vendredi 31 août 2018

''The Best Book of My Life'' Sachiko Kishimoto


 Ce jour-là aussi, avec Shôko, je suis allée dans un terrain vague.
 Comme nos appartements étaient voisins, nous rentrions toujours ensemble. Le terrain inoccupé se trouvait sur le chemin que nous empruntions pour rentrer de l’école. Il couvrait la surface d’une petite maison. La haie nous cachait depuis la rue et c’était comme si nous étions dans une pièce.
 Je ne sais pas de quel arbre il s’agissait. En arrachant de la haie des feuilles épaisses et luisantes d’un vert sombre, nous parlions de livres.
 Je pense qu’il y a encore dans le monde beaucoup de livres qui ne sont pas écrits, ai-je dit. Mais non, quels que soient les livres, il n’y en a pas un seul qui n’est pas écrit, m’a répliqué Shôko. Elle est venue d’Okayama quand j’étais en troisième année d’école primaire. Peu après, elle a reçu un certificat de mérite de son ancienne école. La préfecture lui a décerné un prix parce que son journal d’observation de volubilis était excellent, ou c’était peut-être le pays qui le lui a donné.
 Alors, ai-je dit d’un air un peu intimidé, et j’ai regardé autour de moi. À mes pieds, il y avait un bâton. Alors, un bâton ? Il y a des livres qui ont pour héros un bâton ? Sans me répondre tout de suite, Shôko a arraché une feuille. Son visage était bronzé. Sa peau d’une couleur dorée était l’image idéale des enfants de l’époque. Shôko était forte en sport et en musique.
- Oui, a-t-elle dit. J’en ai vu un il y a quelques jours. Dans la librairie près de la gare Keidô.
- Eh, vraiment ? Comment ça s’appelle ? C’est un livre pour enfants ?
- Non, pour adultes. Ça s’appelle « Les Bâtons jumeaux ».
- Eh ! Ça parle de quoi ? Tu l’as lu ?
- Oui, je l’ai lu jusqu’au bout. C’était un livre mince. Et ça commence comme ça : Autrefois, il y avait un bâton. Ce bâton était une fille et elle s’appelait Bôko. Bôko avait un frère jumeau qui s’appelait Bô-o. Ils étaient liés en forme de ‘’H’’. Ils s’entendaient très bien et quand ils allaient quelque part, ils étaient toujours ensemble.
Et Shôko s’est tue de nouveau. J’ai cru entendre son cerveau tourner de toutes ses forces. Une libellule s’est posée sur son cartable à bretelles jeté par terre.
- Mais un jour, Bô-o est mort.
- Eh, il est mort ?
- Oui, a dit Shôko. J’ai tourné la page. Un seul mot ‘’mort’’. J’ai de nouveau tourné la page. Cette fois, le mot ‘’mort’’ écrit en petit et en gros, remplissait la page entière. Mortmortmortmortmortmort.
 J’ai regardé Shôko. Elle portait le sarrau vert à carreaux rouges que je portais jusqu’à l’an dernier. Je ne dépassais Shôko que par la taille. Je lui avais donné mon ancien sarrau trop petit pour moi. Un instant, je ne savais plus avec qui je parlais et j’ai eu la tête qui tournait.  
- Et Bôko, devenue le ‘’I’’ de ‘’H’’ a commencé à voyager dans le monde entier pour se faire des amis. Fin. Ah, donc, en vrai, ça s’appelle « Bôko voyageuse ».
- Ce livre existe encore ? Ça te dit d’aller le voir ?
- Non, je suis retournée le voir, mais il n’était plus là.
 La musique annonçant le crépuscule se faisait entendre venant de l’école. Après avoir arraché de nombreuses feuilles, mes doigts étaient teintés de vert et avaient une odeur des mandarines pas mûres.
 Il y a presque quarante ans de cela. Chaque fois que j’y repense, je me dis que ce livre n'a jamais existé. En même temps, j’ai l’impression de l’avoir lu bien des fois. Le papier était crème et un peu épais. Les caractères étaient distincts et d’un bleu foncé. Le signet était d’un beau rouge.

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