vendredi 23 mars 2018

Mishima et Dazai


 En ce moment, je suis éveillé. Depuis quelques jours, je suis sorti de ma torpeur dépressive et je suis exalté sans raison. J’ai envie de dire bonjour et d’embrasser toutes les personnes que je croise dans la rue comme on le chante dans « Aux Champs-Elysées ». Si vous voyiez un fou jaune qui disait bonjour à n'importe qui à ‘’la Petite France’’, ce serait sûrement moi.

 Comme un cycle de conférences sur Yukio Mishima est organisé à Strasbourg, aujourd’hui j’aimerais raconter quelques anecdotes sur cet écrivain.

 Quand Yukio Mishima était jeune, il a assisté à une réunion des amis d’Osamu Dazai. Dazai en personne était présent. Et le jeune Mishima lui a dit en face : « Moi, je n’aime pas du tout vos romans ». Dazai lui a répondu : « Mais tu es venu. Alors, tu aimes quand mêmes mes livres, n’est-ce pas ? ».

 Cet épisode est raconté dans un essai autobiographique de Mishima (« Watashi no henreki jidai »). Il semble qu’il ne soit pas traduit en français.

 Mishima semblait détester profondément Osamu Dazai. Dans une interview, il explique que cette répugnance vient du rapport entre l’écrivain et ses œuvres. En le comparant à Goethe, il dit que dans « Les souffrances du jeune Werther », Werther s’est suicidé, sauvant ainsi l’auteur, tandis que Dazai s’est suicidé sans que son âme soit sauvée. Selon lui, qu’une œuvre littéraire incite au suicide ne fait pas problème car ''la littérature n'est pas un remède'', mais si l’auteur n’est pas sauvé, écrire ne présente aucun intérêt.

 Osamu Dazai était un écrivain talentueux, mais comme le dit Mishima, il avait bon nombre de problèmes. Il a tenté de se suicider trois fois avec ses maîtresses, mais chaque fois il a survécu et seules ces femmes sont mortes. La quatrième fois, il a tenté de se noyer avec une autre femme dans une rivière, et il a enfin réussi. Il avait trente-huit ans. En ce qui concerne la raison de son suicide, il s’exprime ainsi dans son testament : « Je meurs car je suis las d’écrire des romans. Les êtres humains sont tous ignobles et rapaces. Monsieur Ibuse est une mauvaise personne ».

 Avant de devenir romancier, le héros littéraire d’Osamu Dazai était Ryûnosuke Akutagawa. Au Japon, il existe un prix littéraire prestigieux qui porte son nom, le prix Akutagawa. Dazai rêvait d’en être le lauréat. Toutefois, il a été rejeté par le président du jury, Yasunari Kawabata sous prétexte que sa personnalité avait quelque chose de maladif. L’un des romans les plus célèbres de Dazai, « Cours, Mélos ! » commence par la phrase suivante : « Mélos fut pris de rage. Il résolut d’éliminer le roi cruel et violent ». Exactement comme Mélos, Dazai fut pris de rage, il résolut d’éliminer le cruel et violent Yasunari Kawabata. Il écrit dans un texte intitulé « À Yasunari Kawabata » : « Je m’enflammai de colère. Je passai plusieurs nuits sans pouvoir dormir. S’occuper d’un oiseau et contempler une danseuse, est-ce une vie si noble ? Je dois le poignarder, me dis-je. C’est un scélérat incroyable, pensai-je. »
 Ironiquement, ce texte justifie la décision de Kawabata. Dazai était déséquilibré et ne méritait pas le prix Akutagawa.

 Mishima n’était pas un pleurnicheur comme Dazai. Au contraire, il se comportait de manière virile, macho et même sexiste. Cependant, en fait de ‘’personnalité maladive’’, je pense qu’il y a quelque chose de commun entre Mishima et Dazai. Mishima était, lui aussi, obsédé par la mort ; il l’associait même à la sexualité comme on le voit dans « La Confession d’un masque ». Il a aussi adapté sa nouvelle « Yūkoku ou Rites d'amour et de mort » au cinéma. Dans ce film, il y a une scène où Mishima en uniforme se suicide en s’ouvrant le ventre avec une épée, ce qui fait penser exactement à sa mort qui a eu lieu plus tard à la base militaire d’Ichigaya. Ce n’est qu’un avis personnel, mais certaines de ses œuvres donnent l’impression qu’elles ne sont qu’une préparation à une mort héroïque. À vrai dire, c’est l'une des raisons pour lesquelles ses œuvres m’intéressent moins que celles d’autres écrivains japonais tels que Haruki Murakami ou Sôseki Natsume, malgré leur valeur littéraire incontestable.

 Cependant, Mishima semblait sentir aussi qu’il avait quelque chose de commun avec Dazai. Dans la même interview, il continue ainsi : « Je pense quand même qu’il y a des points similaires entre nous. Par exemple, il arrive entre amis que celui qui nous ressemble nous irrite sans raison, et que celui avec qui on s’entend bien a souvent un tempérament très différent. Peut-être est-ce la raison pour laquelle je le déteste. Si j’admirais ses œuvres, il se pourrait que je devienne comme lui. Cette idée m’effraie et j’ai ressenti le besoin de mettre de la distance entre nous ».

 En janvier 2018, on a découvert la cassette d’une interview de Yukio Mishima inédite à la chaîne de télévision TBS. Personne ne connaissait l’existence de cette cassette. Cette interview a été enregistrée neuf mois avant le suicide de Mishima, en février 1970, pendant qu’il travaillait à la création de « La Mer de la fertilité ». À son traducteur anglais John Bester, il avoue avec volubilité et aisance les défauts de ses œuvres et ses vues sur la vie et la mort.


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