jeudi 29 mars 2018

''Lune de miel avec la croquette'' Haruki Murakami



 J’avais un chat mâle couleur de croquette que j’avais donc nommé ‘’croquette’’. Évidemment, chaque que je le voyais, j’avais envie de manger des croquettes et c’était gênant. Mais les croquettes sont un plat que l’on ne peut pas détester. Moi, j’aime ça. Il n’y a pas de méchant parmi les amateurs de croquettes – je n’irai pas jusque-là, mais on ne peut pas battre une personne qui est en train de manger nonchalamment des croquettes à table. Mais cela ne veut pas dire que l’on peut l’attaquer si elle mange de la viande grillée. (C’est normal).

 Mon épouse n’aime pas faire de la friture. Je n’ai pas le souvenir qu’elle m’ait servi des croquettes ou des tempuras depuis notre mariage. Si je voulais manger des croquettes chez moi, je devrais donc en acheter quelque part ou sinon en faire moi-même. Comme je ne détestais pas cuisiner, de temps en temps, il m’arrivait de préparer des croquettes.

 J’achetais des pommes de terre, je les faisais bouillir et les écrasais. Ensuite, je les mélangeais avec de la viande et j’en faisais des pâtons. Après les avoir enrobés de chapelure, j’enveloppais chacun des pâtons dans un film-plastique et je les congelais. Et quand j’avais envie d’en manger, j’en sortais autant que je voulais; je les laissais dégeler, puis je les faisais frire. Comme je ne voulais pas préparer souvent des pâtons, une fois, j’en ai fait pour les six mois à venir et je les ai mis dans le congélateur. C’était possible car, pour une certaine raison, j’avais alors un énorme réfrigérateur à usage professionnel. Ainsi, les croquettes et moi avons entretenu une relation innocente et satisfaisante pendant longtemps.

 Mais le désastre vous guette comme une voiture-piège sur la route d’Odawara-Atsugi. Un jour, le réfrigérateur est tout à coup tombé en panne. Je pense que c’était quelque chose comme une fuite de gaz. Il y avait du courant, mais le frigo ne fonctionnait plus du tout. Par conséquent, les pâtons que j’avais fait congeler s’amollissaient de plus en plus et s'abîmaient à vue d'œil comme Ophélie mourante. De plus, c’était le weekend et personne ne pouvait venir le réparer. Comme je ne pouvais rien y faire, j’ai finalement décidé de faire frire des croquettes, et d'en manger autant que je pourrais. C’est donc ce que j’ai fait. J’ai mangé des croquettes pendant deux jours. C’était pénible. À cause de cet incident, je n’ai vraiment plus voulu voir une seule croquette pendant quelques années. J’ai même rêvé que j’étais entouré par une bande de croquettes méchantes et qu’elles m’attaquaient à coups de poing et de pied. Cependant, le temps a passé. Ce souvenir malheureux s’est effacé petit à petit. Enfin, j’ai pu me réconcilier avec les croquettes. Je n’ai plus la force de préparer des pâtons et de les congeler (la seule pensée de la panne du frigo me donne mal au cœur), mais j’achète parfois des croquettes à la boucherie d’une rue marchande. Ensuite, j’achète du pain en tranches à la boulangerie voisine, je vais au parc, et je mets une croquette entre deux tranches de pain que je mange sans arrière-pensée. Il y a de nombreux restaurants dans le monde, mais y a-t-il l’équivalent du plaisir de dévorer du "pain à croquette chaude", assis sur un banc dans un parc, un bel après-midi d’automne ? Non, il n’y en a pas (antiphase). Au fait, j’ai l’impression de parler très souvent de nourriture dans ce livre.

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