mardi 6 mars 2018

Le bouton et Dali


 J’ai accroché la manche gauche de mon manteau au niveau du poignet. Le bouton est tombé. Comme j’avais des aiguilles et du fil, j’ai essayé de le recoudre chez moi, mais le fil s’est emmêlé et j’ai finalement abandonné. À ce moment-là, une idée m'est venue. J’ai demandé à mon esclave si elle savait coudre.

 C’était hier. Aujourd’hui, après les cours, je suis allé pour la première fois chez mon esclave. Son appartement était beaucoup plus moderne et joli que ma résidence qui ressemble à un HLM soviétique. Sa chambre était aussi plus grande et plus propre. Par rapport à la sienne, ma chambre est comme une cage à lapins.

 Une copie d’un tableau de Dali était accrochée au mur. J’ai donc demandé à mon esclave si elle aimait Dali. Mais il lui a fallu quelques minutes pour comprendre que c’était le nom d’un peintre espagnol. Mon esclave a expliqué que c'est le propriétaire qui a accroché cette copie. Elle m’a dit qu’elle ne savait pas si c’était Dali ou pas. Mais j’étais sûr que c’était un Dali et que la femme du tableau était son épouse Gala. Je me suis approché du tableau pour chercher la signature. Elle ne se trouvait pas dans les coins. Au bout d’un instant, je l’ai tout de suite trouvée sur un objet qui ressemblait à un cercueil. Mon esclave a aussi reconnu qu'il était écrit en tout petit « Salvaun dor Dali ». J’ai émis une opinion personnelle selon laquelle Dali se prétendait avant-gardiste et ce qui n'est pas faux, mais que sa technique et sa composition sont purement académiques et traditionnelles. Cela ne semblait pas intéresser mon esclave. Elle n'a rien dit de particulier.

 Sur l’étagère, il y avait beaucoup de livres de Yukio Mishima. J’ai pris son dernier ouvrage « La mer de la fertilité ». Ce livre est épais comme un dictionnaire. Aussitôt, la lecture de ce roman m’a découragé. J’ai pensé que lire la première page et la dernière page suffisaient peut-être. Je me suis mis à lire à haute voix le dernier paragraphe, mon esclave m'a tout de suite arrêté. Ensuite, elle m'a demandé si je n’aimais pas lire de gros livres. Si, ai-je répondu. J’ai adoré « 1Q84 » et « Les Frères Karamazov ». Sur la table, « Le Pavillon d’or » que mon esclave n’avait pas encore fini était resté sur la table. Je l’avais déjà lu à l’époque où je ne maîtrisais pas le français et je l’avais trouvé magnifique, cependant je ne me souvenais plus des détails. J’ai dit à mon esclave que j’admirais en effet le talent immense et l’intelligence surhumaine de Yukio Mishima, mais que son style semblait dire : ‘’Regardez combien  je suis intelligent, regardez le riche vocabulaire que je possède. Pourrez-vous en faire autant ?’’. Mon esclave s’est esclaffée.

 Nous nous sommes assis sur le lit. Mon esclave s’est mise à recoudre le bouton de mon manteau. Comme je m’étais beaucoup moqué d’elle à chaque fois qu’elle perdait au scrabble (‘’Tu as encore perdu alors que tu es française’’, ‘’Parfois je veux aussi perdre’’, ‘’Arrête de te comporter comme une femme’’ etc.), j’avais peur qu’elle me pique avec une aiguille, mais ce souci s'est avéré inutile. 

 Pendant qu’elle travaillait, je lui ai parlé d’un livre que je lis en ce moment, « The Man In The High Castle » de Philippe K Dick. Je lui ai expliqué que ce livre parle d’un monde où les États-Unis sont dominés par l’Allemagne nazie et le Japon impériale, et qu’il y avait aussi une série dans laquelle les Japs et les Allemands sont les vilains. Cette histoire semblait l’intéresser beaucoup plus que Dali. Elle m’a écouté attentivement.

 Quelques minutes plus tard, elle a fini de recoudre le bouton. J’ai vérifié l’état de la manche de mon manteau. Le bouton était joliment cousu comme s’il était neuf. Je l'ai félicitée de son travail.

 Je lui ai dit de rentrer chez elle, mais elle m’a répliqué qu’elle était chez elle. Je n'ai pas réussi à squatter sa jolie chambre. Quand je partais, j’ai remarqué que la porte de la salle de bain était fermée. « Il doit y avoir un cadavre démembré », ai-je pensé.

 Dans le tram du retour, j’ai lu un peu « Le jeu du siècle » de Kenzaburô Oé qu’elle m’a offert.


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