lundi 19 mars 2018

''S'il y avait une voiture-restaurant'' Haruki Murakami


 On en voit rarement ces derniers temps, mais j’aime bien les voitures-restaurants. Lorsque je partais en voyage, j’aimais aller à la voiture-restaurant et prendre le temps de savourer un repas. Même quand j’étais jeune et pauvre, si je prenais le train lors d’un voyage, j’allais toujours à la voiture-restaurant.
Il n’y aurait rien à dire si la table était couverte d’une nappe blanche (même si elle avait quelques vieilles taches de sauce), si la vaisselle était classique et lourde, et s’il y avait un œillet dans un vase. Je commanderais d’abord une bière. Quelques minutes plus tard, on me servirait une petite bouteille fraîche et un verre droit d’un style ancien. Par les rayons du soleil qui s’infiltreraient à travers la fenêtre, l’ombre ambrée de la bière serait projetée sur la nappe.

 Lorsque l’Allemagne était encore divisée en Est et Ouest, j’ai pris un train qui traversait l’Allemagne de l’Est. Je pense que c’était le train qui allait de Berlin en Autriche. Il était équipé d’une voiture-restaurant classique qui était exactement mon idéal. Un serveur âgé avec une veste blanche est venu vers moi ; il a sorti un crayon court de sa poche et, en hochant la tête d’un air comme s’il me demandait les symptômes des complications d’une maladie, il a tranquillement pris ma commande. Ce que j’ai choisi sur le menu du jour, c’était une bière, une soupe, une salade et un steak au poivre.

 Jusqu’à ce que le repas arrive, je regardais le paysage par la fenêtre. Des villes de l’Allemagne de l’Est qui avaient l’air anciennes défilaient les unes après les autres. La lumière du soleil de l’automne était douce et les toits des bâtiments brillaient. Il y avait un fleuve, une forêt, une plaine paisible, au-dessus desquels couraient des nuages. Je n'avais à me plaindre que d'une chose : la cuisine qu’on m’avait servie était mauvaise. À quel point ? Hum, elle était si mauvaise que je m’en souviens encore dix ans plus tard.

 À ce moment-là, j’ai sérieusement pensé que l’Allemagne de l'Est ne durerait pas longtemps, si on y servait une cuisine de si mauvaise qualité, et en réalité, cet état a disparu. Pourtant, cela ne veut pas dire que tous les pays qui servent de la mauvaise cuisine dans les voitures-restaurants disparaissent, bien évidemment.

 Il y a longtemps j’ai pensé écrire une nouvelle dont l’histoire se déroulerait dans une voiture-restaurant. Un homme voyage seul et il se met à table avec une jeune femme dans le wagon. L’homme commande un sandwich au steak et une bière. La femme ne prend qu’un potage et de l’eau. En buvant de l’eau, elle se met à raconter une histoire étrange. Elle voyage avec un doigt épais trempé dans l’alcool. Elle sort le flacon de son sac et le met sur la table. Ça a l’air intéressant, n’est-ce pas ? Mais je n’ai finalement pas écrit cette nouvelle, car on ne voit presque plus de voitures-restaurants aujourd’hui.

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