.
J’ai
regardé Shôko. Elle portait le sarrau vert à carreaux rouges que je portais
jusqu’à l’an dernier. Je ne dépassais Shôko que par la taille. Je lui avais
donné mon ancien sarrau trop petit pour moi. Un instant, je ne savais plus avec
qui je parlais et j’ai eu la tête qui tournait.
-
Et Bôko, devenue le ‘’I’’ de ‘’H’’ a commencé à voyager dans le monde entier
pour se faire des amis. Fin. Ah, donc, en vrai, ça s’appelle « Bôko voyageuse ».
-
Ce livre existe encore ? Ça te dit d’aller le voir ?
-
Non, je suis retournée le voir, mais il n’était plus là.
La
musique annonçant le crépuscule se faisait entendre venant de l’école. Après
avoir arraché de nombreuses feuilles, mes doigts étaient teintés de vert et
avaient une odeur des mandarines pas mûres.
Il
y a presque quarante ans de cela. Chaque fois que j’y repense, je me dis que ce
livre n'a jamais existé. En même temps, j’ai l’impression de l’avoir lu bien
des fois. Le papier était crème et un peu épais. Les caractères étaient
distincts et d’un bleu foncé. Le signet était d’un beau rouge.
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