jeudi 1 mars 2018

''Je suis un chat. Je n'ai pas encore de nom''



 Aujourd’hui, j’ai fait mon devoir de dissertation. Comme je me suis reposé toutes les trois secondes, j’ai avancé très lentement. Ma couette m’a appelé chaque fois que j’ai écrit une ligne.

 Quand j’écris une dissertation, j’ai beaucoup de mal à trouver des idées. Je me concentre plutôt sur comment allonger une phrase autant que possible que de disserter. J’ajoute beaucoup d’adverbes et j’insère beaucoup de citations pour gagner des pages. Je regarde dans le vide en cherchant des idées, toutefois tout ce qui me vient à l’esprit est mes cuisines préférées. L’image du curry indien, du steak, du gratin, des sushis flottent dans l’air. Si j’étais Marcel Proust, je pourrais remplir une page blanche très facilement, mais comme je ne suis qu’un pauvre étudiant en lettres, je suis obligé de galérer en chassant les images de nourriture du coin de l’œil.

 Hier j’ai fini « Je suis un chat ». C’était une lecture très divertissante. J’ai ri à quelques passages. Mais comme il s’agit de la première œuvre de Natsume Sôseki, sa qualité semble plus ou moins inférieure à ses autres romans. Par exemple, la composition est moins solide que ses chefs d’œuvres. (Mais c’est normal, vu que Sôseki avait l’intention d’écrire uniquement le premier chapitre, qui a en plus été manié par un de ses amis).

 J'ai écrit il y a quelques jours sur la possibilité que Sôseki ait écouté Beethoven de son vivant. Cette énigme est résolue. Je conclus que l'écrivain connaissait très probablement la musique de ce grand compositeur parce qu'il y a une scène où le chat compare son miaulement à une symphonie de Beethoven :
«¨Pour la troisième fois, je pousse un miaulement particulièrement complexe pour attirer sans faute l'attention de la bonne : mia-oû-oû-ôh, Je considère in petto avoir réussi une mélodie de toute beauté qui ne cède en rien à une symphonie de Beethoven (...) »

 Si on lit encore « Je suis un chat », c’est parce que la perspicacité de Sôseki est toujours vivante même à notre époque moderne et que la société humaine, qu'elle soit japonaise ou occidentale, n’a peut-être pas de grande différence au fond. Il y a un passage qui m’a bien impressionné :
« Il se pourrait même que la société soit un rassemblement de fous. Des fous qui se regroupent pour se battre entre eux, se quereller, s’insulter, se voler ; tous ces fous forment un tout et vivent comme une cellule en se désagrégeant puis se réformant et ainsi de suite, et on appelle cela la société. Parmi ces gens, quelques-uns ont un peu de compréhension et de discernement, et comme ils gênent ainsi les autres, on construit des asiles pour les y enfermer et les empêcher de sortir dans la société. Dans ce cas, ceux qui se trouvent dans les asiles sont les fous. Quand la folie est isolée, elle est considérée comme folie, mais quand elle unit un groupe et lui donne la puissance, elle devient l’apanage des gens normaux. On voit beaucoup de déments employer leur argent et leur autorité à tort et à travers pour inciter à la violence d’autres fous moins puissants qu’eux, et le monde les considère comme des personnages de fort bonne compagnie (…) » 
 Cette réflexion m’a marqué parce qu’elle m’a fait penser au Nazi. La première publication de « Je suis un chat » est en 1905, même avant le début de la première guerre mondiale, et l’auteur meurt en 1916. Sôseki n’a été écrivain que pendant environ dix ans.

 J’ai beaucoup aimé le passage où Sôseki, non, le professeur Kushami se moque de sa femme en l'appelant ‘’Otanchin Paléologue’’.
« - Comment peux-tu savoir si c’est absurde alors que tu reconnais ne rien savoir du prix ? Cela n’a pas de sens. Voilà, pourquoi je t’appelle Otanchin Paléologue ! 
- Pardon ? 
- Otanchin Paléologue ! 
- Qu’est-ce que cet Otanchin Paléologue ? 
- Aucune importance. La suite ! Tu n’as encore rien dit de ce qui m’appartient. 
- La suite importe peu. Dis-moi ce que signifie Otanchin Paléologue ! 
- Cela n’a évidemment aucun sens. 
- Pourquoi ne veux-tu pas me le dire ? Tu aimes vraiment te moquer de moi, n’est-ce pas ? Tu profites de ce que je ne sais pas l’anglais pour me donner toutes sortes de noms »
 Et voici, la note du traducteur : « Dans le langage des courtisanes d’Édo, Otanchin désigne un client détesté, et par la suite un imbécile dans le langage populaire. Jouant de sa ressemblance phonétique avec la prononciation japonaise de Constantin, Sôseki a formé le mot Otanchin Paléologue sur le modèle du nom du dernier empereur romain d’Orient, Constantin le Paléologue. Sôseki employait souvent cette expression quand il s’adressait à sa femme, qui ne manquait pas d’en demander le sens aux étudiants venant rendre visite à son mari ».

 C’est plutôt tragique, vous ne trouvez pas ?

 Le maître de la maison où vit le chat, le professeur Kushami, ne sort que très peu, en revanche il dort tout le temps. Moi aussi, je dors beaucoup (je dois dormir au moins douze heures par jour pour être pleinement éveillé), j'avais l'impression que cela parlait de moi et j’ai eu un peu honte. 
 Ah, la couette m’appelle.

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