Un
jour du début de l’été, Kelly m’a dit qu’un colis qu’elle m’avait envoyé était
arrivé à la poste. Toutefois je ne n’avais pas reçu d’avis de passage. Dès que
je le lui ai dit, elle m’a envoyé la copie du suivi du colis qui montrait bel
et bien que son colis y était arrivé.
J’étais
déjà allé la poste plusieurs fois, mais j’avais toujours sur moi des avis de
passages. Cette fois, je n’avais rien. Devant l’entrée de la poste, je me suis
demandé comment je pourrais demander à un employé de me donner mon colis. J’ai
imaginé ce qui se passerait. J’enterais par la porte comme à l'accoutumée. Puis,
je dirais bonjour à un employé, et je lui expliquerais que j'étais venu
chercher mon colis. Il me demanderait de lui monter une pièce d’identité et un
avis de passage. Je lui montrerais mon passeport et l’image que Kelly m’avait
envoyée, en lui expliquant que je n’avais pas reçu d’avis de passage. Il irait
chercher ensuite mon colis, et me le donnerait.
«
Mais ce n’est qu’une hypothèse, me suis-je dit. Il n'y a aucune raison que ça
se passe comme j'imagine. Il se peut que cet employé à qui je parlerai soit
quelqu’un de violent qui se fâche quand un client n’a pas d’avis de passage. Il
se peut qu’il y ait une longue queue à l’intérieur. Il se peut qu’il n’y ait
pas mon colis. Il se peut qu’on refuse de me donner mon colis sans avis de
passage. Il se peut que Kelly se soit trompée de mon nom, et qu’ils ne me
donnent pas le colis. Il se peut aussi qu’ils ne comprennent pas mon français. »
En
imaginant diverses possibilités, j’ai commencé à être pris d’angoisse. Devant
l'entrée de la poste, je me suis assis sur le perron et je me suis mis à
réfléchir sérieusement. Pendant ce temps, plusieurs clients entraient et
sortaient. J’étais effectivement la seule personne qui n'arrivais pas à entrer à
la poste. J’ai jeté un coup d’œil à la porte automatique. Maintenant elle
ressemblait à mes yeux à la Porte de l’Enfer de Rodin et j’étais le Penseur.
Les rayons du soleil me brûlaient la peau. De la sueur a coulé sur mon front. « Dois-je
entrer ou rebrousser chemin ? ». Après mûre réflexion, j’ai finalement
jugé que c’était prématuré d’entrer à la poste et je suis rentré chez moi.
J’ai
rapporté à Kelly que j’étais allé à la poste, mais que je n’avais pas réussi à
y entrer. « Rooooh », a dit Kelly. Puis
elle m’a dit de retourner à la poste le lendemain.
Le
lendemain, je suis retourné me venger de la poste qui m'avait tant affligé. La
veille, je n’avais pas pu y entrer car j’avais trop réfléchi. Cette fois, j’ai
vidé ma tête au maximum, et j’y suis entré en me disant que j'étais un
automate. J’ai dit bonjour à une employée, une femme d’âge mûre qui semblait
avoir du caractère, et je lui ai expliqué que je n’avais pas reçu d’avis de
passage, mais que mon colis semblait être là. Elle est allée le chercher.
Quelques instants plus tard, elle est revenue avec un petit carton et m'a
demandé de signer un reçu.
Le
petit carton était léger. Il me semblait presque vide. Je me suis demandé si
Kelly s’était moquée de moi et si elle m’avait envoyé exprès un colis vide. Je
suis rentré chez moi et je l’ai ouvert avec une légère inquiétude. À
l’intérieur, il y avait un petit sac en papier. Je l’ai ouvert, et cette fois,
j’ai trouvé un petit ourson en peluche.
À l’époque,
je m’intéressais beaucoup au ministre de la première police secrète française,
Joseph Fouché. J’ai donc nommé l’ourson Joseph. Toutefois Kelly était
mécontente de ce prénom. Elle m’a dit que c’était le prénom d’un de ses
ex-copains.
Kelly
avait eu d'innombrables copains dans sa vie. Si je donnais à l’ourson un prénom
ordinaire tel que Michel, François, Claude, Pierre, Patrick, Edouard, Xavier,
Charles, il risquait de tomber sur celui d’un autre de ses nombreux ex-petits
amis. J’avais donc besoin de chercher un prénom peu commun. À ce moment-là, le
nom du rival de Fouché m’est venu à l’esprit. ‘’Le diable boiteux’’,
Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord. J’ai ainsi nommé l’ourson Talleyrand.
Kelly ne connaissait pas cet homme. Elle ne savait même pas si
ce nom était français. Je lui ai brièvement expliqué que c’était un diplomate
sous le régime napoléonien, mais qu’il avait trahi l’empereur au profit de la
nation. Par la curiosité, je lui ai demandé qui était la femme de Bonaparte. «
Marie-Antoinette ? », a dit Kelly.
Depuis
lors, l’ourson Talleyrand vit avec moi. Au matin, il se trouve de temps à autre
entre le lit et le mur ou sur le plancher pour une raison inconnue. Comme il
est seul lorsque je suis à la fac, il exige d’avoir un frère. Je transmets sa
requête à Kelly, mais elle refuse de nous donner un autre ourson. Maintenant,
Talleyrand est en train de lire ''Anna Karénine'' sur mon lit.
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