Mon
passe-temps secret, c’est d’admirer les pièces en désordre chez les autres. Si
la télé diffusait une émission sur ce sujet, je la regarderais sans en perdre
une minute.
Une pièce en désordre, c’est la fantaisie. Les
pièces élégantes garnies de beaux meubles se ressemblent, mais chaque pièce en
désordre a sa façon d’être. Certaines débordent de mangas, de magazines, de
jeux vidéo et de périphériques. Dans d’autres, des piles de sacs en plastique atteignent
le plafond. Il arrive aussi que des sacs de marque soient posés sur une
montagne de peluches, de boîtes-repas, de bouteilles plastiques et de sacs en
papier. C’est une fourmilière construite par des humains. C’est un univers où le
cerveau des hommes se cristallise.
J’aime
regarder ainsi les pièces en désordre, mais je n’ai eu qu’une seule fois l’occasion
de mettre les pieds dans une pièce où régnait vraiment le chaos.
C’était
la chambre d’un camarade d’université, R. R était bizarre. On pouvait
difficilement deviner son âge. Il avait l’air d’avoir à la fois dix-huit et
quarante ans. Parfois il était habillé de manière élégante comme un gentleman
anglais, mais il lui arrivait aussi de porter un manteau au-dessus de son
pyjama. S’il était calme d’ordinaire, il devenait violent quand on enlevait la
cellophane de son paquet de cigarettes. Il avait tendance à se faire frapper
par les filles quand il était ivre. Il a perdu aux courses de cheval tout
l’argent que ses parents lui ont envoyé. Il a survécu un mois en mangeant à la
dérobée des échantillons dans la vitrine de la cantine.
«
S’il vous plaîîît, ma chambre est en désordre, nous a dit un jour ce R d’un air
implorant. Je vais devenir fouuu. Je vais vous offrir des sushiiis ».
Un
jour de printemps, quelques garçons et filles attirés par la perspective d’un
repas de sushis sont allés chez R. À côté de l’entrée, il y avait une petite
cuisine et pour une raison obscure, un futon y était étalé. On a immédiatement
compris pourquoi. Dans la pièce à six tatamis de l’autre côté de la porte vitrée,
divers objets étaient entassés et c’était même impossible de marcher.
Sur les assiettes accumulées dans l’évier, flottait
un cadavre de libellule à moitié décomposé. Dans un coin de la pièce, il y
avait une balle de tennis. C’était en fait une tangerine couverte de moisi. Je
me suis sentie mal et j’ai mis la main sur la télé à côté de moi. L’empreinte
de ma main s’y est dessinée. La télé que je croyais blanche, était en fait
noire. On a tous regretté d’être venus, mais c’était trop tard. À côté de nous,
avait-il honte, R ne tenait pas en place.
Les
objets nécessaires à la vie d’un étudiant, vêtements, manuels, dictionnaires,
stylos et petite monnaie constituaient la première couche de ce qui couvrait le
sol. Dessus, des journaux de courses de chevaux et de catch, des mangas, des
recueils de photos de stars, des bouteilles de saké et de la seiche séchée
représentant ce qui passionnait R, constituaient la deuxième couche. Il nous a
fallu quelques heures pour enlever cette deuxième couche. Finalement, un
kotatsu (table couverte d’une couverture épaisse) est apparu pour la première fois
depuis plusieurs mois.
Nous
avons manipulé le kotatsu avec prudence. Tout le monde s’en rendait compte. La
structure de cette pièce représentait R lui-même. La première couche était son
surmoi. Si la deuxième était son moi, la couche inférieure était son ça, le
désir basé sur l’instinct.
Nous
avons soulevé le kotatsu et découvert quelques morceaux de papier. Dès que l’un
d’entre nous en a pris un et s’est mis à le lire à haute voix, R a couru et
s’en est emparé. Il l’a froissé et l’a mis dans sa bouche. Il est sorti de
l’appartement et n’est jamais revenu.
On
ne sait pas exactement de quoi il s’agissait. Quelqu’un a dit que ça
ressemblait à une lettre d’amour. Un autre a dit que c’était un roman érotique avec
pour sujet la fille d'université dont il était amoureux. Mais personne ne savait la vérité.
Depuis ce jour, R a arrêté de venir en cours et il a redoublé. J’ai entendu
dire qu’il a obtenu son diplôme quelques années après nous, mais je ne sais pas
ce qu’il fait aujourd’hui.
Il
ne nous a toujours pas offert de sushis.
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